Fyctia
Home sweet Home
La rencontre suivante fut décisive pour courir se réfugier chez Domi, et découvrir son univers. Le temps était lourd et menaçant. Les cumulus noirs prenaient de l'importance dans le ciel depuis un moment et assombrissaient de plus en plus la journée.
Je venais de craquer chez Garden pour une jolie potée, dix minutes plus tôt, et je décide malgré tout de la déposer à mon frère. En me garant, quelques gouttes sur le pare-brise et des grondements annoncent un orage imminent.
Je dois me dépêcher. Machinalement je regarde l'allée deux. Elle est là comme toujours. Je file déposer ma fleur. La pluie devient importante et je cours rejoindre Domi qui ne bouge pas d'un pouce, impassible. Je la hèle de loin.
- Hé, ho, Domi, il faut rentrer. J'arrive à sa hauteur haletante.
- Je te ramène chez toi ? J'essaie alors d'avoir un ton ferme.
- Oui oui ma fille, filons chez moi .... C'est à deux pas. Viens, suis moi.
Nous quittons le cimetière, traversons la route. L'orage est là au-dessus de nos têtes. L'averse est bienfaisante et ne nous gène pas. Nous marchons quelques mètres dans la rue en face et tournons par le premier portillon. Je souris sous cape. Je comprends mieux sa présence continuelle sur la tombe de son mari. Je détaille en vitesse l'endroit. C'est une maison traditionnelle. La façade est blanche, enfin plutôt grise. Elle aurait besoin d'un bon coup de karcher. Les volets sont en fer. Ils sont fermés pour préserver la fraîcheur de l'été, j'imagine. Nous entrons dans un vestibule défraîchi. L'odeur de vieux et de sale envahit directement mes narines pures. Je ne suis pas surprise. Le carrelage du sol est souillé, tâché. Je devine difficilement la couleur.
- Bienvenue ma belle enfant.
Sur la droite une petite cuisine carrée. La porte est entrebâillée. Je ne vois pas grand chose à part les pâles cerises sur le papier peint. Nous entrons ensuite dans une grande et imposante salle à manger ancienne. Le chêne y est prédominant. Au fond de la pièce, le salon est également en structure de bois, agrémenté d'une multitude de napperons en tout genre et de toutes les couleurs. Beurk, je n'aime pas du tout son intérieur. En tout cas, Elle, milite activement pour la préservation de la poussière. Défense d'y toucher.
- Tu sais, cela fait bien longtemps que j'ai invité quelqu'un ici. Ne fais pas attention au désordre. Je me suis débarrassée de toutes les corvées depuis que mon Léonce n'est plus là. C'est comme ça ! Je ne vois plus l'intérêt et je n'ai plus la force de m'épuiser au ménage. Que veux-tu l'âge et mes douleurs m'imposent le minimum !
Que répondre ? Etre hypocrite ? Je m'habitue à l'odeur. Je reste sans voix. De plus cela commence à sentir un peu le vieux chien mouillé mais il n'y pas de chien....
Je me demande ce que je fais chez elle. Son intérieur me donne plutôt un élan de recul. Je ne me sens pas le courage de rester à discuter comme si de rien et m'installer avec mon malaise. Je frissonne.
- Installe-toi dans le salon, je t'amène une boisson. Que veux-tu ? Une limonade, un café ?
Je voudrais lui dire que je n'ai pas soif car l'idée même d'effleurer mes lèvres sur une vaisselle sans aucun doute sale, me donne la nausée.
J'aurais dû prendre congé poliment, inventer une pauvre excuse ou me souvenir subitement d'une obligation quelconque mais je ne sais pas faire. Jamais été bonne en mensonges même utiles, ni même en théâtre, et aucune spontanéité !
Au lieu de m'échapper, je vais m’asseoir dans un fauteuil et attends ma collation. Étonnement, elle revient avec une porcelaine impeccable et une boite de mon vieil ami Ricoré. Pas de Senseo chez Domi !
- C'est mon service de mariage. Je ne m'en sers plus. Je fais une exception aujourd'hui, pour toi.
- Merci, tu es gentille. Il ne fallait pas. J'essaie et me force à sourire par cette touchante attention.
- J'ai mis l'eau dans la bouilloire. Je suis contente que tu sois là. Je n'invite plus personne.
Oups. Alors pourquoi moi ? j'ai envie de lui poser la question. Elle me brûle les lèvres et je reste, scotchée, sans réaction, dans son salon démodé, les fesses enfoncées dans un coussin avachi et usé par le temps.
- En attendant, tu vas me parler un peu de toi. Je suis une vieille curieuse et toi, tu m'as l'air bien discrète.
- Oui c'est vrai, je ne parle pas facilement de moi.
J'envie ceux qui ont cette faculté à se confier au premier venu et à déballer leur vie. Moi je suis genre Secret Life.
-Quel est ton travail, ma jolie ?
- Banal ma foi. Je suis assistante dans une association. J'ai travaillé dans divers entreprises, avant, mais toujours dans les bureaux. J'ai fait une formation pour ça. Elle s'était éclipsée en entendant la bouilloire siffler et du coup, je n'étais même pas sûre qu'elle avait entendu mes propos. A son retour, je détourne le sujet :
- Et toi, tu faisais quoi avant ?
- J'étais institutrice. Bizarrement sa réponse ne me surprend pas.
- C'était une vocation à mon époque. Aujourd'hui, la vraie âme de maîtresse d'école que j'avais a disparu. C'est la vie... Pauvres petits !
- Les méthodes ont changé mais ce n'est pas pour autant qu'elles sont mauvaises.
- Non, bien sûr, je ne dis pas cela. Les méthodes s'adaptent aux nouvelles générations. Modernes, il faut être ?
On reviendra aux anciennes traditions, crois moi. Je parle de cette ferveur profonde que nous, les anciens, avions de vouloir enseigner nos valeurs et le savoir. C'est cela qui est perdu et ne reviendra jamais. Moi je reste fidèle à Marcel Pagnol. La gloire de mon père, tu connais j'espère, ma fille ?
- Ouiii, magnifique !
- Mes petits le lisaient au CP. Le livre était mon fil conducteur. Nous lisions tout le temps. Du début à la fin, je précise, et je préparais mes leçons avec lui au fil des chapitres.
Aujourd'hui, les gamins ne sont pas plus intelligents que d'antan, que je sache ? Ils arrivent en sixième, soit ils bredouillent encore à chaque mot difficile ou ils ne comprennent pas ce qu'ils ont lu. On les gave comme des oies et les bases ne sont pas correctement acquises.
Je transmettais le goût de la lecture à mes "petiots", moi. Lorsqu'un deux me ramenait un ouvrage, on le lisait tous ensemble en classe. Nous n'avions pas besoin de méthode. La lecture et l'écriture en pratique tous les jours. On s'enrichit beaucoup plus à lire de vrais ouvrages. Le calcul, ils l'apprenaient dehors avec la nature. Maintenant on leur distribue de vulgaires polycopiés sans âme. Franchement ! Il est là le modernisme ? Quand nous terminions une histoire qui parfois nous donnait du fil à retordre, je les récompensais en leur offrant une séance télé avec un bon film ou un dessin animé, cela dépendait. Souvent, aussi, j'organisais des goûters à la maison. Que de bons souvenirs, tu peux me croire. Une belle et douce époque.
Je buvais ses paroles et mon Ricoré, envahie de bouffées de plaisir.
- On prend conscience de nos erreurs aujourd'hui, tu sais, Domi.
Je jalousais presque les enfants qui étaient passés dans sa classe.
5 commentaires
paulenta6
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Il y a 6 ans
isabella
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Il y a 6 ans
isabella
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Il y a 6 ans
Liz I.
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Il y a 6 ans
Liz I.
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Il y a 6 ans