Fyctia
Chapitre 13 Antone
Le départ de Rafaël laisse monter en moi une désagréable sensation de malaise. Et pour combler le silence de ma chambre désertée, mes pensées ont la merveilleuse idée de s'agglutiner dans un coin de ma tête.
Je ne saurais dire s'il s'agit des quelques résidus de mon cauchemar récent ou bien le bon penseur familial qui me fait cet effet, mais toujours est-il que je garde la désagréable sensation qu'on s'amuse à décrasser mes méninges.
J'ai besoin d'air. La pièce tout entière ne me renvoie qu'un reflet kaléidoscopique de ce qu'est ma vie. J'étouffe.
Ma quête de fraîcheur me mène à gagner en quelques pas la dalle au carrelage écorché du balcon. Ce motif géométrique tant de fois vue et revue. J'ai tellement contemplé et dessiné ce schéma familier, seul témoin matériel de mes pires moments, de mes accalmies...
Un sourire amer étire mes lèvres. Ça fait des jours que je m'interdis d'y mettre les pieds. Chose à laquelle je n'ai pas dérogé depuis l'arrivée de ma trouble-fête de voisine.
Mon regard gagne l'horizon, scrutant cette vue toujours aussi sublime qui se pare de toutes les nuances de vert et d'émeraude. Le matin couvre la plaine d'un merveilleux éclat. Au loin, le saule pleureur veille sur ses terres, toujours fidèle à son poste de guet.
Je recule d'un pas, posant délicatement ma tête en ébullition contre le crépi encore frais du début de journée. Ma chambre est souvent noyée dans l'ombre, puisque la végétation qui l'entoure est dense. Je savoure cette paisibilité, le chant des oiseaux. Mon havre de paix est intact. Alors seulement, je m'autorise à fermer les yeux.
Le vent balaie mes cheveux, accompagnant avec lui l'écho d'un soupir las. Je n'ai pas besoin de chercher très loin pour savoir qui en est l'auteure. Léria.
Ma chambre ouvre sur le côté de la bâtisse tandis que la sienne donne directement sur l'avant. Autrement dit, il se peut qu'elle ne m'ait pas encore vu, à moitié dissimulé par le mur.
Je ne vais pas nier que l'idée de la laisser là et partir sans un bruit m'a traversé l'esprit. Et qu'elle a réitéré son passage. Plusieurs fois. Malgré tout, c'est au prix d'un énième combat avec ma bonne conscience que je finis par me détacher du mur pour affronter le soleil assaillant. Je passe de son côté du balcon.
Léria est assise sur la céramique froide. Ses jambes, passées au travers des courbes du garde-fou en fer forgé, exécutent une danse hasardeuse dans le vide.
- Salut, murmuré-je en m'approchant lentement.
Elle tourne vers moi des yeux rougis, encore plus visible avec le Soleil qui l'incendit dans sa course.
- Salut, prononce-t-elle d'une voix enrouée. Bien dormis ?
- Très, je lui réponds du tac-au-tac.
Malgré le fait qu'il soit évident qu'elle ait passé les dernières heures à pleurer, un sourire est encore là pour égayer son visage. En se mettant à trifouiller ses mains nerveusement, je m'aperçois qu'elle y tient une photo.
Les couleurs y sont ternes, le flash y est démesurément trop prononcé et une fine pellicule de poussière recouvrait le tout jusqu'à ce qu'elle y mette ses doigts.
Cette photo, je la reconnais. Il s'agit de la dernière en date sur laquelle s'affiche toute la famille Pietri. Moi y compris.
J'étais déjà un bébé qui tenait sur ses pattes là où Raf et Léria n'étaient que des poupons. Deux beaux cadeaux à Noël.
Je détourne le regard. Ma gorge se serre à nouveau. Raf a peut-être raison finalement... Je ne suis toujours pas prêt.
- Sans vouloir offusquer, tu as mauvaise mine, répond-elle face à ma gêne qui s'installe.
- Sans vouloir offusquer, tu es mal placé pour me dire ça. T'as l'allure de la scema du village.
En voyant qu'elle ne comprend pas, je m'empresse d'ajouter :
- Scema veut dire folle selon le patelin d'où tu viens, la Pins.
Sans que je ne m'y attende, Léria part d'un rire sauvage qui se met à vibrer dans l'air. Je reste là, interdis, à contempler l'incrédulité de sa réaction. C'est un peu comme de foutre de la gueule du mauvais sort tout en ayant pleinement conscience du bourbier qui se trame. C'est un concept particulier.
- Wow, décidément, lance-t-elle. Aujourd'hui s'annonce comme une belle journée de merde, pas vrai ? m'interroge-t-elle tout en continuant de rire.
- Il faut croire que oui, dis-je sans chercher à le nier.
Quelques secondes de silence glissent entre nous avant qu'elle ne reprenne la parole.
- En tout cas merci pour la traduction, même si j'avais quelques idées sur ce que ça pouvait être.
- Je ne manquerai pas une occasion de t'informer, sois sans crainte. Rétorqué-je, soulagé du ton plus léger que prend cette conversation.
- Ne cherchez pas à me doubler monsieur, ce n'est que demain que commence le stage intensif.
À ces mots, et tandis qu'un nouveau silence s'installe, une idée germe entre mes tempes déchiquetées. Peut-être cela ne fera-t-il qu'aggraver mon mal de crâne. Ou peut-être qu'au contraire, cela me soulagera l'esprit d'avoir littéralement la tête ailleurs.
- Changement de programme la Pins, je lui lance alors. On commence aujourd'hui.
- Q-Quoi ?! Mais comment ça "on commence aujourd'hui" ? Scande-t-elle en tentant d'imiter ma voix.
- Soit prête dans 10 minutes, je t'attendrais à la Ford.
Alors qu'elle se redresse difficilement de sa position improbable sur le balcon, je m'empresse quant à moi de regagner ma chambre. Je ne lui laisse aucune seconde de répit. Elle a voulu découvrir la Corse sous toutes ses facettes ? Qu'il en soit ainsi. Elle sera servi.
- Et prends de l'eau, tu en auras bien besoin... je lui scande en refermant promptement ma porte-fenêtre.
Je l'entends à peine formuler une insulte que je suis déjà partie.
C'est résolument une journée de merde qui s'annonce là.
Mais c'est la première journée de merde que je démarre avec le sourire.
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Aurélie Benattar
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Damien Aulongcours
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Eunoïana
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