Fyctia
Chapitre 3 — partie 3/3
Elle détourne le regard de la tablette. Elle s’évente avec la main, malgré la fraîcheur ambiante.
— Je vais avoir besoin de toi pour la suite. Alors, tu veux assister à quel événement ?
— Hum… je peux arrêter quand j’en ai envie ?
— Oui, sans souci. Pourquoi ?
— Je me suis toujours demandé pourquoi les gens allaient assister aux exécutions publiques, mais j’ai pas vraiment envie de voir la mise à mort. Juste la foule.
— J’avoue que ça ne me fait pas rêver de voir une tête tomber. J’imagine que tu penses à celle de Louis XVI ?
— Oui, ça ira. Enfin, n’importe laquelle ferait l’affaire.
Stéphane pianote. Même effet qu’hier : un vertige, un halo lumineux. L’environnement se dissout. Puis la place de la Révolution, 21 janvier 1793. Pas d’odeur, pas de brise contre la peau, mais une impression renversante d’être au cœur d’une fresque vivante.
La forme octogonale de la place est imposante, grandiose, démesurée. L’effet est accentué par la présence de fossés de chaque côté. Des façades jumelles, style Gabriel, se dressent au nord : l’Hôtel de la Marine, l’Hôtel de Crillon. Des statues représentant des villes de France ornent de gros piédestaux. Tout est net, brut, comme figé. La statue de Louis XV, elle, n’y est plus : à sa place, la guillotine. Celle qui tranchera la tête du roi dans la journée.
La foule afflue. Des hommes, des femmes, quelques enfants. Visages fermés, parfois nerveux. Certains exhibent des cocardes, d’autres des slogans. Peu de paroles — du moins, selon la machine. Certains fixent l’instrument de mort, d’autres attendent. Le murmure de la rumeur gronde. Le roi sera là dans une heure.
Élodie, rassurée de ne pas tomber sur l’exécution en direct, ressent malgré tout une étrange fascination. Elle tente d’apercevoir Stéphane. Elle tourne inconsciemment la tête à gauche. Des badauds. À droite. D’autres badauds. L’immersion est totale, elle n’a pas idée de ce qui se passe dans la salle blanche.
Elle se meut alors non loin. Des marchands s’activent sur le côté. L’un vend des galettes froides, le prochain promet du vin aigre. Un troisième propose des colifichets censés porter bonheur. Élodie s’approche.
— V’là la fin du tyran ! braille un costaud à la trogne rouge.
— Foutre-dieu, j’y crois plus ! Depuis belle lurette qu’on dit qu’on l’coupera ! râle un voisin efflanqué.
Un autre beugle, un accent étrange dans la voix :
— Mes brioches toutes fraîches ! Pour célébrer la liberté !
— Ferme-la, ou t’finiras sur l’échafaud toi aussi, gronde une femme aux joues creusées.
La tension paraît grimper. Certains avancent d’un pas décidé vers la guillotine. D’autres se contentent de grommeler. Un camelot en haillons fait claquer sa langue.
— Deux sols l’vin ! C’est pas du ratafia, mais c’est buvable !
— Menteur ! T’as mis d’la flotte dedans, scélérat ! vocifère celui qui semble être un ancien soldat édenté.
Brusquement, deux hommes se disputent un emplacement proche de l’instrument de mort.
— Sacrebleu, dégage !
— Va donc, canaille, t’es même pas bon pour servir un monarque !
Un coup de coude part. Un poing répond. La cohue les engloutit. Élodie distingue des cris de femmes, des bêlements de moutons qu’on traîne près de là. Dans ce chaos, un gamin essaie de se faufiler. Il trébuche et heurte un individu qui tient un bâton. Le rustre assène un coup sec. Le gosse geint, affalé dans le caniveau improvisé.
— J’ai rien pris, j’te jure ! sanglote le petit, la joue tuméfiée.
— Menteur !
Cette voix. Élodie la reconnaît. Elle la hait.
L’homme frappe encore l’enfant. Des spectateurs observent sans broncher. D’autres détournent la tête.
Elle veut s’approcher, presque intervenir. Son cœur bat fort. Elle se déplace, contourne les badauds. Puis elle voit le coupable.
Elle regrette aussitôt.
La chaise de la salle se renverse brusquement, la vision d’Élodie vacille entre deux mondes. L’homme continue de cogner, encore et encore. Le bâton se brise, tout comme le fémur du gamin. Le sang jaillit. Le gosse ne bouge plus. Cet homme, Chris, ce « moi » d’avant, cet « autre » qui l’a privée d’être elle-même pendant dix-huit longues années, la toise. Un sourire, carnassier, de prédateur.
Elle hurle, enlève ses USS d’un geste paniqué. Retour brutal dans la pièce blanche, un Stephane affolé à quelques centimètres de son visage.
Elle s’écroule, sombre…
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