Fyctia
Chapitre 15 Léria 1/2
10h30, le stand de Chris est assailli par une marée humaine de grands-parents ou de touristes égarés armés de leurs paniers et charrettes.
Les commandes s'enchainent très vite, trop pour moi. J'ai clairement la face de la gamine inexpérimentée, mais cela n'empêche pas la clientèle de me sauter dessus.
Chris et Antone valsent harmonieusement d'un client à l'autre, exécutent avec minutie sourire, service, vente et "passez le bonjour à votre femme, bonne semaine !".
Moi, je suis à deux doigts de faire une attaque. Il y a tellement de monde autour de moi que je ne perçois plus l'allée et tout semble à croire que cette foule n'est pas prête de diminuer.
Avant 11h, j'ai fait plus fuir de client que j'en ai servis. Il faut dire que distinguer le pomelos du pamplemousse, non, ce n'est pas un talent inné, navrée. Et tandis qu'un sac trop plein de clémentines se désagrège pile au moment où je le tends au client, je me dis que je ne vais pas survivre à cette matinée. Définitivement pas.
11h38, ça y est, le stand se désemplit, les consommateurs emportent avec eux un peu de mon énergie vitale dans chacun de ces agrumes. Je profite de ce calme pour m'écrouler sur la première chaise pliante qui passe. Petite et peu confortable, mais bon sang, je suis prête à me liquéfier sur le sol si besoin est !
- Savoures ta pause la Pins, le deuxième round ne devrait plus tarder, ricane Antone en s'approchant de moi.
- Je peux savoir ce que je t'ai fait pour que tu veuilles autant m'achever ?
- Tu devrais plutôt me remercier. Est-ce que t'as une seule fois broyé du noir depuis qu'on est arrivé ? rétorque-t-il.
Je ne réponds pas, cela sonne comme un aveu. Mais ce n'est pas comme s'il avait tort. Pour tout dire, j'ai la tête ailleurs depuis qu'il m'a dit de me préparer. Alors non, on ne peut pas nier qu'il a été plutôt efficace.
- Et si vous alliez plutôt profiter du marché ? propose Chris en nous lançant à tous les deux un peu d'eau pour nous désaltérer.
Cette simple idée fait naître des étincelles dans mon regard.
- Tu auras besoin de bras pour gérer le monde, soutiens Antone, on va rester.
- Tu ne faisais pas 1 mètre quand j'ai repris le flambeau mon grand, soit sans crainte je saurais gérer une fermeture tout seul. Et puis, si tu as tant la fibre commerciale, tu ne laisseras pas cette charmante demoiselle servir encore une fois. Avec elle je vais finir sur la paille, s'amuse Chris de mes maladresses.
Je le vois dans les yeux d'Antone, il sait qu'il va devoir céder. Je m'accroche à cette étincelle de reddition et, tout en me levant d'un air déterminé, j'énonce assez bas pour que lui seul m'entende :
- On a passé un marché, bourriquot. Et puisque tu m'as déjà roulé, dès le premier jour, je pose une nouvelle condition : soit tu m'accompagnes maintenant, et nous serons quittes pour aujourd'hui. Soit, je pars faire ma promenade sans toi, et notre marché devient caduc.
Je croise les bras tout en lui lançant un regard rempli de défis. Je ne veux absolument pas que notre petit armistice tombe à l'eau, surtout qu'il vient à peine de commencer. Cependant, rien ne m'empêche de jouer un peu avec lui, non ?
- Je sais pertinemment que même si je refuse, notre arrangement ne sautera pas quand même la Pins, c'est du vent ce que tu dis. Des menaces en l'air, répond mon adversaire bien trop confiant en se rapprochant de moi.
- Ah oui ? je susurre. Tu n'as qu'à essayer pour voir. C'est à prendre, ou à laisser.
Son regard et le mien se sont accrochés dès le début de mes négociations. Ainsi, je perçois très nettement le changement qui s'opère dans ces eaux bleues. Notre échange l'amuse tout en le mettant hors de lui. La tornade ne sait plus sur quel pied danser et se met à se mordre nerveusement la lèvre, manie que je n'avais pas encore décelé chez lui.
- A 14h on est de retour pour aider Chris à remballer, cède enfin mon acolyte, non sans un ton ferme.
- Oh, enfin... Ne dis pas ça comme si tu venais de gagner, je ris d'un ton empreint de malice.
Dans ses prunelles, j''y lis tout ce que ses mots ne me disent pas. Je lui réponds ainsi tout ce qu'il ne sait pas. A partir de maintenant, c'est moi qui mène la danse.
***
Durant les heures qui suivent, Antone se comporte comme un tortionnaire exemplaire. Son attitude réticente à la moindre de mes suggestions ne m'empêche cependant pas de m'amuser.
Il faut dire que la majorité des gens ici respirent la joie. Ils sont heureux de leur vie, de leur traintrain quotidien au marché. Et c'est communicatif. Le chant des oiseaux se mêle au brouhaha ambiant, ponctué ici et là d'altercations des marchands ventant leurs divers produits. Des milliers d'odeurs sucrées et salées m'assaillent langoureusement. Des enfants courent par endroit dans cette petite place aménagé où Antone marche à mes côtés. Les nuages sont bas, tamisant le soleil et ses éclats.
- Oh, je n'en avais jamais vu de si beau ! m'exclamé-je en me dirigeant vers un vendeur de coquillage.
Parmi toute sa collection, c'est une petite trouvaille qui attise ma convoitise : une petite coquille nacrée qui s'enroule sur elle-même tout en déployant de sublimes nuances de vert.
Alors que mon regard balaie langoureusement le reste de l'étal, je sens Antone s'approcher pour regarder au-dessus de moi.
- Ce ne sont même pas des coquillages qu'on trouve ici, nargue-t-il sans prêter attention au vendeur.
- Tu vas me dire que lui aussi c'est un croc-touriste, tout comme le vendeur d'opinel et de Corsica Cola ?
- Le vendeur d'opinel n'est pas un escroc, je dis juste que le bois de ses lames n'est pas de très bonne qualité. Et pour celui de Corsica Cola ça tombe sous le sens enfin ! On n'a pas d'usine de coca ici !
Je repose mon beau coquillage, jurant de repasser le récupérer avant de m'éloigner du stand tout en emportant ce scélérat avec moi.
- Ecoutes gamin, saches qu'il existe dans ce monde des gens qui peuvent avoir des goûts différents des tiens. Et si mes goûts concernent les attrapes touristes, qu'il en soit ainsi ! je murmure bien trop fort.
- Quand je t'aurais appris tout ce qu'il y a à savoir ici, tu ne seras plus une touriste, réplique-t-il sérieusement.
Je sens le rouge me monter aux joues, car je ne sais pas pourquoi mais ses propos m'atteignent. La perspective qu'ils insinuent met du miel sur mon cœur et du coton dans ma tête.
- En attendant, dis-je, tentant de garder une certaine prestance, je reste une touriste en expédition. Je commence par la coquille, et après le cœur de l'île. Donc tu m'excuseras mais il me reste un ou deux stands à faire.
Sur ces mots je le laisse ici, lui dissimulant par la même occasion les vagues qu'il fait naître en moi.
- Mais où tu vas la Pins ?! s'interroge-t-il.
- Me rafraîchir avec du Corsica Cola, bourriquot ! A plus !
J'ai peut-être le cerveau ravagé par ses soins mais une chose est sûre : s'il veut me retourner les nerfs à la petite cuillère, je ne resterais pas sans rien faire. Nous serons deux à jouer.
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