ALIX Clemence Sous les flocons Chapitre 5

Chapitre 5

Bière, glitter et un prénom de trop

Emma


— Ce soir… c’est moi ? Sérieux ?


La bouteille est formelle. Elle pointe vers moi, penchée sur le tapis du salon, comme un doigt de destin. Autour, les autres explosent de rire.


— Oh que oui, ma belle, jubile Joël. Ce soir, on te rend chaude comme un mojito en pleine canicule.


— Elle a déjà chaud, rigole Léa en lançant un coussin.


— C’est pas faux, souffle Sophie. Ça fait quoi ? Huit mois que t’as pas pécho ?


Je grogne, roule des yeux, mais je souris. Parce que c’est vrai. Parce que j’en ai marre d’être sage, raisonnable, organisée. Et ce soir, c’est mercredi. Notre mercredi. Nos fameuses sorties improvisées, piochées au hasard dans le Grand Grimoire des Meilleures Sorties Étudiantes, planqué dans un placard au fond du bâtiment G.


Ce soir, le sort a choisi un bar de Williamsburg, ambiance tamisée, néons roses, cocktails débiles et playlist qui tape fort.


Je file m’habiller sous les cris d’encouragement.


Quelques minutes plus tard, je réapparais. Talons. Robe noir satiné. Col plongeant. Dos nu.

Cheveux bouclés. Un peu trop brillants. Lèvres rouges. Trop rouges peut-être.


— Maman, elle va chasser ce soir, lâche Eliot en croquant une chips.


— Oh que oui, répond Joël avec un clin d’œil. Emma’s back, bitches.


Bar “The Velvet Roof” – 22h47


La musique est bonne, les gens sont beaux, et les verres ne sont pas encore vides. La fatigue de la journée s’est dissoute quelque part entre un mojito trop sucré et un shooter à la cannelle.


On rit, on parle de tout, de rien. Des exams, de nos profs timbrés, des vacances à venir.


— Mince, faut qu’on pense à prendre un cadeau pour ton cousin, glisse Sophie à Joël en sirotant sa bière.


Et là, le prénom claque dans ma tête. Comme une gifle glacée. Benjamin.


Je me fige à peine. Un battement de cœur. Deux.


— Bah, il a toujours pas répondu à ma mère, réplique Joël en haussant les épaules. Il est en mission, de toute façon. Je suis même pas sûr qu’il vienne.


Je souris. Faux. Et je bois. Vrai.


— Emma, tu passes ! hurle Léa. Ta chanson est prête !


J’attrape le micro. Mon cœur tambourine.


Les premières notes résonnent. “All I Ask” – Adele.


Silence. Puis ma voix. Douce, vibrante. Presque fragile.


Je chante pour personne. Je chante pour moi. Pour ce que j’ai perdu. Ce que j’ai jamais vraiment lâché.


Quand je relève la tête, ils m’applaudissent. Joël a les larmes aux yeux. Eliot me tend un verre. Léa me serre la main. Et Sophie dit juste :


— Tu viens de niquer mon mascara, bordel.


J’ai encore le micro dans la main. Mon cœur bat à l’envers. La chanson d’Adele résonne encore en moi, comme si j’avais arraché un bout de ce que je retiens depuis trop longtemps.


Je descends de la petite scène sous les applaudissements. Eliot me tend un verre, Léa m’embrasse sur la joue, Joël chuchote “T’étais magnifique” à mon oreille.


Mais dans mes veines, ça cogne encore. J’ai besoin de sortir. De respirer. De brûler quelque chose.


Je passe entre les corps, remonte vers le fond du bar, croise un regard.


Un mec. Grand. Bien bâti. Regard franc. Une bière à la main. Il me regarde comme si j’étais un orage.


Je m’arrête. Lui aussi. On ne dit rien. C’est pas ce genre de moment.


Je me penche à son oreille.


— Viens.


Il me suit.

On entre dans les toilettes à deux. Verrou claque. L’odeur d’alcool, de désinfectant. Pas glamour. Mais ça m’importe pas.


Je l’embrasse. Fort. Vite. J’ai besoin que ça m’efface.


Ses mains glissent sur ma peau, mes cuisses, ma taille. Je ne pense plus. J’existe, là, contre un mur froid, le souffle court, les jambes tremblantes.


C’est bon. C’est rapide. C’est presque silencieux. Je rouvre les yeux. Il me regarde, perdu.

Je souris. Juste un peu. Puis je remonte ma robe, remets mes boucles en place, passe un doigt sur mes lèvres rouges à moitié effacées.


— Merci.


Je sors sans me retourner.


Dans la rue, vers 2h du mat


On marche, talons à la main, frites dans l’autre, sandwichs dégoulinants entre deux rires.


La ville est encore éveillée, les néons tremblotent, un air de jazz s’échappe d’un bar fermé.


— Vous croyez qu’on est prêts ? demande Léa, rêveuse.


— Prêts pour quoi ? demande Eliot, la bouche pleine.


— Pour les vacances. Le chalet. Le froid, la neige, les chocolats chauds… le calme après ce chaos.


Sophie grogne :


— Moi j’suis pas prête à dormir à trois dans une chambre sans chauffage. Mais j’ai hâte quand même.


Joël s’approche, glisse son bras autour de mes épaules avec son sourire à moitié moqueur, à moitié tendre.


— Alors, ma lionne… c’était comment ? Ce charmant inconnu ?


— Qui ? je feins l’innocence.


— Ne me prends pas pour un amateur, Emma. T’étais partie en mode tornade sensuelle, puis t’es revenue avec les lèvres rouges effacées, les cheveux défaits, et ce regard genre "j’ai mangé un piment et je le vis bien".


Je lève les yeux au ciel.


— C’était… ce que c’était.


— Traduction : intense, rapide, efficace.


Il me regarde. Sérieusement cette fois.


— Ça t’a aidée au moins… ou tu t’es juste un peu plus perdue ?


Je ne réponds pas tout de suite. Mon sandwich est tiède. Mon cœur aussi.


— Je sais pas encore. Mais sur le moment… j’en avais besoin.


Joël ne dit rien. Il se contente de me serrer un peu plus fort contre lui.


— OK. Alors c’est validé. Mais promets-moi juste une chose ?


— Quoi ?


— La prochaine fois, choisis-en un avec un prénom. Et un cerveau.


On éclate de rire. Sophie râle parce que son ketchup a coulé sur son manteau. Eliot parle de refaire une tournée avant les vacances. Léa fredonne la chanson d’Adele encore dans sa tête.


Et moi… Moi, je pense à rien. Ou j’essaie, en tout cas.

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