Fyctia
Prologue : Scénario à p... 1/2
Scénario à paillettes
Vous pensez que Noël est une période magique ? Laissez-moi vous raconter pourquoi c'est en réalité l'équivalent émotionnel d'un examen gynécologique en public. La famille réunie, les questions indiscrètes, les attentes déçues – le tout enrobé dans du papier cadeau et saupoudré de fausse neige.
Je m'appelle Juliette Deveraux et si vous cherchez une histoire de Noël réconfortante pleine d'amour et de magie, je vous suggère de tourner la page immédiatement. Ou mieux, changez carrément de livre. Celui-ci commence par une femme de 27 ans désespérément seule qui planifie d'engager un inconnu pour prétendre être son petit ami pendant les fêtes.
Oui, vous avez bien lu. Désespérée. Et je déteste ce mot.
Pour comprendre comment j'en suis arrivée là, il faut remonter un peu dans le temps. Je vous épargne mon enfance entière – rassurez-vous – mais il y a un souvenir en particulier qui explique beaucoup de choses.
J'ai douze ans. Le manoir familial est silencieux hormis le tic-tac mécanique de l'horloge centenaire dans le hall. Je descends chercher un verre d'eau au milieu de la nuit, pieds nus sur le marbre froid, quand j'aperçois un filet de lumière qui s'échappe du bureau de mon père. En m'approchant silencieusement, j'entends leurs voix.
— Les Hartwell ont un garçon du même âge, dit mon père. Brillant, Harvard certainement. La fusion de nos entreprises via un mariage serait l'idéal.
Ma mère rit doucement, le tintement cristallin de son verre de cognac ponctuant sa réponse.
— Richard, elle n'a que douze ans. Laisse-lui le temps.
— Bien sûr, Catherine. Mais nous devons planifier à long terme. Juliette a toujours été une enfant raisonnable. Elle comprendra l'importance d'une union stratégique.
Je reste là, pétrifiée, l'eau complètement oubliée. À douze ans, j'apprends que ma vie est déjà tracée, une ligne droite élégante vers un avenir qui n'a rien à voir avec mes désirs. Tout ça parce que les Deveraux ne laissent rien au hasard. Pas même le bonheur de leur fille.
Vous trouvez ça choquant ? Attendez la suite.
Quinze ans plus tard, me voilà dans mon bureau à l'ONG où je travaille, les yeux rivés sur mon écran d'ordinateur. Des statistiques sur l'accès à l'éducation des filles dans les zones rurales défilent devant moi. Ironique, non ? Je me bats pour la liberté de choix des femmes à l'autre bout du monde alors que je n'ai jamais su m'affranchir des plans que ma famille a pour moi.
Mon téléphone vibre – encore. C'est le sixième appel de ma mère aujourd'hui. Je l'ignore et avale une gorgée de café froid en grimaçant. L'horloge de mon ordinateur indique 19h38. Le bureau est presque vide à cette heure.
Ma boîte mail affiche cinq nouveaux messages. Je les parcours rapidement : demande de rapport, invitation à une conférence, rappel de réunion... et bien sûr, l'inévitable "Préparatifs de Noël - URGENT" de Catherine Deveraux.
Vous connaissez ce sentiment d'anxiété qui vous noue l'estomac à la simple vue d'un nom dans votre boîte de réception ? Non ? Chanceux.
J'ouvre l'email à contrecœur.
Chérie,
Nous finalisons la liste des invités pour le réveillon. Plusieurs fils de collègues de ton père seront présents (James vient d'être nommé associé chez Morgan Stanley et le petit Zimmerman a terminé son MBA à Columbia).
Je compte sur ta présence dès le 14. Nous avons tellement de traditions à respecter avant le grand jour.
Bisous,
Maman
PS: Porter du vert émeraude cette année serait judicieux. Il paraît que c'est la couleur de la chance en amour.
Je referme mon ordinateur portable d'un geste brusque. Sur mon bureau, mon calendrier personnel affiche déjà les dates du 14 au 26 décembre bloquées en rouge avec la mention "Torture familiale annuelle". Une description précise, si vous voulez mon avis.
Quinze années se sont écoulées depuis cette nuit où j'ai surpris cette conversation, et me voilà, diplômée avec mention de Yale en droit international, travaillant pour une ONG respectée, financièrement indépendante – et pourtant toujours incapable d'échapper à l'orbite gravitationnelle des attentes Deveraux.
Mon téléphone vibre à nouveau. Cette fois, je décroche, sachant pertinemment que repousser l'inévitable ne fait que l'empirer.
— Juliette Deveraux, je réponds d'une voix professionnelle malgré moi.
— Chérie, enfin ! s'exclame ma mère. Je t'ai laissé cinq messages.
— Six, en fait. Je corrige automatiquement. Je suis en plein travail, maman.
— Le travail peut attendre. Noël, en revanche...
Je me frotte les tempes, sentant poindre un mal de crâne. Connaissez-vous cette sensation quand vous savez exactement ce qu'une personne va dire, mot pour mot, avant même qu'elle n'ouvre la bouche ? C'est à la fois déprimant et étrangement réconfortant, comme un mauvais film qu'on a vu trop de fois.
— J'ai bien reçu ton email. Je serai là le 14, comme demandé.
— Merveilleux ! Et... tu seras accompagnée cette année ?
Un silence. Je le sens arriver, l'inévitable sermon.
— Maman, je—
— Chérie, à 27 ans, il serait temps que tu nous présentes quelqu'un de sérieux. Tout le monde s'inquiète. Même ta grand-tante Agatha m'a demandé si tu avais des... problèmes... tu sais...
— Des problèmes ? Je répète, ma voix montant dangereusement dans les aigus.
— De préférence envers les hommes, tu comprends.
Mon rire est si soudain qu'il me surprend moi-même.
— Vraiment ? C'est ça votre théorie ? Que si je ne ramène pas un homme à la maison, c'est que je dois être lesbienne ?
— Ce serait parfaitement acceptable de nos jours, bien sûr, se défend ma mère rapidement. Nous sommes une famille moderne.
La migraine s'installe confortablement derrière mes yeux. Si vous vous demandez ce qu'est une "famille moderne" selon Catherine Deveraux, c'est une famille qui accepterait une belle-fille lesbienne à condition qu'elle vienne d'une lignée de banquiers sur au moins trois générations.
— Je ne suis pas lesbienne, maman. Je suis occupée. Il y a une différence.
— Bien sûr, chérie. Mais tu sais, l'horloge biologique—
— Je serai accompagnée, je lâche abruptement, les mots sortant de ma bouche avant même que mon cerveau n'ait pu les rattraper.
Un silence stupéfait à l'autre bout de la ligne. J'ai réussi à couper la parole à Catherine Deveraux – un exploit rare dans l'univers connu.
— Tu... quoi ? Qui est-ce ? Pourquoi n'as-tu rien dit ?
— C'est... récent. Je voulais être sûre avant d'en parler.
Le mensonge roule sur ma langue avec une facilité surprenante. Voilà comment commencent les mauvaises décisions : avec une petite phrase anodine qui semble résoudre un problème immédiat, mais qui en crée dix nouveaux.
— Oh, Juliette ! s'extasie ma mère. Ton père sera ravi. Est-il dans la finance ? Le droit ?
— On en parlera quand j'arriverai, d'accord ? Je dois vraiment retourner travailler.
Je raccroche et laisse tomber mon front contre mon bureau avec un bruit sourd. Qu'est-ce que je viens de faire ?
39 commentaires
Elsa Ténéra
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Il y a 3 jours
L'amisolitaire 🔥
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Il y a 4 jours
Lydia4818
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Il y a 8 jours
Zatiak
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Il y a 8 jours
Vana Aim
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Il y a 12 jours
Zatiak
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Il y a 12 jours
Caranell - Olympe
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Il y a 15 jours
Sunny NDV
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Il y a 15 jours
Salma Rose
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Il y a 15 jours
Zatiak
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Il y a 15 jours