Fyctia
2 - À bout de souffle
Alors quand maman nous a proposé de venir visiter le château où elle a trouvé du travail à temps partiel, pendant les vacances de printemps, j’ai trouvé l’idée fantastique : selon elle, l’ancienne chapelle contient une horloge astronomique du début du XVIIIe siècle. Entre histoire et astres, c’est l’objet le plus indiqué pour marier nos deux passions ! J’étais enthousiaste, jusqu’à ce qu’Aliénor évoque l’idée d’inviter Nour – dont elle est folle amoureuse, c’est évident, même si elle ne l’admet pas encore – et surtout, son ami Archibald, qu’elle surnomme si affectueusement Babar. Même si je n’aime pas ce surnom que le reste de ma famille – même papa, c’est dire – a adopté, j’ai failli bondir de joie, malgré la toux. J’aime bien Nour, et je suis très heureux que Pétronille puisse passer du temps avec elle. Mais cet étudiant en philosophie au visage moucheté de taches de rousseur qui me regarde droit dans les yeux – oh, il va voler le peu qui me reste de souffle.
Maman se dirige alors vers une porte, suivie par toute la petite bande, et je m’aperçois que je n’ai absolument rien écouté de ses explications. J’emboîte le pas à Nour pour déboucher dans un grand salon. Et notre historienne de mère de détailler comment, grâce à des collectes de fonds, les propriétaires sont parvenus à restaurer tout le mobilier d’origine. Archie s’est encore posté juste à côté de moi. C’est normal puisqu’Aliénor ne me lâche pas d’une semelle. Nour aussi se trouve tout près. Mais j’ai beau tenter de raisonner mon cœur qui s’emballe, rien n’y fait. L’odeur persistante de verveine que j’associe à présent à l’anglais s’infiltre dans mes poumons malades pour les mettre à rude épreuve. Seconde vie qui risque bien de me tuer sur place, si on en croit le rythme irrégulier de mon foutu cœur.
– Tu crois qu’elle essaie de nous faire passer un message sur notre salon ?
– Quoi ?
Ma soeur me jette un regard navré.
– Quoi, maintenant t’es sourd en plus de tousser ? blague-t-elle.
Mon rire indigné interrompt les explications détaillées de maman. Sophie Bellanger fronce les sourcils et ses yeux bleus se remplissent de nuages sombres. Aussi vrai qu’elle nous a toujours écoutés parler sans discontinuer de tout et de rien durant l’intégralité de notre enfance, notre mère déteste être interrompue.
Pour me faire pardonner, je lui adresse un signe de tête désolé. Elle se rassérène aussitôt et poursuit son récit.
La plaisanterie de ma chère Pétronille a au moins eu le mérite de me distraire de la présence d’Archie à quelques centimètres derrière moi. Oh. Il n’est plus derrière moi. Pour mieux écouter la guide, il s’est déplacé à côté. S’il était déjà difficile d’ignorer le beau rouquin il y a quelques minutes, c’est carrément impossible maintenant que ses taches de rousseur et ses yeux doux ont gagné mon champ de vision. Pour couronner le tout, je m’aperçois qu’il me jette un regard rieur. Comme s’il avait parfaitement conscience de mon trouble. Comme s’il savait que cela fait des mois qu’il hante mes nuits.
Je tente de chercher un soutien auprès d’Aliénor, mais elle est occupée ailleurs. Bien sûr. Nour lui chuchote quelques mots et elles se mettent toutes les deux à glousser comme des ados. Je les envie. Elles sont bien plus proches d’une véritable relation amoureuse que je ne le serai jamais.
Heureusement, ma mère a terminé ses explications sur cette pièce et nous entraîne vers la salle suivante. Une manière bienvenue de me distraire du regard magnétique d’Archie. Pour l’atteindre, il faut gravir quelques marches. Aussitôt, maman et Aliénor me tendent leurs bras, sans même se concerter, par réflexe. Je n’en saisis aucun des deux. Je ne fais pas tant de cas de l’image que je peux renvoyer, d’habitude. Mais aujourd’hui, j’ai décidé d’oublier la BPCO. Aujourd’hui, je ne veux pas me sentir diminué ou faible. Surtout pas dans les yeux d’Archie.
En entrant dans la grande salle à manger, tous les regards se perdent vers le plafond, ses fresques et ses moulures délicates. Je tente de me concentrer sur le décor enchanteur représenté par l’artiste. Mais j’ai peut-être un peu surestimé mon endurance. C’est comme si un poids s’appuyait sur ma cage thoracique. Je refuse que l’on me prenne encore en pitié, je tente de cacher ma détresse. Mes respirations sont trop courtes. Pas assez profondes. Très vite, j’ai l’impression d’hyperventiler pour compenser le manque. En conséquence, ma tête se met à tourner, mon cœur accélère. Les médecins me l’ont déjà expliqué, pourtant : hyperventiler provoque un trop gros apport en oxygène, ce qui renforce la sensation de panique qui traverse mon corps à ce moment-là. La seule solution est, au contraire, de ralentir ma respiration. Facile à dire. Plus difficile à appliquer.
– Jules ? Tu te sens bien ?
Maman s’est interrompue, volontairement cette fois. Tous les regards se tournent vers moi. Pour la discrétion, on y reviendra.
– Oui, je…
Manque d’air. Ma voix disparaît dans un faible murmure et je ne termine pas ma phrase. Je sens mon corps tanguer et être retenu fermement. Mon dos rencontre un torse dur. Ma mère me fixe, le regard paniqué. Aliénor et Nour se sont figées. Il ne reste qu’une seule personne dans cette pièce, et je viens de tomber dans ses bras. Le souffle chaud du rouquin dans ma nuque pourrait presque finir de m’achever.
– Jules, murmure la voix de ma mère. Tu m’entends ?
Il faudrait que je sois mort pour ne pas déceler la peur dans son timbre habituellement si chantant. Réunissant mes forces, je rééquilibre mon poids sur mes jambes.
– Jules ? Je vais t’emmener prendre l’air dehors, insiste ma mère.
— Ça va, maman, je proteste tant bien que mal. Continue la visite, je veux profiter de cette sortie.
— Mais, tu…
— Vraiment, je vais bien, rétorqué-je, agacé.
Je sais que ma mère ne veut que mon bien. Je sais que m’énerver ne changera rien. Je sais que je ne réussirais qu’à la blesser, elle qui prend plus soin de moi que quiconque. Mais je ne parviens pas à m’en empêcher.
— Je t’assure, mens-je sur un ton plus doux. C’était un simple malaise passager. Tout va bien.
Ma mère n’est pas convaincue. Serait-ce parce que je n’ai toujours pas réussi à me remettre debout tout seul ? Bon, d’accord, elle n’a aucune raison de croire que je vais mieux. Mais je veux juste oublier cette foutue maladie, juste une heure ou deux. Le regard qu’elle échange avec Aliénor en dit long. Sans prononcer un mot, elles sont en train de décider à ma place que la visite s’achèvera plus tôt que prévu. Si je le pouvais, je serrerais les poings.
– Peut-être qu’on pourrait faire un tour dans le parc, propose une voix qui fait vibrer la cage thoracique contre laquelle je m’appuie.
Je lève les yeux sans comprendre. Ma mère et ma sœur se tournent vers Archibald.
— On pourrait faire un tour dehors tous les deux pendant qu’elles continuent la visite, me souffle-t-il à l’oreille.
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