Fyctia
Chapitre 8
Ski, drama et jacuzzi brûlant
Emma
Le soleil filtre à travers les rideaux, doux, pâle, presque timide.
Je suis emmitouflée dans ma couette, recroquevillée au milieu de ce grand lit comme dans un cocon.
La chambre est silencieuse. Juste le craquement lointain du bois qui travaille, et le bruit sourd du vent dehors, qui danse avec la neige.
Je ne bouge pas. Je regarde à travers la baie vitrée. Le lac est figé, les arbres couverts de blanc. Le monde est immobile. Et pour une fois, mon cœur aussi.
Et je pense. À ma vie d’avant. À ce que je laisse derrière. Une mère trop absente pour voir ce que
je devenais. Un père trop présent, quand il ne fallait pas. Les cris. Les silences. Les murs qui gardent les marques, et les regards qu’on n’oublie pas.
Non. Je ne veux plus de cette vie-là.
Je n’en veux plus dans mes souvenirs, ni dans mes bagages.
Ici, c’est différent. Ici, c’est calme.
Ici, je respire.
Je laisse ma main sortir de la couette, caresse le tissu chaud du drap. Une larme me chatouille
l’œil, mais elle ne tombe pas. Elle reste accrochée, comme le reste.
Un léger coup à la porte.
— Emma ? C’est Sophie.
Sa voix est douce, posée.
— Le petit dej’ est prêt. Y a des pancakes. Et du café.
Je souris. Rien que l’idée du café chaud me donne la force de bouger.
— J’arrive.
Elle s’éloigne. Ses pas feutrés disparaissent.
Je reste encore une seconde dans mon cocon. Je ferme les yeux. Et je me dis que peut-être… peut-être que cette semaine va vraiment me faire du bien.
Dans la voiture
— Je prends un snowboard.
Silence. Quatre regards se tournent vers moi. Incrédules. Joël lâche littéralement ses gants.
— Pardon ? Tu veux... mourir ?
— J’en ai déjà fait, je gère, je vous jure. Et j’ai survécu. Donc je prends un snowboard.
— Très bien, lâche Eliot. Mais on filme tout.
Location de matériel – 10h42
Bienvenue dans le temple de la honte. Un vieux chalet reconverti en loueur de skis. Moquette
trempée, odeur de pieds mouillés, matos fatigué. Derrière le comptoir, un type blasé nous dévisage, bonnet vissé jusqu’aux sourcils. L’enthousiasme incarné.
Joël entre comme dans un one-man show.
— Il nous faut quatre skis, une patinette chelou pour Sophie, et une planche de la mort pour notre rebelle, là, dit-il en me pointant du menton.
Je glisse mes pieds dans mes boots de snowboard. Trop serrées. Puis trop lâches. Puis enfin "correctes", si je ne veux plus sentir mes orteils. Je me redresse, tente un pas, glisse aussitôt, manque de tomber, me rattrape au mur. Élégance zéro.
— Ça commence bien, commente Léa, mi-amusée, mi-préoccupée pour sa propre dignité.
Sophie teste des casques comme si elle essayait des chapeaux au carnaval. Elle choisit un modèle enfant, rose fluo, oreilles de chat incluses.
Eliot bloque déjà sa fixation avec... une chaussette. Personne ne sait pourquoi, mais il a l'air convaincu.
On sort du chalet, chargés comme des sherpas débutants. Skis, snowboards, bâtons, sacs, casques qui glissent… On avance en file indienne sur le parking gelé, en essayant de ne pas finir aux urgences avant midi.
— Je sens plus mes doigts, râle Sophie, le casque de chat de travers.
— J’ai l’impression de porter un animal mort sur l’épaule, grogné-je, mon snowboard me cognant à chaque pas.
Joël ouvre la marche, grandiloquent :
— Allez, les sportifs ! La montagne n’attend pas !
Sur les pistes
On atteint le bas de la piste débutants. Soleil éclatant, gamins surexcités, un adulte qui glisse sur un paquet de chips vide. Joël lève les bras façon film d’action.
— Si quelqu’un me filme, pensez à mettre Eye of the Tiger, ok ?
Je m’assois dans la neige pour attacher ma fixation avant. Mes doigts sont déjà gelés. Je me relève, pousse avec l’arrière du pied. Premier virage. Trop large. Deuxième virage… ah non. Je me vautre à plat ventre.
— C’EST MAINTENANT QUE JE M’AMUSE ! je hurle, mi-rageuse, mi-hilare, en dévalant en mode crêpe.
Joël m’applaudit depuis le téléski, l’air triomphal.
— Tu glisses avec la grâce d’un phoque sur une banquise, bravo chérie !
Je me relève, trempée, échevelée, vivante. Le cœur bat vite. Et je souris.
La journée s’étire entre descentes bancales, fous rires, gamelles collectives et chocolat chaud
cramé au self. Léa réussit un virage et lève les bras comme si elle avait gagné la Coupe du
Monde. Sophie tombe exprès "comme dans les vidéos". Eliot découvre qu’il peut skier à reculons, par accident, mais il assume.
Et Joël ? Il continue le show. Chutes, sketchs, selfies ridicules. Il transforme chaque piste verte en comédie musicale.
Quand le soleil commence à descendre, on s’arrête en haut de la station. Vue sur les montagnes.
Silence. Le genre qui fait du bien. Le froid pique le nez. Et mon cœur, un peu trop plein.
Soir – 20h32
Jacuzzi extérieur. Ciel étoilé. Verres de vin chaud fumants. Playlist chill entre Lana Del Rey et électro douce.
— Ce jacuzzi est mon nouveau mec, murmure Léa.
— S’il me propose en mariage, je dis oui, soupire Sophie.
Joël débarque, bouteille à la main, lunettes de soleil sur le nez.
— Champagne, mes beautés ! Ce soir, c’est bulles, alcool et peut-être strip-poker. Ou pas.
On éclate de rire. L’eau fume, la neige fond sur les rebords. Nos peaux rougies contrastent avec l’air glacial.
C’est doux. Ça fait du bien. C’est loin du monde.
Eliot remplit les verres, Léa chante, Sophie protège ses cheveux de la vapeur. Et moi… je me sens presque bien.
Plus tard – Salon
Les cheveux encore humides, emmitouflés dans des plaids, on s’installe autour de la grande table en bois.
— On fait un Raconte ou bois ? propose Sophie, regard malicieux.
— Meilleur jeu de l’histoire, déclare Joël en distribuant des verres. Tu mens, tu bois. Tu dis la vérité, on te juge.
Les questions fusent. On rit, on crie, on boit.
— Léa, t’as déjà embrassé quelqu’un ici ?
— Peut-être, peut-être pas. Je bois.
— Ça veut dire oui !
— Je nie tout.
Puis vient mon tour. Et Joël ne rate pas sa cible :
— Emma. T’as déjà couché avec quelqu’un que tu connaissais pas vraiment ?
Les regards se tournent vers moi. Je fixe mon verre. Je souris.
— J’bois.
Rires. Mais un petit silence avant. Léger. Comme un frisson.
— Prochaine question ! lance Joël. Et nouvelle règle : à la prochaine réponse gênante, je vous filme pour envoyer ça à vos ex !
— Tu parles encore à tes ex, toi ? demande Sophie.
— Non, mais j’ai un dossier noir sur chacun.
L’ambiance repart en vrille. Les coussins volent, les verres se remplissent. La soirée est belle.
Sans ombre apparente. Mais moi, je sens encore le goût du vin sur mes lèvres. Et ce que je n’ai pas dit me brûle un peu.
J’ignore encore que demain, le passé va débarquer.
2 commentaires
loup pourpre
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Il y a 6 jours
ALIX Clemence
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Il y a 6 jours