Eunoïana Sous le Soleil d'Août Chapitre 8 Léria

Chapitre 8 Léria

La gêne forme un étau autour de ma gorge. Ma fierté s'est ratatinée au fin fond de moi, guettant en position fœtale le jour où elle pourra revenir. Je n'ai pas réussi à aligner une phrase depuis ma cascade rocambolesque de tout à l'heure. Enfin, deuxième cascade.


Lorsque nous arrivons à la voiture, la moitié de l'énergie qu'il me restait a disparue. Autant dire que je suis à peine consciente en m'arrêtant au niveau de celle-ci. Alors la voix d'Antone me fait comme l'effet d'une douche froide qui m'extirpe de ma torpeur.


- Pourquoi est-ce que tu voulais retourner à la voiture ? dit-il d'un ton inquisiteur.

- Pour mon pull ?

- Pour le même pull qui dépasse de ton sac ? Sac que tu avais déjà avec toi sur la plage ?

- Euh...


Bon. C'est l'apocalypse. Ma dignité a pris sa retraite.

Je vois le petit neurone hyperactif qui reste encore éveillé dans mon cerveau s'agiter. Mais il ne me reste plus grande option face à ce guet-à-pent que j'ai moi-même orchestré.


- Bon, dis-je à son visage de plus en plus renfermé, tu ne me croiras pas de toute façon si je te dis que je ne l'avais pas remarqué, hein ?

- Effectivement.


Je prends une grande inspiration, détourne le regard pour sauver un tant soit peu d'honneur avant de lui lancer l'un des multiples casse-tête qui constituent ma vie :

- J'ai... J'avais plus vraiment la motivation de parler à tous ces gens. C'est comme une batterie, tu vois ? Bah là j'étais à plat. Et entre la fumée, les odeurs de bière et la musique trop forte, je ne sais pas... J'ai eu besoin de calme.

Quant à toi, tu avais l'air ailleurs aussi alors je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée de t'embarquer dans ma fugue.


Je n'entends aucune réaction de sa part, décide de planter mes yeux dans les siens. Son visage reste une toile blanche, aucun artiste n'y a pas encore apposé sa trace.


- Voilà. Tu peux me prendre pour une folle si ça te chantes.

- Je t'ai plus prise pour une folle quand tu as tambouriné mon pare-chocs.


Je me mords la joue pour réprimer un sourire carnassier.


- Seriez-vous en train de faire de l'humour jeune homme ?

- J'émets juste une constatation Signora.

- Je vois...

- Cela dit, tu aurais pu nous éviter un aller-retour pour rien.

- Un peu de marche ne fait de mal à personne, je réplique alors.

- Tu as failli te fracturer les 2 jambes, contre-attaque-t-il.


Le dialogue naturel et un tantinet chamailleur qui a pris place entre nous m'électrise. Peut-être pourrions-nous trouver un équilibre comme ça, à chercher qui aura le dernier mot. La possibilité que nous devenions autant ami qu'avec Raf me parait bien loin. Toujours est-il que la perspective d'entente qui se dessine pas à pas me réjouis plus que prévue.


- Qui sait, c'est peut-être tes pieds que je vais casser sur le retour...


Ainsi nous entamons marche arrière. Notre querelle se poursuit elle aussi, toujours plus vive et dansante. Je m'en délecte à tel point que je suis presque déçue lorsque nous percevons à nouveau la fête battante. Suis-je déçue de mettre fin à notre entrevue ou de retourner là-bas ? Quoiqu'il en soit, seuls quelques petits mètres nous séparent maintenant du reste du groupe.


- Alors, on a perdu sa langue Bucarone* ?

- Je ne m'y connais pas mais ça ne sonne pas comme un joli nom ça.

- Tout dépend pour qui.


Je me contente de sourire, me promettant de demander à n'importe quel bilingue ce que cela veut bien dire. L'esprit ailleurs alors que je cherche à orthographier ce mot, je manque de peu de percuter Antone qui s'est arrêté en chemin.


- La plage n'est pas assez grande pour que tu te retrouves sur mon chemin ? questionné-je.


Sans réponse, nous restons plongés dans un silence que seule la houle des vagues, tentant de concurrencer avec la musique, ponctue de vie.


- Si, elle est grande, reprends mon rival. Viens, enchaîne-t-il sans transition.


C'est donc sur ce beau discours qu'il vire de bord. Au lieu de s'approcher du cœur de la soirée, nous prenons la direction du rivage. J'en profite pour retirer mes chaussures et savourer l'eau encore tiède sur mes pieds. C'est divin. J'enfonce mes orteils dans le sable, satisfaite des empreintes que je laisse, de cette sensation douce et granuleuse sur ma peau.


- C'est un kidnapping ? demandé-je.

- Pas exactement.

- Alors je peux savoir où on va ?


Antone se fait mystérieux encore un moment, jusqu'à ce que le sable sous mes pieds devienne pierre et qu'un amas rocheux se dessine dans la pénombre. Alors il reprend, un sourire inconscient flottant sur ses lèvres :

- Je te présentes la Gueule-au-Vent.

- La gueule au vent ? Mais de quoi est-ce que tu-

- Chhtt, et assieds toi, tu vas comprendre.


Pour une fois, je décide de l'écouter et prends place à côté de lui. Le sable est encore chaud ici, nous sommes entourés d'un massif rocailleux qui forme un arc de cercle avec la mer comme seule vue de ce qui nous entoure. Le reste du monde semble loin. Je ne vois que le reflet d'une demi-lune sur l'eau qui se déhanche.


Le temps s'écoule sans que rien ne se passe, je m'apprête à poser une énième question quand soudain, quelque chose se produit. Une symphonie explose à mes oreilles. C'est un crescendo, un orgue sauvage et brutal, si puissant que j'en reste béate. En voyant mes cheveux décrire des figures complexes, je comprends le sens de ce concert sensationnel.


La Gueule-Au-Vent est un couloir d'air formé par la pierre. C'est une claque de frais dans les dents, une ode à la puissance des récifs. L'air se déchaine, la mer le suit. Je ne vois que ça, n'entends que ça. Il n'y a rien d'autre que cette terre qui hurle encore et encore. C'est à coupé le souffle.


Lorsque la bourrasque finit par se calmer, la voix d'Antone me parait bien calme et douce quand de son acens mélodique il me souffle :

- Tu peux venir ici pour reprendre des forces. C'est ce que je fais moi.


Je me sens presque indigne de cette confession. Il me montre là bien plus qu'un bout de plage, c'est une facette de sa personnalité qui se révèle.


- C'est incroyable, lui dis-je.


Je reprends mon souffle, ferme les yeux, savoure. Oui, c'est incroyable.

Aucun de nous deux ne parle durant cet instant. C'est enivrant ce calme, cette sérénité qui s'étend à profusion, aussi loin que la mer à l'horizon.

Quand mon attention se tourne à nouveau vers Antone, il a déjà son regard tourné vers moi. Mais à la différence du miens, lui, est tourmenté.


Posant sa tête sur ses genoux d'un geste qui me masque la moitié de son visage, il reprend la parole :

- Rafael m'a dit que tu avais beaucoup à apprendre de la Corse et de notre vie ici...


Je sens qu'il cherche ses mots, ou plutôt, qu'il a du mal à les laisser sortir.


- Je t'apprendrais. Mais... En échange apprends moi aussi, comment c'est la vie là-bas.



***


Buracone : Grande gueule

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12 commentaires

Jill Cara

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Il y a 2 ans

💕

iris monroe

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Il y a 2 ans

Voici ma petite aide de la matinée. Si le cœur t'en dit de jeter un œil à "Soleil, grands amours et bouquets de fleurs" pour le concours "comme dans un film", tu es la bienvenue. Bonne écriture 🌺

Lindsay Lorrens

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Il y a 2 ans

Merci pour le dépaysement ! ;-) On ressent bien l'ambiance de la Corse. :) Bon concours à toi et bonne continuation. N'hésite pas à venir jeter un oeil à Mon jardin d'hiver (Oui, moi c'est l'inverse, ce n'est pas le soleil, c'est l'hiver, lol).

Dacia

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Il y a 2 ans

Hellowww !! Petit coup de pouce pour te remercier de ton passage sur "Les Reines Du Monde" ^^ Bon courage à toi ^^ Kiss, Kiss, Dacia.

Margo H

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Il y a 2 ans

Bien écrit et histoire qui donne envie de lire la suite ... Voilà..je t retrouvé...enfin ton roman. Pas mal continue ...

Eunoïana

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup !

Laura Collins

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Il y a 2 ans

Une petite visite chez toi aussi

ccrosyln

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Il y a 2 ans

Hello, petit coup de pouce! N'hésite pas à venir voir mon histoire Destinée :)

Eunoïana

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Il y a 2 ans

J'y passe dans la journée, compte sur moi !
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