Fyctia
Chapitre 4
Quelque part dans le désert, base militaire américaine
Benjamin
Le sable frappe les vitres blindées comme des balles de sel. Le soleil tape. Même à l’intérieur du baraquement, la chaleur est sèche, implacable.
Je retire ma veste, pose mon arme, et m’assois en silence. Mon cœur cogne plus fort que d’habitude. Pas à cause de l’adrénaline… mais parce que, pour la première fois, je vais appuyer sur pause.
— Hey, mec. Tout va bien ? demande Smith, mon binôme depuis deux ans.
— Ouais. Enfin… ouais. Juste besoin de souffler.
— T’as jamais soufflé, Ben. T’es une putain de légende ici. T’as sauté sur des mines, couru sous la mitraille, ramené des types morts-vivants… et là tu me parles de vacances ?
Je hausse les épaules.
— À un moment, tu réalises que survivre, c’est pas vivre.
Smith arque un sourcil sans détourner les yeux de son café.
— C’est philosophique, ce que tu dis là. T’as lu un bouquin ou quoi ?
Je secoue la tête, un ricanement sans humour au bord des lèvres.
— Bordel non. J’ai vu une photo. Et elle m’a foutu en l’air.
— Une photo ?
Je sors mon téléphone, l’écran encore ouvert sur le profil Insta de Joël.
— Sur le profil de mon cousin. Joël.
— Le mec hyper gay et stylé ? Celui qui porte des boots pailletées et cite Beyoncé à la moindre occasion ?
— Lui-même.
Je tourne l’écran vers lui. Il plisse les yeux. Et là, il la voit.
— Ah ouais. Elle.
Silence.
— Emma.
Juste son prénom, et j’ai l’impression que le sol se dérobe.
— C’est la deuxième fois que je la vois en photo avec lui. La première, j’étais pas sûr. Elle avait des lunettes, un bonnet, c’était flou. Mais là…
Je déglutis.
— Là, c’est elle. Son sourire. Ses yeux. Même ses cheveux. Elle a changé, ouais. Mais c’est toujours elle.
Smith siffle doucement, penché sur l’image.
— The girl. Celle que t’as jamais oubliée.
Je hoche la tête, le cœur en vrac.
— Huit ans que je me répète que c’est fini. Que c’est mort. Qu’on était que des gosses. Mais cette photo… putain. Elle me détruit.
Je fixe l’image comme si elle allait me répondre.
— J’ai besoin de savoir. Qui elle est devenue. Et qui je suis… sans tout ça.
Il tape dans son paquet de clopes, m’en tend une.
— Va la retrouver, Ben. On tient la ligne ici. Mais toi...va voir ce qu’il reste de ton passé.
Je me lève. Lourdement. Comme si je quittais une vie entière derrière moi. Et peut-être que c’est exactement ça.
Quelque part, zone hostile – 05h17
Le ciel est noir, criblé par les flashs des tirs ennemis.
L’air pue la poudre et le sang. Le sable colle aux bottes, trempées de boue et de tripes. Mon souffle est coupé, mais je rampe. Je tire. Je hurle.
— Loïc ! Putain, LOÏC !
Il est là, à trois mètres. Une balle dans le flanc, son gilet éclaté. Il serre les dents, les mains tremblantes sur sa plaie. Mais ses yeux… ses yeux restent calmes. Trop calmes.
— Ben… replie-toi. C’est foutu.
— Ta gueule. J’te laisse pas. Tu m’entends ? Tu m’as dit que tu voulais vivre !
Je vide mon chargeur sur les silhouettes qui approchent. Trois tombent. Un reste. Je l’abats au couteau. Pas de réflexion. Juste l’instinct. L’animal.
Quand je reviens vers Loïc, il respire encore. À peine. Il crache du sang. Et il sourit. Ce con sourit.
— Tu te souviens… ce qu’on disait ? La vie… c’est un fil. Un putain de fil. Là où on est… ça tient à rien. Cough. Alors fais pas l’erreur de le couper toi-même.
Il tousse, violemment cette fois, et une nouvelle giclée de sang tache sa veste. Je serre les dents.
— T’es encore amoureux, hein… d’cette fille.
Je dis rien. La gorge en feu, le cœur au bord du gouffre.
— Tu vas faire quoi… après ça ? Tu vas redevenir une machine ? Continuer à saigner pour les autres pendant que ton cœur crève ? Cough… Regarde moi, où j’en suis !
Il tente de se redresser mais son corps flanche. Je le prends dans mes bras. Je le soulève, malgré le poids, malgré la douleur. J’ai des balles dans le bras, du sang dans les yeux, mais j’le ramène.
Coûte que coûte.
Exfiltration – 06h02
L’hélico arrache la terre en décollant. Loïc est allongé à côté de moi. Sa main serre la mienne. Il me chuchote, la voix déjà ailleurs :
— Dis à Léa… que j’aurais aimé… être là pour la petite. Et… dis-lui que je n’ai jamais cessé de l’aimer.
Son regard se vide. Je hurle. Mais le vent emporte tout.
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