Fyctia

Je ne vais pas mentir, j'ai connu mieux en matière d'arrivée fracassante. Je me fais l'effet d'une lycéenne dans une quête d'amitié qui a mal tourné. Cette vision a de quoi me faire frissonner. Brrr, quel passé sombre.

Le sable m'accueille plus généreusement et je tente en vain de saisir le fil de la conversation. Je n'en comprends que quelques bribes et décide donc de reporter mon attention sur une nouvelle activité : man-ger. Les chips ont ce don magique de toujours être une extase de saveur dans toutes les situations. Le gout barbecue de celles-ci ne fait pas exception...

Plus les minutes s'égrènent et plus je commence à me dire que mon quota de sociabilité de la soirée a atteint son apogée. J'ai perdu le cours du temps dès que la nuit est tombée et je ne serais pas surprise de découvrir que cela fait déjà plusieurs heures que nous sommes ici.

Je fixe le vide un bon moment avant qu'une alarme ne se mette à hurler dans ma tête, du genre "MAYDAY MAYDAY, arrêt système détecté !". Autrement dit, si je ne veux pas m'endormir dans les prochaines minutes, manger ne suffira pas comme activité.

Je cherche donc une proie, n'en trouve pas. A la place je tombe à nouveau sur la silhouette isolée d'Antone, ses yeux crispés sur quelques lignes de son ouvrage. Lui non plus ne va plus tarder à faire un reboot.

Alors une petite lumière s'allume dans mon esprit, je toussote pour attirer son attention, puis hausse assez la voix pour qu'il m'entende :

- Je crois que j'ai laissé mon pull dans la Ford, tu veux bien m'accompagner pour le récupérer ?

- Tu ne peux pas y aller seule ? S'enquit-il.

Comme si t'avais mieux à faire franchement. Je lui lance mon plus beau sourire avant d'ajouter :

- Je ne sais pas où on s'est garé. Malheureusement.

Il me fixe comme si j'étais un extraterrestre pendant quelques secondes. Je vois déjà mon plan vaciller lorsqu'un inconnu au bataillon près de Raf prend la parole :

- Je peux t'accompagner si tu veux Lélé.

Rien qu'à sa voix je sens qu'il a trop bu lui aussi. Je me tâte bien de lui signaler que sa présence ne serait pas d'une grande aide pour trouver ledit véhicule perdu. Je me contente de lui sourire, tout en lui signalant que ça ne sera pas nécessaire. Et puis il vient de m'appeler Lélé, c'est rédhibitoire pour absolument tout, navrée.

- Si tu ne veux pas j'irais de mon côté, mais il faut que tu me donnes les clés.

- Tu peux y aller Antone, je gère Raf t'inquiètes, annonce une fille que j'ai retenue comme étant Amanda, une grande amie de mon cousin.

Antone se décide enfin à se lever, non sans un soupir qui aurait de quoi déclencher des tornades. Je l'imite et le rejoins, un sourire mal dissimulé sur mon visage.

Aah, mission accomplie, ce n'est pas ce soir que je vais jouer la quinquagénaire insortable !

Ainsi, Antone et moi nous éloignons ensemble à la recherche du tout terrain perdu.

Un silence s'installe sur le trajet, creusant un fosset entre nous qui me dérange. Mon cerveau tourne alors aussi vite que possible afin de trouver un sujet à aborder. Je rate presque un battement et trébuche dans le sable à peine visible quand la voix de mon compagnon raisonne :

- Je savais que ton sens de l'orientation était déplorable. Je ne pensais pas qu'il était inexistant, déclare-t-il calmement.

J'ouvre grand les yeux tout en me tournant vers lui, cherchant une répartie qui ne vient pas, ce qui semble l'amuser. Je ne le vois pas bien sûr, mais disons simplement que son regard a brillé différemment.

Alors que je m'apprête à répliquer, mon pied a la merveilleuse idée de s'accrocher dans ce qui semble être du bois flotté ? Il faut dire qu'on n'y voit vraiment rien...

Je me prépare dès lors à avaler du sédiment en m'humiliant, priant que l'impact ne soit pas trop fort alors que je bascule déjà minablement. Je ne suis pas adroite par nature, si EN PLUS je suis fatiguée, je ne donne pas cher de ma peau...

Tout mon corps se crispe, je ne retiens pas un petit "Oh" mais cela reste moins déplorable qu'un petit cri étranglé.

Et là...

Et là rien.

Pas de sable, pas de bobo.

Antone m'a rattrapé par le bras d'une poigne ferme qui me maintient en équilibre précaire alors que mon pied joue encore aux aventuriers. Je me décrispe lentement et tente minutieusement de me redresser. Sa main fait littéralement le tour de mon bras. Bon sang il m'a retenu comme si j'étais une brindille ! A bât mon honneur !

A ce stade je ne sais pas si j'aurai préféré m'étaler sur le sol...

Une fois remise les deux pieds à terre, je le remercie, embarrassée.

- Je crois qu'on apprend à marcher vers l'âge de 2 ans Pins. Il serait temps de s'y mettre, et sérieusement.

- Je sais très bien marcher, monsieur, dis-je d'un air outré. Les conditions n'étaient juste pas en ma faveur.

- Je suis sceptique.

- Vraiment ? Regardes donc ça !

Associant geste à la parole je m'avance et le dépasse tout en réalisant ma plus belle démarche aux allures de mannequin sur le podium. J'ose même une roue sur le sol glissant que je réussie mieux que prévu. Je rayonne de fierté, alors que je viens seulement de marcher, quand je lui rétorque :

- Alors ? Qui ne sait pas faire quoi déjà ?

Je ne vois pas son visage de là où je suis. Mais ce qui est sûr, c'est que lorsque je m'étale lamentablement un mètre plus loin, lui, n'a rien raté du spectacle.

Le coupable cette fois-ci ? Mon lacet un peu trop relâché.

Ou le karma, c'est tout aussi possible. C'est bien son genre de frapper vite.

Et de frapper fort...