ALIX Clemence Sous les flocons Chapitre 2

Chapitre 2

Gloss, café, et grammaire italienne

Emma


Petit matin, Brooklyn


La lumière d’hiver filtre à peine à travers les rideaux clairs de notre petit appart à Bushwick. J’ouvre les yeux, j’étire mes jambes sous la couette et je reste là un instant, à écouter le silence.


Dans la pièce d’à côté, Léa dort encore profondément, sûrement roulée en boule sous sa couette à motifs de sapins moches.


Je souris. Rien ne presse. Enfin, presque.


Je me lève doucement, j’enfile mon gros gilet molletonné couleur crème, j’attrape ma tasse fétiche et je me glisse sur la terrasse minuscule de l’immeuble. Une vue brouillée sur les toits de

New York, des cheminées fumantes, les bruits lointains de la ville qui s’éveille. C’est pas grand, pas glamour… mais c’est chez moi.


Je m’assois, je souffle sur ma tasse brûlante, et je regarde la fumée s’échapper lentement. Un moment suspendu.


Et sans prévenir, le prénom revient. Benjamin.


Ça fait quoi… huit ans ? Peut-être plus. Et pourtant, son visage reste là, quelque part. Son rire, nos conversations, nos promesses idiotes de lycée.


Mon premier amour. Mon seul amour, si je suis honnête. Je lui ai tout donné.


Et il m’a laissée avec un simple texto : "Je dois partir. Bonne chance pour la suite."


Même pas un appel. Même pas un vrai au revoir.


Je me souviens encore du vide ce jour-là. Et je me souviens surtout de ce que je me suis promis ensuite :

plus jamais.

Plus jamais dépendre de quelqu’un.

Plus jamais accorder autant.


Aujourd’hui, je gère.

Fac de langues étrangères, cinq langues à mon actif. Une vraie machine.


Un job dans un musée à deux rues d’ici, bien payé pour traduire des catalogues, des conférences et des expos entières.

De quoi payer le loyer, les factures, et mon indépendance.


Et surtout, plus de famille dans les pattes. J’ai coupé les ponts, depuis longtemps. Mais ça, j’en parle pas. Pas encore.


Je jette un coup d’œil à mon téléphone et je me redresse d’un coup.


— Merde, je suis à la bourre !


Je file dans la cuisine, je prépare un café pour Léa et je le laisse fumant sur le comptoir avec un mot griffonné à la va-vite :


"Ton café t’attend. Lève-toi en douceur. À ce soir, coloc. – E."

Et je claque la porte derrière moi, les joues encore rougies par le vent… et les souvenirs.


Fac, quelques minutes plus tard


Je pousse la porte de l’amphi avec mon latte encore chaud en main. Joël est déjà là, installé au deuxième rang comme toujours. Son ordi est bien ouvert, mais sa fenêtre active affiche un site de fringues bien plus coloré que notre cours de phonétique.


— T’as deux minutes de retard, me lance-t-il avec une grimace théâtrale.


— J’ai littéralement couru.


— Et j’ai littéralement cru que j’allais mourir d’ennui sans toi. C’est bon, le drame est posé ?


Je ris et je me laisse tomber à côté de lui. J’adore commencer mes journées avec Joël. Même à huit heures du mat, il rayonne comme un sapin de Times Square.


— Tu m’as gardé une place ?


— Non, je t’ai revendiquée. Genre : “désolé, cette place est réservée à ma copine hétéro préférée avec des cernes de panda et un cœur de guerrière.”


— Poétique.


— Je sais. Je suis un poème qui porte des baskets arc-en-ciel.


Je souris, puis je pose mon sac à mes pieds.


On a tous les deux choisi langues étrangères, et c’est ici, dans ce cours, qu’on a rencontré Sophie, il y a deux ans.


Elle râle tout le temps, mais elle a un cœur plus tendre que du Brie fondu.


Le reste de la bande s’est formé petit à petit.


— T’as bossé le texte en italien ? je demande, soudain réaliste.


— Bossé, non. Traduction Google, oui. On est sur un mood approximatif mais chic.


J’étouffe un rire et je sors mon propre ordi.


— Tu vas te faire allumer.


— Ah non, moi je me fais pas allumer, je me fais célébrer. Et si je sens que je galère, je fais tomber un bouton de chemise, je balance un “Ciao bella” bien placé, et bim, la magie opère.


Je secoue la tête, hilare.


— T’es impossible.


— Et toi t’es plate. Fais un effort, Emma, au moins mets du gloss.


— J’ai eu deux minutes ce matin.


— Deux minutes ? C’est tout ce qu’il me faut pour commander un café, choisir un outfit et faire un commentaire passif-agressif. Tu peux y arriver.


Le prof entre. Murmures dans la salle. Portables qui se rangent à contrecœur.


Joël se penche une dernière fois vers moi.


— J’espère qu’il a mis son pull en cachemire. J’ai besoin de distractions visuelles sinon je vais littéralement me défenestrer mentalement.


Je souris sans répondre.

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