Fyctia
Elle
Il fait beau. Le soleil chauffe mon visage. Mes lunettes me protègent les yeux.
Je suis immobile debout face à cet épitaphe "A mon Frère" ... et je lui parle en silence. Je lui demande conseil, sur ma vie, mes choix... Je n'ai confiance qu'en lui. De là-haut, il voit tout. Il nous protège, je le sais, je le sens... Il nous a abandonné, c'était son choix, mais il est là tous les jours comme un ange gardien et veille sur sa famille. En tout cas, je lui demande... "Fais de ton mieux mon frère....".
Parfois, je l'envie d'être où il est, tranquille, sans ennuis, sans soucis ...pas ceux des vivants, c'est une certitude.
Je fais mon signe de croix et je lui dis au revoir en fixant son prénom sur la tombe. Je n'ai plus que cela de lui. Une inscription sur une stèle marbrée dans les tons marron.
— Il était encore jeune !
Je tourne la tête et une petite dame bossue, mal habillée, les cheveux attachés dans une grosse tresse immonde, détourne ses petits yeux marrons du caveau de mon frère et me regarde attendrie.
Je ne l'ai pas entendue, ni senti venir prés de moi.
Il y a toujours une petite "vieille" curieuse dans les cimetières qui aime déambuler dans les allées.
— Oui, malheureusement, c'est ainsi.
— C'est un accident ?
— Non, c'est un ... Je n'arrive pas lui dire.
Je rêve plutôt à cet instant de lui balancer ; "lâche-moi et occupe toi de ta tombe" mais elle me devance :
— Quel courage ! Moi, je ne l'ai pas eu....
Habituellement, j'entends "Oh c'est affreux !"
J'ai donc soudain de la compassion pour ce petit bout de femme. Je suis curieuse de connaître son histoire.
— Pourquoi vous...... ? J'ose timidement. Elle me coupe.
— Pourquoi j'erre aujourd'hui ? Comme une coquille vide au gré du vent ? J'ai perdu mon mari, il y a bien longtemps et je ne m'en suis jamais remise. Il repose de l'autre côté, trois rangées en descendant par le haut, la tombe la plus fleurie, vous la voyez ? Mes yeux calculent et je la repère.
— Oui, elle est belle. Elle est arrangée avec goût.
— Forcément, je passe tout mon temps ici.
Cette déclaration me choque.
— C'est pas une vie ça ?
— C'est ainsi, c'est mon choix.
Elle me perturbe. J'ai envie de lui hurler dessus qu'elle est folle de vivre comme une miséreuse au milieu des morts. Je sens enfler en moi une âme altruiste et je voudrais l'aider. Mais comment ?
— Vous avez des enfants ?
— Non, rien. Je suis seule avec mon Léonce.
C'en est trop. Elle me fait pitié.
— Comment vous appelez-vous ?
— Je m'appelle comme il vous plaira, choisissez-moi un "p'tit" nom.
C'est une blague. Elle n'a pas toute sa tête !
— Vous ne voulez pas me dire votre prénom ?
Elle me fixe les yeux rieurs :
— Je l'ai oublié.
Là, je commence à avoir peur et des doutes sur sa santé mentale. Je discute avec une clocharde qui a Alzheimer. J'essaie de rester calme.
— Vous avez une maison ?
— Oui bien sûr.
— Vous voulez que je vous ramène ? Je tente.
— Non, non ne vous inquiétez pas pour moi. Pensez plutôt à vous et ne vous fiez pas aux apparences. Demain, vous m'aurez oublié.
— Je ne crois pas, non.
— Vous me voyez pour la première fois, n'est-ce-pas ?
— Oui c'est exact.
— Pourtant, je suis là tous les jours.
— D'accord, j'ai compris.
— Vous avez compris quoi ?
— Vous pensez que je suis égoïste parce que je vous ai ignoré jusqu'alors et à votre façon vous m'intimer l'ordre de continuer.
— Oh, égoïsme est un bien grand mot. Non ce n'est pas cela.
— C'est vous qui m'avez dérangée en me parlant. Je regrette déjà mes mots. ils ont filé plus vite que je le voulais vraiment.
— Quelque chose m'a attirée chez vous, je ne sais pas encore déterminer quoi.... Et j'étais sûre que vous n'étiez pas comme tout le monde. Je me suis trompée. Elle me dit cela calmement et ces paroles me font l'effet d'une gifle. Un voile terne passe dans son regard et me fait craquer.
— Excusez-moi. Allons voir votre mari ensemble, Dominique.
Je crois que je vis un rêve. Je vais me réveiller.
— C'est le prénom de votre frère ! Merci, je suis touchée. Heureusement pour moi qu'il ne s'est pas appelé Jean-Charles.
Et là nous éclatons de rire au milieu de la mort. Le recueillement sur son défunt mari est un plaisir pour les yeux. Oui, c'est bizarre de penser et ressentir ainsi. Son repos semble meilleur et plus confortable.
— Au revoir Domi, à bientôt.
Dans ma voiture confortablement installée, la musique me ramène à la réalité et mes pensées s'échappent.
Pourquoi nos cimetières sont-ils si tristounets ? Un peu moins en été, grâce aux potées fleuries et grand merci aux chrysanthèmes à la Toussaint ! Pourquoi n'y a t-il pas d'autres nuances que le gris, le noir ou le marron ? Institution religieuse et règle du deuil... Moi j'aimerais voir des cimetières européens aux mille couleurs ! Dans les pays chauds, les tombes sont blanches... Dans d'autres contrées, les cimetières sont de véritables attractions touristiques. Les Sud Américains ou les asiatiques sont très colorés. Chez eux, au premier coup d’œil, c'est accueillant ! Je sais, pardonnez-moi ce terme, esprits catholiques. Il n'est pas adapté à notre éducation.
Pourtant, dans un cimetière, on peut voir l'esprit du pays....
Demain je décide et programme mes funérailles avec une stèle de couleur crème et mes inscriptions en rose ? Ce n'est pas possible ? Cela choque ?
Pourquoi ne pouvons-nous pas commander à notre guise, comme on choisit la couleur de sa voiture ? Et bien non, les pompes funèbres n'ont que le gris et le noir dans leur catalogue !
De nos jours, beaucoup d'entre nous, avons un contrat "obsèques". Nous payons une fortune et nous sommes bridés par notre culture ! Nous avons évolué un peu avec les jardins du souvenir mais il faut quand même avouer que nos cimetières nous font fuir.
Et si on remplaçait la pierre froide et dure par des arbres et des fleurs. Si on dessinait des petits sentiers et si on agrémentait avec des petits bancs pour s'arrêter plus longtemps et se recueillir... Créer et entrer dans un havre de paix.
Albert Camus dans "La Peste" a écrit : "Une manière commode de faire la connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille, on y aime et comment on y meurt."
Notre douleur et notre tristesse nous l'avons dans nos cœurs et cela nous ne pourrons jamais le changer !
1 commentaire
paulenta6
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Il y a 6 ans