Fyctia
Chapitre 2 — partie 3/4
Le sablier virtuel tournoie. Simultanément, la tablette se synchronise avec ses USS. Une légère vibration à son poignet et derrière ses oreilles signale le transfert de données. Deux secondes plus tard, la mention « Chargement en cours… » s’affiche en gras.
Tout à coup, l’environnement se brouille : le bureau, les néons, le bourdonnement se dissipent dans un halo flou et silencieux. Élodie est toujours assise, elle a néanmoins l’impression de flotter. Le vertige d’un rêve où l’on tombe.
Et là… elle se retrouve face à une version plus jeune d’elle-même, cheveux plus longs, attachés n’importe comment. Juste à côté : Zoé, encore adolescente, l’enlace de toutes ses forces. Les deux se tiennent devant un grand bâtiment blanc, bardé de fenêtres. Des dizaines de passants pressés vont et viennent.
Elle secoue la tête, incrédule. Se voir de l’extérieur est terriblement étrange. L’immersion est totale : elle observe son visage de l’époque, ses fringues, son apparence, sa posture, tout lui paraît familier et lointain à la fois.
— Putain ! Il avait raison, le con. C’est incroyable…
Devant ce bâtiment, les deux sœurs pleurent à chaudes larmes, comme si le monde s’écroulait. Elles s’enlacent de toute leur force. L’étreinte se prolonge, sûrement plus longtemps que dans le souvenir d’Élodie. Les flots de leurs yeux coulent à profusion — et ceux de l’Élodie spectatrice aussi. Elles sont soulagées.
Muette, elle éprouve chaque sanglot comme si elle y était. Ses mains se crispent, son cœur tambourine. Un pincement se réveille lorsqu’elle constate, encore une fois, l’absence de son meilleur ami. Puis, après ces sanglots interminables, Élodie prononce :
— Il n’est pas venu l’autre con ?
— Qui ça ? Nono ? Tu parles… Il avait peur de pas te reconnaître.
— C’est n’imp’ ! Quel abruti ! Il me le paiera ce p’tit con ! Déjà que les darons étaient pas jouasses, si lui non plus me soutient pas…
— T’as qu’à arrêter de le voir. Je le déteste…
— Tu dis ça parce que t’es amoureuse. On me la fait pas !
Zoé vire au rouge, détourne la tête pour fuir le regard en amande de sa grande sœur.
— Tu sais, Zoé, Nono c’est comme un frère. Et parfois, la famille prend mal des trucs normaux. J’vais pas lui en vouloir toute ma vie pour si peu.
— Mais quand même !
— Il a eu peur. C’est juste un froussard.
— Eh bien, moi ! Je lui en voudrai toujours.
— Au moins !
Les deux jeunes filles éclatent de rire, puis l’image s’efface brutalement. Retour à la réalité, sans transition. À la place de ses propres traits, Élodie découvre le visage hilare de Nourredine.
— Alors ? C’est fou, non ? s’emballe-t-il.
— C’est démentiel ! Comment vous avez fait ça !
— Secret industriel ! la provoque-t-il, un grand sourire aux lèvres.
— Tss ! J’ai signé un accord, tu pourrais être sympa.
— Je peux pas t’en dire plus. C’est une IA qui crée de la vidéo correspondant au passé, tel qu’il s’est produit.
— C’est… impossible…
— Non. C’est basé sur des probabilités. Il y a parfois des erreurs, mais dans l’ensemble, c’est plutôt fidèle.
Les yeux d’Élodie s’écarquillent, elle cherche son souffle. Quelques mouvements de tête incohérents et des gestes menaçant à plusieurs reprises de faire tomber la tablette, puis elle ricoche enfin :
— Plutôt fidèle ? T’es malade ! C’était EXACTEMENT comme ça que ça s’est passé !
— Ah, ouais ? T’as demandé quel événement historique ?
— J’ai pas demandé un événement historique, t’es con ? J’ai choisi un truc perso, où t’étais justement pas là !
Le visage de Nourredine se décompose, ses traits se tirent comme un linge trempé.
— Hein ? Mais c’est pas possible que t’aies eu un résultat ! C’est uniquement fait pour les faits historiques.
— Arrête, je te connais trop, tu mens super mal.
— Je t’assure ! C’est impossible ! No way !
— Allez, dis-moi comment t’as fait ce tour de passe-passe.
— Je te jure que c’est la réalité !
— Eh ben ta machine a bugué ! Et si elle n’a pas bugué, niveau éthique, c’est franchement douteux.
— Élo, tu me fais peur. Tu ne mens pas ?
Elle secoue la tête en ricanant.
— Je vais devoir tout revoir avec l’équipe. Ils vont me tuer…
Plus il se décompose, plus Élodie rayonne. Quasi extatique.
— Ouais, je vais faire semblant de te croire, lâche-t-elle avec un clin d’œil.
— C’est pas sympa de te foutre de moi.
— C’est parce que tu te fous aussi de moi. Ne me prends pas pour une idiote.
— Tu voudras quand même revenir cette semaine et tester sur de vrais faits historiques ?
— Ton truc tout pété ?
— Oui, mon truc tout pété.
Il jette une jambe dans le vide, jure, puis reprend un ton plus grave :
— J’ai fait des pieds et des mains pour que tu puisses t’amuser avec « la révolution de demain ». T’arrives, et paf ! je dois tout recommencer… J’suis dégoûté pour moi, alors ne me laisse pas être dégoûté pour toi aussi. Reviens au moins demain.
Elle hausse les épaules, le sourire s’efface peu à peu. Serait-il devenu bon comédien ?
— Nono, franchement, j’sais pas. C’était super bluffant. Et si je pouvais vraiment voir plein d’événements historiques, fidèles comme ça… je signe direct. Mais y’a une petite voix dans ma tête qui me dit que tu te fous de moi. Je dois réfléchir. Tu m’en veux pas si j’te réponds demain ?
— Tu sais, je suis déjà au ras des pâquerettes. Un anniversaire foiré de plus, ça ne va pas changer le cours de ma vie en pire.
La conversation traîne en longueur. Elle croise et décroise les jambes. Elle hausse les épaules, tandis que Nourredine tente de rationaliser, s’invente des scénarios dont elle n’a que faire. Les yeux sombres d’Élodie glissent sur les murs sans relief ou sur les lignes de code qui défilent. Son souffle raccourcit, ses mains tremblent un peu.
Finalement, sur un ton plus calme, Nourredine insiste sur combien il aimerait la revoir demain. Ils s’enlacent, se disent au revoir. Elle s’excuse, récupère son sac. En partant, elle secoue la tête. Sa gorge se noue ; la nervosité déforme ses traits. Elle évite les regards des « assistants » de son ami.
Dehors, le soleil cogne sur la façade vitrée. Un brouhaha constant emplit la rue. Élodie tapote sa montre, fait apparaître le nom de sa sœur sur l’affichage de sa lentille en réalité augmentée. Zoé peut se libérer pour déjeuner dans une brasserie proche.
Ça tombe bien, Élodie a besoin de parler.
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Alsid Kaluende
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Anthony Dabsal
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