Ania Jay Spectres Chapitre 2 - La chimère (2)

Chapitre 2 - La chimère (2)

Elle aurait besoin d’un peu plus de temps pour stabiliser ses pas mais un éclat de voix, non loin, l’empêche de le prendre. Mara se met à courir, comme elle peut. À deux reprises, elle trébuche et se relève aussi vite que possible. Même en donnant tout ce qu’elle a, ça lui semble trop peu, trop lent. Les voix se rapprochent, elle est en mesure de les discerner de plus en plus clairement. Quand les échos de conversations lui parviennent franchement, Mara stoppe sa course : inutile d’aller plus loin, elle ne ferait qu’attirer l’attention. Aussi tente-t-elle de faire profil bas, malgré ses poumons en feu et son torse qui se soulève comme si elle essayait d’engloutir la totalité de l’air disponible. Dire qu’elle est bonne actrice serait un piètre mensonge, mais elle n’a pas réussi à trouver un plan plus ingénieux. Elle baisse la tête, s’accroupit, fait mine de rattacher son lacet.


Pour se calmer, Mara tente de se focaliser sur son odorat, rappelant à elle quelques détails olfactifs qui lui parviennent difficilement sous sa forme humaine : le bitume sous ses doigts, la pierre de l’immeuble dans son dos, la ferraille abîmée de la rambarde entre le trottoir et la route. Elle les connaît par cœur. Il fut un temps, pas si lointain dans son souvenir, ces odeurs véhiculaient encore un sentiment bien négatif. Elles étaient empreintes de peur et d’inconnu, là où elles sont aujourd’hui un levier pour rappeler à elle ce qu’elle est, au plus profond d’elle-même. Elle ne s’autorise pas à fermer les yeux, même si ça l’aiderait à se concentrer plus rapidement. Car bien qu’ils ne soient pas aussi efficaces qu’auparavant, qu’ils scannent moins bien les environs, elle en a tout de même besoin.


« T’es sûr qu’elle a pas rejoint les égouts ?


— Je suis sûr de rien. Mais vu sa taille, il lui faudrait aller jusqu’à Riverside Alley pour avoir un accès suffisant. Et même comme ça, t’as vu combien on en a dégommé dans les égouts la semaine dernière ? Elles sont pas stupides. À l’heure qu’il est, je parie qu’il n’y a plus une seule chimère dans ce secteur. »


Mara serre les dents. L’homme a raison, les Spectres les ont forcés à quitter en catastrophe toute la partie nord des égouts, après qu’ils ont trouvé l’un de leurs nids. C’était un refuge pour les chimères sans nid, ou blessées. À tel point que c’en était presque devenu un sanctuaire incontournable, pour eux. Les Spectres l’ont mis à sac. Ni Mara, ni son clan, n’étaient sur place, mais le mot a vite circulé.


La voix de l’homme s’élève à nouveau, quelque part dans son dos (ou serait-ce devant elle, peut-être ?) :


« Prends à gauche, je prends à droite. Elle va pas rester planquée longtemps, je te le dis. »


Son coeur manque un battement. Mara en appelle à toute sa maîtrise d’elle-même pour recouvrer sa concentration, ne pas se laisser envahir par le stress. Elle doit retrouver Kroon avant eux. Le gamin ne s’en sortira jamais seul. Ils sont déjà deux à sa poursuite, peut-être plus. Vu l’inexpérience du petit, un seul Spectre, même débutant, suffirait à l’abattre.


Quand enfin les notes rocailleuses viennent titiller ses narines, Mara soupire de soulagement. L’odorat reste le sens qu’elle arrive le mieux à rappeler, sous sa forme humaine, mais cet exploit vient encore de manière trop aléatoire. Pas assez rapidement, ni assez longtemps à son goût.

Impossible de savoir si c’est un coup de chance ou l’effort monumental que son corps déploie, mais l’odeur de Kroon lui parvient soudain. Il a une signature toute particulière, douce, presque délicate, qui ne ressemble pas à celle de leurs congénères. Impossible de la rater. Mara se redresse à toute vitesse, un geste qui lui vaut un vertige désagréable qu’elle est obligée de laisser s’estomper. Le temps lui file entre les doigts et son cœur recommence à tambouriner comme un sourd, ce qui n’aide pas sa condition.


Enfin, elle parvient à s’élancer, pour de bon, cette fois. Mais elle ne fait pas quatre mètres avant de percuter une masse en mouvement. Son manque d’équilibre la fait tomber. L’homme face à elle, lui, n’a pas bougé d’un millimètre, si ce n’est pour s’approcher et lui tendre une main secourable. Elle le dévisage, sans le toucher. Sous sa capuche noire, il a un air horrible peint sur la figure. Un sourire désolé qui sonne faux et un regard... attendri ? Mais c’est son odeur qui la percute réellement. Les notes suaves l’interpellent, d’abord, puis l’appellent, discrètes, dans un mélange d’agréable et d’angoissant. Un frisson lui parcourt le corps. L’angoissant a bien vite pris le dessus. Il fait un pas en avant, et, le voyant s’approcher, redoutant un contact, Mara recule. Simple réflexe de survie.


« Tout va bien ? Je suis désolé, j’aurais dû regarder où j’allais. »


Sa proposition d’aide se fait insistante, oppressante, quand il remue un peu la main, juste sous son nez. Mara se relève seule, titube, mais hoche seulement la tête à son intention. Elle réprime l’envie de lui arracher la carotide d’un coup de crocs — qu’elle n’a plus, de toute manière. Au lieu de quoi, elle s’éloigne, pose une main sur sa bouche, secoue doucement la tête de gauche à droite.


« Oh, tu... ? »


Non, elle n’est pas muette. Mais elle hoche la tête pour lui signifier le contraire. C’est une habitude qu’elle a prise pour ne pas avoir à utiliser ses cordes vocales dans ce genre de situation. Les mots peuvent sortir, mais jamais exactement comme elle le souhaite. Elle n’a ni le temps ni l’envie de s’amuser à ça, ce soir. Encore moins avec un Spectre.


Elle n’attend pas qu’il réponde pour lui faire un signe de la main en guise de salutations. Aussi vite que ses jambes instables le lui permettent, Mara lui passe à côté et continue sa route. Elle se dirige à l’opposé de la direction dans laquelle lui comptait aller avant qu’ils ne se percutent. Elle s’en trouve momentanément soulagée : ça lui donne une petite longueur d’avance car elle est certaine que Kroon est au nord, non pas au sud. Si sa comparse et lui se dirigent dans la mauvaise direction, Mara a une chance de le trouver avant eux et de le cacher, le temps qu’ils se lassent de leur traque. Ou qu’ils reportent leur attention sur une autre cible. Cette possibilité lui tord l’estomac.


Mais en arrivant à la hauteur de l'homme, ce dernier lui attrape l’avant-bras. En un rien de temps, la panique lui envoie une décharge d’adrénaline qui lui parcourt le corps et Mara réagit sans le vouloir. Elle prend son assaillant par surprise, pivote, retourne sa prise — plutôt légère — contre lui et écrase avec le plat du pied l’intérieur de son genou. Elle balaie ensuite rapidement son tibia et, bien qu’elle vise mal et qu’elle touche en fait sa cheville, l’effet escompté se produit, fort heureusement. Désarçonné, le Spectre tombe à genoux, tandis que Mara s’en éloigne d’un petit bond sur le côté, comme s’il avait une maladie hautement contagieuse.


« Wow, doucement, miss self defense. Je ne te veux aucun mal. »


À d’autres...

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8

8 commentaires

Rose Leucate

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Il y a 8 mois

J'imagine que c'est Cian le gars (mais à confirmer).C'est bien vu d'avoir alterné les deux points de vue comme ça, pour qu'on ait une balance de la façon dont chacun voit l'autre. Ils se considère tous comme des monstres mutuellement, des créatures qui massacrent leur espèce. La chimère que Cian a abattue ne semblait pas aussi intelligente que Mara, donc je me demande si Mara et son clan son à part. En tout cas, ça rend curieux au sujet des chimères (façon de vivre, de penser, moeurs et comportements...)

Leo Degal

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Il y a 8 mois

Pas sûr qu'elle ait réagi tout à fait comme il l'aurait fallu si elle voulait passer inaperçue 😅 J'ai beaucoup aimé le jeu sur les sens et surtout l'odorat, évidemment, mais j'ai eu un peu plus de mal à me représenter les directions empruntées et cette interaction entre Mara et un des deux Spectres qu'elle a entendus plus tôt (je suppose)... Je ne suis pas très visuelle, ça doit venir de moi 😅 On ressent bien son angoisse pour le petit Kroon, je trouve le contraste avec le chapitre de Cian toujours bien réussi pour l'heure.

Layla M

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Il y a 8 mois

Vraiment je suis fan 😅 Je connaissais pas vraiment l’urban fantasy et franchement j’adore ou peut etre que c’est ton histoire que j’adore?! 🤷🏻‍♀️🤩 En tous cas je veux continuer à lire! Je passe un super moment !

Ania Jay

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Il y a 8 mois

RAH MEILLEUR COMPLIMENT EVER !!! ❤️ Non, sincèrement, que tu passes un bon moment de lecture, c’est juste LE truc le plus important pour moi ! Sinon, pour te répondre, en général l’urban fantasy c’est un peu retrouver des thèmes de fantasy typiques genre des vampires, loup-garous, faes, elfes, métamorphes, sorcières ; des persos qui évoluent dans un univers urbain plus ou moins original (parfois simplement des villes connues) ; des héroïnes badass souvent « élues » ou « différentes », voire à cheval entre deux mondes qu’elles s’en rendent compte ou non ; et pas mal d’action et/ou d’enquêtes. Après chacun fait un peu à sa sauce mais ce sont les codes classiques du genre. De mon côté, c’est un chouïa différent, c’est une urban fantasy au sens littéral, je dirais : le fait qu’on évolue dans un univers urbain, contemporain, il y a bien des créatures et un clivage entre les espèces, mais amené peut-être différemment. Mais c’est pas toujours évident de coller strictement à un genre, je trouve xD Dans tous les caaaas, je suis contente que tu aimes !

E-Stèle

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Il y a 8 mois

Quand chacun fait peur à l'autre...
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