Fyctia

Je crache mon protège dents dans le seau d’eau, qui devient rouge en un instant. Une main me prend le visage et l’inspecte avant d'y poser une poche de glace. Arrêtez de me tripoter. J’essaie de tourner la tête, Madoka est debout, en train de parler à un journaliste qui mate son décolleté. Miranda est assise, à repousser les curieux et ceux venus l’emmerder. Ils veulent que je descende leur casser la gueule ? Elle se lève d’un seul coup, pour se libérer d'un photographe beaucoup trop entreprenant. Austin lui attrape la main, mais elle s’en détache, sans un regard pour lui. On est en colère, brunette ? Viens voir Connor, qu’il règle ton problème !

-Tu m’écoutes ?

Absolument pas, Hector. J’en ai rien à secouer de ce que tu me baratines. Je reporte mon attention alors en divagation, sur le mec en face de moi, qui me mitraille. Lui aussi, il m’énerve. La cloche sonne, c’est reparti pour un tour ! Je saute sur mes jambes et rejoins le centre, où mon adversaire sautille.

Je me remets en mode machine, et j’enclenche le pilotage automatique de mes coups. Je n’ai pas le temps de me concentrer qu’il m’assaille d’un crochet, que je sens passer. Un coup qui me projette la tête sur le côté, et tout droit dans le passé. Sur ma trajectoire bancale, je rencontre deux iris noisette, un peu pétillants avec la lumière, qui me fixent avec effroi. Sans chercher plus loin, je retourne le même coup à mon assaillant. Et j’enchaîne, direct, descendant, jusqu’à ce qu’il recule dans les cordes. Prie pour rester vivant. Prie, tout simplement. Parce que je ne te ferai pas de cadeau, pour m’avoir pris en traître !

-Séparez-vous !

L’arbitre me passe devant et me bloque, pour éviter un assassinat. Mon adversaire s’accroche à la corde et se relève, difficilement. J’attends qu’il s’avance, encore un peu. Je le saisis et lui bloque toute retraite. Une bonne claque latérale, qui résonne de part et d’autre du ring, puis un bon remontant du coude, pour lui faire cracher son protège dents. L’arbitre me force à reculer, pour que cet incapable remette son bout de plastique dans la bouche. Plus jamais je ne serai faible. Plus jamais ! Je tourne la tête, elle me regarde. Elle me fixe, avec un regard que jamais elle n’a eu.

C’est quoi, ce délire ? Perdu une nouvelle fois dans les tréfonds de mon esprit, j’en oublie la tête de noeud devant moi. Il me rentre dedans et me martèle le torse, tentant d'accrocher mon visage. Je lui colle mon poing dans la figure, il s’écrase. Lourdement. Le sang dégouline de mon arcade, il me brouille la vue. Hector se redresse de sa chaise, pour me jauger et constater les dégâts. Je secoue la tête, pour lui faire comprendre que non, je ne veux pas abandonner. Mon ennemi se relève et titube. Droit comme un « i », je lui balance mon pied au visage. La prochaine fois, reste au sol. À ta place !

-Evans ! Evans !

Hurlez, scandez mon nom ! Vous aimez ça, moi aussi ! Hurlez pour moi. L’arbitre vérifie son état, au cas où. Je tourne la tête vers mon coin, Madoka mange ses doigts, tandis que ma kiné essaie d’établir une connexion visuelle avec ma blessure. Ou moi. Austin me regarde avec haine. Ça me rappelle vaguement quelqu’un. Je ne veux pas me souvenir de lui...

« Le silence punit l’insolence »

Ce n’est pas le moment de craquer.

Si je me laisse envahir, tout est fini. Cet enfoiré aura gagné, encore une fois.

-Par décision unanime, le vainqueur est...

Mon poing est levé par l’arbitre, et tout le monde m’acclame. Le bruit se dissipe, devenant inaudible. Ma tête commence à me lancer. Je n’entends plus que mon cœur tambouriner dans ma cage thoracique. Comme s’il voulait s’en aller vers un endroit plus agréable.

Ma vue se brouille. Je vois rouge, et presque plus rien. Mon œil me brûle. J’aimerais pouvoir le frotter, retirer ce sang.

Je passe à travers un rideau de mains qui essaient de me toucher du bout des doigts, et pénètre dans mon antre. Sur le banc de mon vestiaire, Kim se précipite sur mon arcade, en jurant.

-Tu n’es pas censé encaisser avec ton visage !

-J’encaisse, c’est déjà pas mal ! je pique

Miranda entre dans un brouhaha démentiel. Soudainement, tout s’éteint. À part le bruit de ses petits talons, rien ne résonne. Je suis devenu sourd à tout autre son. Mado pianote son téléphone, en souriant bêtement. Je me concentre sur la brune, pour oublier le bordel dans ma tête et le fait que j’ai envie de m’assommer, tant j’ai mal au crâne.

-Miranda, vous avez suivi la formation de compétition ? demande Kim

-Absolument, besoin d’aide ?

Elle comprend vite et retire sa veste avant de se laver les mains, et de venir près de moi. C’est assez appréciable, d’avoir une jolie demoiselle penchée sur soi. Elle m’offre une vue imprenable sur son bustier, qui, je l’avoue, a pris des formes depuis la dernière fois. Son odeur m’envahit et me fait délirer.

Je vais finir par devenir accro.

La pièce semble s’éteindre, personne ne bouge ou ne daigne ouvrir le bouche pour sortir une connerie.

Tout est calme, seule sa respiration me parvient. J’ai beau la fixer, retourner dans tous les sens le problème, rien n’y fait. Ce n’est pas le calme angoissant qui me dévore continuellement, non, celui-là est apaisant. Presque envoûtant.

Tout semble être parfait, utopique. Comme elle.

Avec délicatesse, elle se redresse et jette le coton. Ses doigts sont pleins de sang, presque dégoulinants. En aucun cas elle n’est écœurée, ou devenue fébrile.

Miranda est restée solide, comme un rempart qu’on aurait mis trop souvent en pièce.

Elle revient avec un truc blanc, qu’elle applique sur mon visage.

-Pourquoi me fixes-tu ainsi ? chuchote-t-elle

-Parce que j’ai envie.

-Je vois, c’est très gênant. Tu le sais ça ?

-Moi ça ne me gêne pas, au contraire. Puis je ne fais que te regarder, il y a pleins d’alternatives !

Elle lâche un petit rire, quasiment insonore pour les autres. Il n’est que pour moi. De nouveau droite, je prends conscience de la situation et de l’avantage à en tirer. Placée entre mes jambes, j’ai juste à poser mes mains sur ses hanches. Je défie Austin en face de moi qui ne cesse de m’envoyer des interdictions mentales. Trop tard. Un sourire fier et narquois se forge sur mes lèvres et je la ceinture de mes bras.

Ma tête accessoirement posée sur son ventre.

Une chaise grince et une porte claque. Tu as perdu, encore une fois.

-Co-Connor. Tu vas me mettre du sang partout...

-Arrête un peu, j’ai mal au crâne.

Mon repose-tête abdique et laisse retomber ses petits bras nus, qui me frôlent. Je subis un choc thermique, elle est véritablement glacée, un bloc de marbre. Ses mains viennent sur mes épaules et s’emboîtent parfaitement à leur forme.

Comme si c’était leur place, depuis le début, et que tout le reste n’était qu’une erreur de parcours.

Tout ce qui a pu se passer avant n’était rien d’autre qu’un simple test. J’ai l’impression que tout s’éclaire, je relève la tête et croise ses yeux, interrogateurs. La pièce recouvre peu à peu son brouhaha, le silence s’éclipse.

Vaincu, à son tour.