Fyctia
Chapitre 2 - Partie 1
Shanarielle
Vingt ans plus tard.
🎶 Forest Calling - Bill Brown
Perdue dans ma contemplation, je sens quelqu’un s'asseoir à mes côtés. Un vif coup d'œil confirme mon intuition. Il s’agit d’Opaline, ma sœur cadette.
Elle prend place à côté de moi sur ce même rocher froid et balance innocemment ses jambes dans le vide. Pendant un moment nous ne disons rien. Nous profitons, pour ma part les paupières fermées, des dernières lueurs du soleil face à l’immensité forestière qui s’étend tout autour de nous.
Soudain, le doux murmure du vent se transforme en un frémissement plus agité couvrant presque le clapotis du lac.
— On doit rentrer, les parents m’ont fait promettre de revenir avant la nuit, annonce-t-elle, brisant la quiétude de ce doux moment de plénitude.
Un soupir m'échappe.
— On n’y sera jamais.
— Je sais ! Mais à qui la faute ? Tu ne démords pas de ces paysages. Je ne pouvais tout simplement pas t’en arracher le jour de ton anniversaire ! M’accuse-t-elle, espiègle, tout en me poussant par l'épaule.
Elle souffle sur ses mitaines en laine, tout en frictionnant vigoureusement ses mains. A quelques mètres derrière nous, nos amis s’activent déjà en ajustant leurs bonnets et écharpes. De mon côté, je lance un dernier regard à ce rapace qui nous accompagne, volant gracieusement au-dessus des cimes verdoyantes, libre. Il semble si serein. Maître de sa vie.
— Rentrons, ils seraient bien capables de venir nous chercher eux même pour me faire souffler les bougies.
Toute la journée nous avons exploré ces étendues sauvages que je connais par cœur. J’aime particulièrement y venir au printemps, quand la vie reprend son cours après le rude hiver qui sévit chaque année dans l’Idaho. D’aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours préféré les étendues sylvestres, aux centres commerciaux de notre petite ville de Cœur d’Alene. Je m’y sens davantage dans mon élément.
Sans aucune hésitation j’ai convié Joyce et Billy à cette randonnée improvisée. Avec notre équipe d'expédition dûment complétée, nous sommes partis ce matin en forêt. Malgré notre différence d'âge avec Op’, cela ne m’a jamais empêchée de l'intégrer à mon groupe d’amis. Ma cadette est devenue mon ombre depuis qu’elle est en capacité de mettre un pied devant l’autre. Très naturellement, elle a su attendrir mes amis d’enfance et s’accorder à nos centres d'intérêts.
En septembre dernier, nous avons commencé nos cursus universitaires. Chacun a mis un point d’honneur de trouver une université qui nous permettrait de rester dans la région. Nous n'étions pas prêts pour voler seuls de nos propres ailes et entamer une vie totalement différente de celle que nous avions toujours connue. Depuis le collège, nous passions tout notre temps libre ensemble et nous ne pouvions concevoir un futur différent. Malheureusement, la réalité étudiante nous a tous très vite rattrapés. Les révisions, les examens et les stages, ont diminué drastiquement nos folles retrouvailles. Au quotidien, nos moments de complicité me manquent tellement. Je ne pouvais donc rêver d’une meilleure journée pour fêter mon anniversaire, entourée de ceux qui me sont chers.
Nous avons passé la journée entre rires et frissons, à nous raconter les plus sombres récits de faits divers non résolus. Billy, notre jongleur de pierres improvisé, a provoqué une hilarité contagieuse à toute la galerie lorsqu’il a perdu le contrôle et a fini par recevoir un de ses cailloux de fortune sur le front. Joyce, fana de photographie, s'est promenée toute la journée son appareil en main, à l'affût de tout mouvement pour capturer “la photo qui la rendra peut-être célèbre un jour” comme elle nous nargue à chaque fois que nous la chambrons à ce sujet. Opaline, quant à elle, est une experte dans l'art de créer des scénarios comiques. Elle adore surprendre son auditoire avec des mises en scène hors normes, que ce soit en transformant notre routine quotidienne en sketch ou en préparant des farces inattendues.
Tout en longeant le sentier du retour, nous nous enveloppons d’un calme religieux, captivés par la canopée du feuillage renaissant. Seules les brindilles sous nos pieds trahissent notre présence. Les derniers rayons du soleil filent à toute vitesse à travers les arbres et dépeignent un contraste paradoxal. Le picotement du froid est contrebalancé par un doux paysage aux couleurs chaudes.
A chaque fois que je m'apprête à quitter ces lieux, une pointe de mélancolie familière m’assaille comme un déchirement inéluctable. Je me sens chez moi au sein de cette immensité. Un lien unique et privilégié me relie à cette forêt et ses animaux. Cette connexion intuitive rayonne de manière inexplicable. Mystérieuse. Comme si la flore me susurrait des secrets dont je ne comprenais qu'une infime partie.
Tout à coup, une voix féminine m’interpelle dans mon esprit, perturbant mes songes. Laisse-moi sortir, ne m’ignore pas.
Un frisson glacial file le long de ma colonne vertébrale.
C'est encore elle.
Elle se glisse insidieusement comme une brise inattendue, semant l’inquiétude et le désarroi dans les replis de ma conscience. Apparue quelques semaines plus tôt, elle s'est intensifiée, s'immisçant de plus en plus profondément. Elle est sans cesse là, tapie au fond de mon esprit. J'ai tenté de l'ignorer, de la repousser, mais elle persiste, insaisissable et oppressante.
Je secoue légèrement la tête pour chasser ces pensées perturbantes et me concentre sur les dernières minutes qui nous séparent de la ville. Mon regard s'ancre sur la longue tresse brune d’Opaline, qui marche devant moi. Cette journée idyllique se voile d'une étrange frustration. Le retour aurait dû être empreint de souvenirs heureux, pourtant il devient une épreuve difficile à surmonter.
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M.B.Auzil
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Mélanie Nadivanowar
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Zebuline
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Ady Regan
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Dixy
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