Fyctia
Chapitre 5
- Je pensais que ça lui ferait plaisir.
- Hum ?
L’esprit encore plongé dans mes souvenirs, je n’avais pas prêté attention à Quinny. Nous étions rentrées au chaud dans la cuisine pour savourer une tasse de chocolat. Phil s’était, quant à lui, à nouveau enfermé dans la grange.
- Grand-père !, s’impatiente ma cousine. Je croyais que le retour de Jay à Noël le rendrait heureux…
- Oh ! Oui. Non. Euh… Ils ne sont pas quittés en très bons termes.
Je plonge le nez dans mon mug pour fuir ses yeux scrutateurs. Une attitude absolument pas suspecte pour une gamine curieuse de 14 ans.
- Raconte !
- Il n’y a rien à dire, je soupire.
Ce n’est pas un mensonge. Les seules personnes qui connaissent cette histoire sont les principaux intéressés : Jayden et Phil.
- Je demanderai à Shawn dans ce cas.
- Même s’il est au courant, il ne dira rien. C’est un ami loyal.
J’avais bien essayé de cuisiner mon cousin à ce propos. La querelle entre Phil et Jayden avait dû être mouvementée pour entraîner le départ précipité de ce dernier au lendemain de Noël. C’était l’année dernière et Shawn est resté buté. Je n’ai rien pu en tirer.
- Peu importe !, décrète Quinny en se levant. L’important, c’est que Jay soit là ! Ce n’est pas pareil sans lui.
Je n’aurais pas dit mieux.
Depuis sa première venue à Snow Shoe, Jayden était revenu chaque année. À l’époque, je me fichais de la raison. J’aimais simplement le voir. Ma famille non plus ne s’est pas attardée longtemps sur les événements qui ont conduit le meilleur ami de Shawn à préférer passer Noël avec nous, plutôt qu’avec sa famille. Néanmoins, à mesure que les années passaient et que mes sentiments pour lui grandissaient, j’ai cherché à en apprendre plus. Je voulais tout connaître de lui. Son présent, passé et futur. Ce qui le rendait triste et, surtout, lui donnait envie de sourire.
Lors de ce premier Noël, il m’a fallu une semaine entière pour le lui en arracher un. Grâce au nécessaire à couture que Marge m’avait offert, j’avais profité de sa session de jeux vidéo avec mon oncle Anton et Shawn, qui venait de recevoir une console, pour repriser son manteau. Phil avait cherché à lui donner l’un des anciens de mon père, mais Jayden avait refusé. Rien ne lui aurait fait changer d’avis. Alors, j’ai passé un après-midi à recoudre chaque trou du sien. Mes doigts étaient en sang à force de me piquer. Les fils partaient dans tous les sens mais, de loin, l’illusion était là. J’avais discrètement replacé mon œuvre sur le portemanteau. Lorsque Jayden l’avait pris pour aller jouer dehors avec les autres, je l’observai à la dérobée et il était apparu.
Son sourire.
Son visage, si dur et buté, s’était métamorphosé. Il avait caressé le tissu du bout des doigts et relevé la tête directement dans ma direction. À croire qu’il avait toujours su où je me trouvais.
C’était la première fois que j’arrivais à faire sourire Jayden. Par la suite, il y en eut d’autres. Je les comptais et les conservais dans un recoin de ma tête. Son sourire franc qui dévoilait ses fossettes, celui amusé en présence de Shawn, l’un moqueur quand je ne manquais jamais de susciter en glissant une plaque de verglas et, mon préféré, son sourire doux. Celui qui étire à peine ses lèvres mais adoucit ses yeux. Jayden me le réservait quand nous étions seuls tous les deux, le soir. Il avait du mal à dormir quand il arrivait ici les premiers jours. Je le retrouvais au milieu de la nuit sur le canapé du salon, devant la cheminée. On chuchotait pendant des heures. L’obscurité et le silence, seulement interrompu par le craquement des bûches dans le feu, nous donnaient l’impression d’être dans une bulle. Rien que tous les deux.
Depuis son départ, il m’arrive encore de me réveiller en pleine nuit et de me rendre au salon, dans l’espoir futile de le voir. La déception n'en était que toujours plus grande, alors j’ai fini par reléguer mes sentiments.
Je m’en sors plutôt bien.
C’est ce que je pensais en tout cas jusqu’à ce que Quinny fasse voler en éclats mon déni.
Maintenant, mon cœur s’emballe à l’idée de le revoir après un an alors que tout portait à croire qu’il en avait fini avec notre famille.
Jayden Fisher.
- Ça va ?, me demande tout à coup ma cousine.
- Ouai, pourquoi ?
- Tu grognais.
- Hein ?
- Je te jure ! T’avais les yeux dans le vide, la bouche ouverte et tu grognais. À moins que ce soit un ronronnement.
- Euh…
- Tu pensais à quoi ?
Réfléchis vite, Soph !
- Au pain d’épices.
- Vraiment ?, me questionne Quinny, dubitative.
- Tout à fait ! J’adore ça !
- Okay… T’es bizarre.
- Et si tu te mêlais de tes affaires ?
- Susceptible avec ça !
- Au moins, je ne m’appelle pas Quinny !
- Hey ! On a dit plus de vannes là-dessus ! J’ai pas eu mon mot à dire !
Un éclat de rire m’échappe face au visage rouge tomate de ma cousine. Elle est adorable avec ses petits poings serrés. Un vrai chaton énervé.
- L’accord a été annulé quand t’as balancé à grand-père les responsables du massacre à la crème chantilly, intervient son frère Marlin en déboulant dans la cuisine.
- Un revenant !, je l’accueille, les bras grands ouverts. Ravie que tu sortes de ta tanière pour me dire bonjour.
- Salut, Soph !
- J’avais six ans, rumine encore sa sœur. Et je préfère Quinny à Marlin !
- Soph, tu charries encore mes enfants sur leurs prénoms, me sermonne mon oncle Anton qui débarque à son tour dans la cuisine par la porte de derrière.
Il époussète ses chaussures pleines de neige avant de venir m’embrasser.
- Pas du tout !
- Menteuse !, me dénonce Quinny.
- Tu vois, c’est pour ça qu’on continue de te faire chier, réplique Marlin. T’es incapable de la fermer !
- Va te faire…
- Les enfants !, les coupe mon oncle.
Son commentaire ne suffit pas à calmer le frère et la sœur qui se lance toujours des piques. Je m’éclipse avant qu’ils ne se souviennent que je suis l’instigatrice de ce raffut. J’avais oublié à quel point ma famille me manquait à force de déprimer, seule à Pittsburgh, en songeant que ce n’est peut-être pas une dispute avec mon grand-père qui a conduit Jayden à partir. Une voix insidieuse et mesquine ne cesse de revenir me hanter pour raviver une pensée qui ne me quitte pas depuis un an.
La possibilité que ce soit ma faute.
Qu’il regrette.
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40books
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Il y a 2 ans
Thylia Andwell
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Lexa Reverse
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Thylia Andwell
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Sand Canavaggia
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Anne-Estelle
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Thylia Andwell
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