Eponyme Solastalgia Épilogue 1

Épilogue 1

Confusion et sécurité.

Réveillée par la fatigue.


Ses pensées refaisaient surface lentement, et elles étaient étranges, absurdes. C’était pourtant les premières choses qui lui venaient à l’esprit : cette impression de chaos de ne pas comprendre où elle se trouvait ni ce qui se passait, mêlée à un sentiment serein, confiant — quelque chose de rassurant sans qu’elle puisse dire quoi. Et l’épuisement. Un alourdissement immense, obsédant, écrasant. Une fatigue douloureuse — elle avait mal, sans pouvoir dire où en particulier. Mal à la peau. Mal aux os. Mal à la mémoire.


Elle ne voulait pas ouvrir les yeux maintenant. D’abord, elle voulait mieux comprendre. Ses autres sens se bousculaient avant la vue.

L’odeur, feu, bois, tapis, Èrhar, qiviut, couverture, elle était chez elle.

Les sons, crépitements, flammes, poêle, et une voix. Des mots bizarres, troués.


« Deux heures… aucun… quinze… pas encore… »


Elle comprit qu’il s’agissait d’une discussion dont elle n’avait qu’une moitié.


« Non, pas besoin… Oui, j’ai un véhicule… Quand elle sera stable… Pas avant une heure…. Ah oui ? Eh ben j’en ai rien à foutre. »


Elle reconnut la voix, comprit la raison de cette sensation de sécurité. Elle était morte, c’était pour ça.

Elle sentait de la chaleur sous son dos, et de la chaleur en travers de sa poitrine.

Elle sentait la chaleur d’une main autour de la sienne.

Elle ouvrit les yeux. Au bout de ce bras qui la tenait, se tenait un homme qu’elle n’avait pas revu depuis des années.


« Elle se réveille, fin de communication. »


Il était assis sur une chaise à côté d’elle allongée sur le canapé déplié, rapproché du centre de la pièce, du gros poêle en fonte.

Sans électricité, la pièce était seulement éclairée par le feu du fourneau et des très vieilles bougies venant de la réserve.

À la lueur chaude des flammes, son visage donnait à voir un tableau ancien aux nuances mordorées. Ses cheveux détachés enveloppaient ses épaules d’un voile épais de cuivre sombre. Une mèche souple en déborda et s’écoula le long de sa gorge alors qu’il se penchait vers elle.


« Bonjour, Ówise.

- Je suis morte, murmura-t-elle. Je suis dans la neige, en train de rêver dans mon hypothermie. »


Sa propre voix lui parut étrangère. Elle était rauque, déchirée, perdue au loin.


« Pas du tout. Tu es chez toi, tout à fait vivante, et je ne suis pas un rêve. »


Il lâcha sa main pour venir presser sa paume contre son front.


« Bien réel. »


Sa peau était chaude.


« Tu étais bien en hypothermie, par contre. Mais ta température est en train de remonter. Tu as des gelures aux mains et aux pieds, mais rien de grave. On va réchauffer ça doucement. »


À ces mots, elle voulut vérifier ses doigts, les bouger.

Son bras blessé était maintenu serré en écharpe contre elle, sans doute à l’aide de cinq mètres de turban, devina-t-elle en le voyant tête nue.

Mais son attendrissement fondit la seconde suivante, en apercevant une perfusion plantée dans son bras libre. Elle eut le réflexe de vouloir l’arracher immédiatement, mais Angad, qui la connaissait trop bien, assez pour savoir qu’elle avait la phobie des aiguilles, la bloqua.


« Non. Interdiction de bouger. Je sais que t’as horreur de ça. Promis je te l’enlève dès que tout est passé. »


Elle suivit des yeux le tube, jusqu’à la poche accrochée en hauteur, et elle comprit pourquoi elle s’était réveillée. Il était en train de lui faire une transfusion sanguine. Il y avait du matériel médical de premiers secours à la maison, et Angad était donneur universel. Non content de la requinquer, son sang, à une température supérieure au sien, venait contribuer à la réchauffer, de l’intérieur.


« Elle termine dans dix minutes. Ne sois pas difficile. S’il te plait. »


Elle devina, au ton de sa voix, à sa politesse appuyée, qu’il était fatigué, lui aussi.


« T’es hors de danger. Par contre, je m’inquiète un peu pour cette clavicule et ces tendons. Alors ne bouge pas, d’accord.

- Un peu comment ? »


En fait, il paraissait épuisé, des cernes énormes sous ses yeux, mais serein. Il souriait, le sourire qu’elle connaissait par cœur, qui voulait dire soit que tout allait bien, soit qu’il était en train de faire en sorte que ça aille mieux. Lui, le seul être humain dont elle était capable de lire les émotions couramment. Le seul dont elle supportait la présence sous le même toit qu’elle. Le seul qui lui manquait immédiatement après son départ.


« Un tout petit peu, répondit Angad. Mais on va te dégotter un super chirurgien, ça fait pas un pli, Afanasyev sue du fric par tous les pores de sa peau.

- Ah. Levan. C’est lui qui t’a fait venir ?

- Oh non, je passais par hasard dans le coin, blagua-t-il doucement. J’ai dépassé l’Himalaya sans faire exprès, et après la Chine c’était tout droit. Je me suis dit que j’allais rendre visite. »


Elle ne comprenait pas, elle était perdue. Il le devina, et redevint sérieux.


« Son jet privé. C’est comme ça qu’il m’a fait venir si vite, ton oligarque de patron.

- Pourquoi toi ?

- Parce que l’argent ne peut pas tout acheter. C’était pas une mission de chasse, ça, il lui fallait une expertise militaire, mais il se sentait pas d’embaucher des mercenaires, même à prix d’or. Ce que ta tête vaut, c’est devenu vertigineux. Et une chose que l’argent n’achète pas, c’est la confiance. Alors il a fait appel au seul qui allait venir gratuitement. Je ne sais pas comment il a su qui j’étais pour toi, mais il savait. Tu lui as parlé de moi ?

- Jamais », répondit-elle sans hésiter.


Elle ne racontait ses émotions et ses sentiments à personne, surtout pas à propos d’Angad. Il était trop précieux pour elle. Elle refusait de le partager avec quiconque, même verbalement.

Les pensées de Kawisenhawe commençaient enfin à se réordonner dans le bon sens.


« Tu es venu exprès. Pour moi.

- C’est sûr que ma motivation pour venir, c’était pas le climat. »

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7 commentaires

Gottesmann Pascal

-

Il y a 2 ans

C'est sur qu'il a fallu de la motivation à Angad pour s'engager dans cette aventure. Le temps est venu de tout dévoiler.

Eponyme

-

Il y a 2 ans

Il sera littéralement allé au bout du monde, et aura risqué la mort, juste pour elle, ce grand romantique.
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