Fyctia
Chapitre 14 Léria
Antone a littéralement bafoué les règles de notre contrat signé à l'eau de mer. Nous ne sommes que dimanche, le peu d'heure de sommeil accumulé transforme en confettis la moindre pensée cohérente. Cela explique sans doute pourquoi je m'engouffre si passivement dans ce guet-à-pent. Après tout, ça ne peut être que ça non ? Son sourire à peine dissimulé était bien trop menaçant. Mignon, mais menaçant.
Bien que j'ai empaqueté mes affaires en quatrième vitesse et que je débarque tel Speedy Gonzales au point de rendez-vous, il semble que cela ne convient toujours pas à monsieur le rabat-joie, qui, j'en suis sûre, prépare déjà sa prochaine bourrade à mon égard.
Evidemment en constatant cela, je me fais une joie de le devancer.
- Oh là là ! je tonne. Mais enfin Antone réveille toi. Pourquoi la voiture n'est pas encore démarrée ?! le réprimandé-je.
Je jette mon sac sur la banquette arrière et grimpe dans la Ford sans lui laisser le temps d'en placer une. A peine me suis-je installée que je libère une cacophonie orchestrale en assaillant le klaxon usé.
- On avait dit DIX minutes, ça va faire neuf là, du nerf gamin !
Je crois voir ses yeux quitter leurs orbites tandis qu'il joue les plots de signalisation en restant planté là. Peut-être énumère-t-il les meilleures façons de me faire taire, nul doute que m'assassiner fait partie des options.
Soudain, il traverse la distance qui nous sépare et se retrouve face à moi dans le véhicule, à moitié engagé sur le siège conducteur.
- Appuie encore sur ce klaxon et je te jure que je te ramène au port, dit-il en saisissant ma main pour m'empêcher de continuer.
- Si tu veux me voir partir il faudra me jeter sur le bateau en marche. Sinon je me ferais une joie de grimper à nouveau jusqu'ici, je lui réponds, provocante.
Je suis restée encore quelques secondes sous son regard meurtrier avant qu'il ne laisse glisser ma main dans un soupir.
- Pousse-toi, tu prends toute la place, rétorque-t-il tandis qu'il s'installe et allume le contact. Et ne m'appelle plus jamais gamin, la Pins. Je te rappelle que c'est moi l'ainé ici.
Je ne réponds rien, me contente de lever les yeux au ciel tout en réprimant mon envie de rire. Maintenant, et grâce à lui, je sais comment le faire bisquer. Mouahahah, chantonne ma petite voix.
***
Les longs sillages de la route déserte s'accompagnent d'un silence de mort. J'entends presque les corbeaux croasser... La raison de cette sinistre image ? Le poste de radio qui, à mon grand malheur a décidé de prendre une retraite anticipée. Voilà donc dix bonnes minutes que je me démène pour tomber sur une station, n'importe laquelle vraiment, mais rien n'y fait.
- On ne capte rien les premiers kilomètres, argue Antone, alors cesse de torturer ma radio.
J'augmente le volume des grésillements.
- Sait-on jamais. T'as pas une clé USB qui traîne avec quelques sons enregistrés ? demandé-je.
- Non. Mais il doit rester des CD dans la boîte à gants.
Chose dite, chose faite, je débusque une petite pille de ces carcasses ancestrales. Parmi la sélection dont je dispose, seuls quelques titres d'une compilation nommée "voyage" m'évoquent quelque chose. J'insère le disque poussiéreux dans un "clic", attends... Et rien.
- Il doit être rayé, réplique le conducteur.
- Certes, dis-je en tentant de dissimuler mon dépit. Et sinon, tu pourrais peut-être me dire où on va ? je m'enquiers, hésitante.
Le fait que nous partions sans Rafaël me donne une étrange sensation. Ce n'est quasiment jamais arrivé jusqu'ici, si ce n'est l'autre matinée dans le verger et hier soir.
Etonnement, je tolère mieux sa présence et sa mauvaise humeur. Plus surprenant encore, je crois que lui aussi arrive à me tolérer. J'apprécie cette idée.
- Patience. Nous sommes bientôt arrivés.
- Non mais -
Un éclair de vie secoue soudainement le poste qui me coupe la parole. La musique se diffuse dans tout l'habitacle.
-" Elle préfère l'amour en meeer, c'est juste une question de tempooo
Elle rêve d'un long voyage sur un paquebot ow ow ow"
- Dois-je comprendre que tu veux vraiment que je te ramène au port ? s'amuse Antone.
Je saisis son regard perçant dans le rétro.
- Non, mais merci de proposer, je lui réponds en passant à la musique suivante.
- " Dans nos corps à corps ! Elle m'a emporté vers d'autres pooorts !
Cœur à cœur, dans la chaaaleur des nuits d'équateurs ! "
Les années 80 ne m'ont jamais autant abandonnées qu'à cet instant. Le karma en a après moi. Si mourir d'humiliation est possible, je ne suis pas loin du trépas.
Dans ce tourbillon de chaleur qui monte à mes joues, je saisis tout de même le rire d'Antone. D'abord doucement. Puis c'est un éclat.
- Et bien ! chantonnet-il. Ça faisait très longtemps que je ne les avais pas écoutées !
Sur ces paroles hilares, nous entamons un dernier virage avant de nous arrêter. Notre destination ne me dis rien, c'est un beau village que je n'ai pas encore traversé et qui se réveille à flanc de falaise.
En quittant le véhicule, je perçois des sons que je parviens facilement à assimiler. Aussitôt l'impatience me gagne.
- On va au marché ?! je m'exclame, ravis par cette idée.
L'expression de tortionnaire qui balai le visage d'Antone me fait vite déchanter.
- Rectification, on va faire le marché. Chris a toujours besoin d'aide.
Si je ne m'y connaissais pas, je dirais qu'il a une allure sadique. Il me laisse à peine le temps de réaliser qu'il m'entraîne déjà à sa suite, une caisse de produits provenant du verger dans les bras.
- Il est à l'emplacement 13, annonce Antone en haussant la voix pour couvrir le brouhaha naissant dans les allées.
Je passe devant les présentoirs sans m'arrêter. La déception me gagne de ne pas pouvoir y flâner plus longtemps, pour essayer ce chapeau là-bas, ou encore goûter ces petites sucreries ici. Une autre fois.
Il me suffit d'un simple coup d'œil sur le stand 13 pour voir que Chris n'a absolument pas besoin de notre aide. Il est tôt, le flux de client est régulier et il ne croule pas sous les commandes. Tout est déjà en place, il n'avait même pas besoin qu'on lui rapporte notre marchandise. Clairement, il gère.
- Salut les jeunes ! Qu'est-ce qui vous amène ? s'enquiert mon oncle.
- Elle voulait découvrir le monde du marché, énonce Antone en me désignant.
Malencontreusement, je lui écrase le pied en déposant la lourde caisse.
- Exactement ! Je me suis dis que ça pourrait être très enrichissant, dis-je avec mon plus beau sourire.
- Prends plutôt ça et va attirer les anciens par ici.
Tout en parlant, Antone me tend des pancartes cartonnées. Je me trouve alors à jouer les présentoirs pour récolter le sourire des mamies qui passent. Puis, l'absurdité de la situation me saute aux yeux.
Suis-je en train de jouer les mascottes pour agrumes ?!
Il se fou de moi, et cela prend encore plus sens quand je lis les inscriptions desdites pancartes :
" Pas jolis mais exquis", " Gueule cassée mais vitaminé ! "
Je sens le feu s'allumer.
Ma vengeance sera terrible.
8 commentaires
Annie.
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Il y a 2 ans
Ria Victory
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Gabrielle Dubois
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Il y a 2 ans
Aurélie Benattar
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Agathe Pearl
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Damien Aulongcours
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Il y a 2 ans