Fyctia
Chapitre 9
Encore un jour avant le choc
Emma
Je me réveille lentement, le visage enfoui dans un oreiller qui ne sent pas comme le mien.
Quelque chose me gêne. Un bras. Une jambe. Une touffe de cheveux dans la bouche.
— Léa, tu baves.
— C’est faux… marmonne-t-elle sans ouvrir les yeux.
Je me redresse à moitié. On est toutes les deux entassées dans son lit, encore habillées à moitié, sous une montagne de plaids.
La soirée d’hier a été longue, bruyante, pleine de vin chaud et de fous rires.
Et là, maintenant, chaque centimètre de mon corps me rappelle que j’ai fait du snowboard hier.
— J’ai mal partout, je grogne en m’étirant.
— Bienvenue dans la team courbatures. Mon coccyx crie au meurtre.
Elle ouvre un œil.
— On se motive pour un autre round de torture blanche ?
— J’ai pas le choix. Joël va venir nous chercher en chantant "Eye of the Tiger" s’il faut.
On rigole. On s’étire. On parle doucement de tout et de rien, à moitié sous la couette, comme deux ados en colo.
C’est simple. C’est doux.
Les pistes
On part tôt pour une nouvelle journée de ski. Léa se prend en selfie au sommet de la piste, Joël chante Let It Go en chasse-neige, bras ouverts comme Elsa sous acide. Sophie râle contre ses
patins de location trop petits.
Moi, je glisse. Pas bien, mais je glisse.
Je me sens libre. Gelée, mais libre. Et c’est là que Joël rate un virage et finit, littéralement, encastré dans un bonhomme de neige.
Juste la tête qui dépasse.
— Dites à mes parents que j’ai vécu dans la gloire !
On explose de rire. Même le bonhomme de neige a l’air choqué.
Après-midi – 14h47
Direction le petit zoo local, perché à flanc de montagne. Ambiance mini-ferme enneigée, cabanes en bois et animaux à moitié planqués sous la paille.
— Si je m’évanouis de mignonnerie devant une chèvre, vous me laissez là, dit Léa en serrant une peluche dans ses bras.
— T’étais plus excitée de voir les lamas que de skier, constate Sophie.
On se promène, on rigole, on boit du chocolat chaud. Je prends des photos. Une avec Eliot, une autre de Joël en train de caresser une vache avec trop d’intensité.
Le temps ralentit. C’est calme, doux, presque irréel.
On redescend sans se presser, les doigts gelés, les joues rougies, les yeux encore pleins de neige et d’animaux.
Et quelque part dans ma poitrine, une drôle de paix s’installe. Comme si, pour une fois, tout était à sa place.
Tout semble normal. On gare la voiture dans la lumière dorée du soir.
L’air est glacé, les jambes engourdies par le ski et la marche. Tout le monde est éclaté, mais heureux. Léa fredonne, Eliot râle sur sa cheville, Sophie pense déjà au bain chaud de ce soir.
Joël court ouvrir la porte.
— Je sens déjà la raclette qui m’appelle !
On entre.
Et là…
Dans l’entrée.
Un sac sur l’épaule. Une veste noire. Un bonnet.
Il lève la tête.
Nos regards se croisent.
Benjamin.
Le monde s’arrête.
Je ne respire plus.
Je n’entends plus rien.
Il est devant moi. Vraiment là. En chair, en os, en yeux trop familiers.
— Salut, Emma, murmure-t-il.
Ma gorge se serre. Mon cœur se brise.
Tout revient d’un coup.
Les années. Le vide. Le texto. Les promesses.
Mais personne ne comprend.
Joël passe à côté, tape sur l’épaule de Ben :
— Mec, parfait timing ! T’as pas changé. T’as fait bonne route ?
Benjamin esquisse un sourire. Tendu. Figé.
Moi, je reste là. Paralysée.
Léa me regarde, confuse.
— Tu vas bien ? T’es toute blanche…
Je ne réponds pas. Je n’y arrive pas.
Benjamin ne me lâche pas des yeux. Et moi… je me demande si je suis en train de rêver. Ou de tomber.
C’est lui. Putain. C’est vraiment lui.
Il n’a pas changé. Ou si peu. Juste… grandi. Maturé. Plus carré, plus posé dans son corps. Mais c’est toujours lui. Même regard. Même bouche. Même putain de tempête silencieuse dans les yeux.
Toujours aussi beau. Toujours ce truc que je n’ai jamais su décrire. Ce truc qui me fait buguer, là, maintenant, comme si le sol venait de s’ouvrir sous mes pieds.
Mais y’a un détail. Une énergie différente. Il est changé. Pas méconnaissable. Juste… plus sombre peut-être. Plus intense.
Ou c’est moi ?
C’est peut-être moi qui suis différente. Moi qui l’ai rêvé tellement de fois que je ne sais plus faire la part des choses.
Et maintenant il est là. En chair, en os, dans ce foutu chalet, dans ma bulle, dans ma vie que j’avais parfaitement rangée. Et moi, je suis là. Figée. Piégée.
Je suis dans son putain de chalet. Et je n’ai nulle part où fuir.
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