Fyctia
Chapitre 6 : Improvi... 4/6
— Je pense qu'une promenade serait idéale pour les jeunes, déclare-t-elle avec ce ton qui est techniquement une suggestion mais fonctionne comme un ordre militaire. Juliette, pourquoi ne montrerais-tu pas la forêt de sapins à Ethan ? C'est tellement magnifique en cette saison, avec toute cette neige. Parfaitement dans l'esprit de Noël.
— Bien sûr, Mère, je réponds automatiquement.
— Quelle excellente idée ! s'enthousiasme Martha Wilson. Claire et Vanessa adoreraient se dégourdir les jambes. N'est-ce pas, les filles ?
Claire et Vanessa, qui tapotaient frénétiquement sur leurs téléphones, lèvent la tête simultanément avec des sourires identiques et vides.
— Absolument, répondent-elles presque en chœur.
Lucas se porte également volontaire, évidemment. Ma mère est ravie – son plan de nous assembler tous comme des pièces de puzzle social se déroule exactement comme prévu.
Ainsi, vingt minutes plus tard, je me retrouve emmitouflée dans un manteau d'hiver, marchant aux côtés d'Ethan, suivie par Lucas et les deux autres couples – Claire avec son petit ami Brandon, que je n'avais pas remarqué auparavant, et Vanessa avec son frère Thomas (qui me regarde toujours comme si j'étais un spécimen rare dans un musée).
La neige crisse sous nos bottes tandis que nous suivons le chemin principal qui serpente à travers les jardins, puis s'enfonce dans la forêt de sapins. L'air est vif, le ciel d'un bleu presque douloureux, et les immenses conifères couverts de neige se dressent comme des sentinelles silencieuses de part et d'autre du chemin.
— C'est magnifique ici, commente Ethan, son souffle formant de petits nuages dans l'air froid. Ça sent le Noël à plein nez.
— Un peu ostentatoire, non ? je réponds à voix basse. Mon père a fait importer ces sapins spécifiquement de l'Oregon parce qu'il les trouvait plus "architecturalement plaisants" que les espèces locales.
Ethan s'arrête un instant pour absorber cette information.
— Ton père a importé... une forêt entière... pour des raisons esthétiques ?
— Bienvenue dans le monde des Deveraux, je réponds avec un haussement d'épaules.
Il secoue la tête, mi-amusé, mi-stupéfait.
— Tu sais, quand j'étais petit, Noël c'était un sapin rachitique qu'on décorait avec des guirlandes en papier faites main et des boules qui avaient connu plusieurs générations, dit-il en contemplant les arbres majestueux autour de nous. Ma mère insistait pour qu'on garde la tradition même quand l'argent manquait. Elle disait que l'esprit de Noël ne se mesurait pas à la taille du sapin mais à la joie qu'il apportait.
Je le regarde, surprise par cette confidence inattendue.
— C'est... charmant.
— Ne te méprends pas, ajoute-t-il avec un sourire en coin. J'aurais tué pour avoir un sapin comme ceux-ci. Mais il y avait quelque chose de spécial dans nos Noëls modestes. Une authenticité que tout ceci, malgré sa beauté, ne capture pas.
Il fait un geste englobant le paysage hivernal parfait qui nous entoure.
— C'est quoi pour toi, Noël, Princesse ? Une semaine d'obligations sociales soigneusement chorégraphiées ou un moment que tu attends vraiment ?
La question me prend au dépourvu. Personne ne m'a jamais demandé ce que je ressentais vraiment à propos de Noël.
— C'est... compliqué, j'admets. J'aimais Noël quand j'étais enfant. Les lumières, l'excitation, les cadeaux bien sûr. Mais à un moment donné, ça s'est transformé en une série d'événements sociaux stressants et d'attentes à satisfaire.
— Comme un strip-tease sans la partie amusante, plaisante-t-il.
— Ethan ! je chuchote furieusement, regardant autour pour m'assurer que personne ne l'a entendu.
Il rit, ce son chaud et grave qui semble toujours me déstabiliser.
— Détends-toi, Princesse. Ils sont trop occupés à prendre des selfies devant les sapins parfaits pour nous écouter.
Il a raison. Derrière nous, Vanessa et Claire posent devant un sapin particulièrement photogénique, tandis que Thomas et Brandon semblent débattre de la meilleure façon de les prendre en photo. Lucas, comme toujours, observe tout avec cette distance polie qui le caractérise.
Devant nous, le chemin serpente à travers les sapins, où des petites lumières blanches ont été discrètement installées. En journée, l'effet est subtil, mais j'imagine qu'à la tombée de la nuit, la forêt doit se transformer en paysage féerique.
— Chaque année, mon père fait installer des milliers de lumières dans ces arbres, j'explique. Le soir du réveillon, on fait une promenade en famille pour les admirer. C'est... l'une des rares traditions que j'apprécie encore.
— Même dans ce cirque social, il reste des moments qui comptent, observe Ethan. C'est ça, l'esprit de Noël, Princesse. Pas les cadeaux hors de prix ou les dîners avec de la vaisselle qui coûte plus cher que ma moto. Ce sont ces petits moments de magie partagée.
Il y a quelque chose dans sa voix, une sincérité qui me touche malgré moi.
— Tu es étonnamment sentimental pour un homme qui se déshabille professionnellement, je remarque, essayant de masquer mon trouble par de l'ironie.
— Le strip-tease m'a appris beaucoup sur les gens, répond-il sérieusement. Sur ce qu'ils cherchent vraiment. Rarement ce qu'ils prétendent.
Nous arrivons à un petit pont en pierre qui enjambe l'étang gelé, maintenant recouvert d'une fine couche de neige. Les autres avancent avec précaution. Quand vient notre tour, je remarque que la neige cache des plaques de glace traîtresses.
— Attention, le préviens-je. C'est plus glissant que ça en a l'air.
À peine ai-je prononcé ces mots que mon pied dérape. Instinctivement, Ethan attrape ma main, me stabilisant avec une force surprenante.
— Je te tiens, dit-il simplement.
Sa main est chaude même à travers nos gants, et il la garde fermement dans la sienne alors que nous traversons lentement le pont. Ce n'est qu'une fois arrivés de l'autre côté que je réalise que nous sommes toujours liés. Plus étrange encore, je n'ai aucune envie de me dégager.
C'est juste pour la mise en scène, Juliette. Reste concentrée.
Lucas, qui s'est arrêté pour nous attendre, observe nos mains jointes avec une expression indéchiffrable.
— Vous vous êtes bien trouvés, commente-t-il en marchant à mes côtés. Je ne t'ai jamais vue aussi... détendue, Juliette.
Détendue ? Moi ?
— Je ne vois pas ce que tu veux dire, je réponds automatiquement.
— Tu ne te caches plus derrière une façade de perfection, explique-t-il. C'est rafraîchissant.
Je ne sais pas si je dois me sentir insultée ou flattée.
— Tu insinues que j'étais fausse avant ?
— Non, dit-il en souriant légèrement. Juste très... contrôlée.
Je sens Ethan presser doucement ma main, comme pour me rappeler sa présence. Un geste de soutien ? Ou me rappelle-t-il que nous jouons un rôle ?
— Peut-être que j'avais juste besoin de la bonne personne pour me sentir suffisamment en sécurité pour être moi-même, je réponds, les mots sortant sans que j'y réfléchisse vraiment.
Lucas hoche la tête pensivement.
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