Fyctia

Noël, J-15

L’agitation dehors me pousse à me lever du lit pour regarder par la fenêtre l’arrivée de mon cousin Oliver.

Accueilli par Anton, Phil, Quinny et Marlin, il se jette d’abord dans les bras de mon grand-père, avant de donner un coup-de-poing dans le ventre à mon petit-cousin, puis ébouriffe les cheveux de ma petite-cousine et se prend à son tour un coup-de-poing dans le ventre de la part de mon oncle.

Je les observe avec un sourire amusé, heureuse que la famille s’agrandisse. Malgré l’énergie déployée par Quinny, une certaine pesanteur règne dans la maison. Une lourdeur que l’espièglerie d’Oliver ne saurait dompter.

Je crains d’en être en partie responsable.

Depuis que Jayden rôde dans les couloirs, j’évite de sortir de ma chambre. Là où je me levais pour travailler dans la cuisine et préparer le petit déjeuner, je reste maintenant confinée, ne sortant que pour le repas du soir et prétextant des sorties en ville pour m’échapper dès que possible. Une attitude puérile mais nécessaire si je veux rester saine d’esprit.

Ajoutée à l’ombre oppressante de Jayden, l’humeur maussade de Phil agit tel un nuage qui ombrage la chaleur réconfortante du soleil en hiver. J’attribue ce changement, écho au mien, à Jayden. Après tout, leur dernière interaction connue s’est soldée par une dispute, avant que Jayden ne parte au lendemain de Noël, il y a un an. Les choses ne doivent pas être tout à fait réglées entre eux. Tout comme entre nous.

Je soupire de lassitude tandis que, dehors, les embrassades d’Oliver sont interrompues par des cris encore plus aigus que ceux de ma cousine. Une boule rose que la neige fait ressortir au point de me griller la rétine s’extirpe du SUV brillant, que ma tante Felicia et mon oncle Dom ont offert à Oliver pour ses 25 ans, et s’élance vers ma famille, les bras grands ouverts. Ce que je suppose être la dernière conquête de mon cousin, s’écrase avec violence contre mon grand-père, puis mon oncle, les laissant vacillants et les bras ballants, sous le choc de cette vision inhabituelle.

D’après les brefs messages que j’ai échangés avec Oliver, Sandy, de son petit nom, est la fille de son patron. Les ennuis prévisibles mises à part, sa pétillante personnalité ne sera pas de trop pour briser la glace.

- Allez, Soph…, je me motive.

Posé sur ma couette, mon ordinateur portable s’agite sous les notifications. J’y jette un coup d’œil en enfilant un pull.

Boulot, boulot, boulot, John, boulot…

Mon humeur s’assombrit. Affronter ma famille, et Jayden, ne me paraît plus aussi terrible tout d’un coup.

J’ouvre la porte de ma chambre et me dirige vers l’escalier menant au rez-de-chaussée lorsque des voix étouffées me parviennent de l’étage supérieur quand je passe devant les marches qui y montent. Je ralentis puis m’arrête net en reconnaissant Shawn et Jayden. En temps normal, je n’aurais pas écouté mais le ton énervé de mon cousin et celui sec et ferme de Jayden m’interpellent. Ces deux-là sont aussi proches que des frères. Pas un seul souvenir ne me vient, durant notre enfance, où ils se sont retournés l’un contre l’autre.

Je me rapproche doucement et me colle contre le mur, en évitant les lattes grinçantes du plancher.

- Tu t'attendais à quoi, Jay ? Tu es parti !

- Je sais.

- Je t'avais dit que Soph ne t'accueillerait pas à bras ouverts. Elle était dévastée quand tu t'es barré l’année dernière. Encore plus après ta scène à l’enterrement de ma grand-mère !

Dévastée...

Il exagère.

J'ai seulement pleuré toutes les larmes de mon corps et passé le reste du séjour à faire bonne figure avec un nez bouché et des yeux rouges à faire peur.

J'ai dit à tout le monde que j'étais malade.

Je pensais être passée inaperçue.

Apparemment, j’ai eu tort.

- Je sais, répète Jayden d'un ton dur. J’essaye d’arranger les choses…

- T’as intérêt ! Je ne te laisserai pas lui faire du mal. Tu es mon meilleur ami, mais elle en a assez bavé. Je ne t’ai rien demandé à propos de Noël dernier. Ni sur l’enterrement de ma grand-mère. Quand tu as sauté dans ma voiture pour venir ici, j’ai accepté uniquement parce que tu m’as promis de régler le problème avec Phil.

- C’est compliqué.

- Sans déconner, mec ! Depuis qu’on est arrivé, Sophie s’enferme dans sa chambre et mon grand-père tire la gueule ! Je croyais que tu lui avais parlé !

- Je l’ai fait.

- Ça a dû être un succès…

Jayden soupire et pendant un moment Shawn n’ajoute rien.

- Il est temps que tu me dises ce qui s'est passé, reprend mon cousin avec lassitude.

- C'est entre lui et moi.

- Il a encore proposé de t’aider à monter ton business ? Toi et ta fierté mal placée...

Le rire sarcastique de son meilleur ami le coupe :

- Ma fierté ?

- Je sais que la sienne l’est tout autant mais…

- Ne t'en mêles pas, Shawn.

- C’est ma famille, Jay.

- Je gère.

Sans même les voir, je peux sentir la tension qui les oppose tandis que les questions affluent dans mon esprit.

Mon grand-père voulait aider Jayden avec son entreprise ?

Ça ne me surprend pas de Phil.

Que Jayden ait pris la mouche non plus.

De là à quitter la maison des Lewis au lendemain de Noël après… nous ?