Fyctia
Celle qui tient la glace 16
Angad resta un moment fasciné par les empreintes du tigre.
Les traces de pattes étaient plus larges que sa paume, et il avait de grandes mains.
Il avait littéralement coupé un mec en deux, et emporté la moitié inférieure en guise de menu drive.
C’était donc ça, un tigre de Sibérie. Le lire, c’était une chose, le voir sous ses yeux, c’était un autre monde.
Objectivement, Angad n’en menait pas large. Il ne savait pas trop dire qui du tigre ou de Kawisenhawe était le plus terrifiant. Quoi qu’il en soit, il était proche du but. Il fallait qu’il se mette vraiment à penser comme elle.
« Les bons chasseurs suivent les traces, lui avait-elle enseigné. Les chasseurs exceptionnels les anticipent. »
Angad se décida à utiliser son second plus grand atout technologique juste après son bras droit.
« Rashnu, c’est le moment de bosser un peu.
- En attente d’instructions. »
La petite voix étouffée venait de sous sa manche. Il la releva pour voir l’écran de sa montre connectée.
L’IA avait initialement un prénom et une voix féminines, mais Angad était beaucoup trop porté sur l’anthropomorphisme, au point d’avoir de l’empathie même pour des robots, et la sensation de donner des ordres à une femme le gênait. Il avait donc changé l’interface vocale, lui faisant faire une transition de genre express, et l’avait renommée. Rashnu était une divinité du zoroastrisme, une des religions les plus anciennes du monde, son nom signifiait « le très droit », ce qu’Angad trouvait particulièrement approprié pour un interlocuteur artificiel incapable de mentir, et beaucoup plus vieux que toutes les autres IA actuellement en service.
Contrairement à Babel, Rashnu n’avait pas une éloquence très développée, et on pouvait difficilement avoir avec lui des conversations profondes, mais il était très efficace dans son boulot de commande vocale de smartwatch vintage. Il avait ce charme rétro dont Angad était fou, celui des années 20-30, son époque préférée en terme d’esthétique et de technologie. Une époque où l’humain croyait encore à un futur épanouissant, où la modernité faisait toujours rêver, où l’on s’imaginait pouvoir aller sur Mars et résoudre tous les problèmes grâce à la science, et où les IA rendaient juste service, et n’essayaient pas encore de remplacer vos potes. Sa montre datait de cette époque, et était une véritable pièce de collection. Tout le monde la trouvait moche et ringarde, Angad lui la trouvait super mignonne, avec ses formes rondouillardes et son style coloré, tandis qu’il estimait horrible le style contemporain carré, blanc, austère, ennuyeux. Il aimait beaucoup plus le futur du passé que l’actuel.
Non seulement sa montre était très belle, mais surtout, elle fonctionnait. C’était un cadeau qu’on lui avait fait — jamais il n’aurait pu s’offrir un objet d’un tel luxe, il aurait été étonné qu’il en existe encore plus de mille dans le monde.
L’option GPS allait tout particulièrement lui être utile.
Le parc était une zone qui bénéficiait du secret défense, à l’instar d’un terrain militaire, et était protégée des yeux spatiaux trop curieux par un brouillage — Angad le savait, parce qu’il avait fait partie de ces fouineurs déçus devant leur écran face à une image satellite floue, le jour où il avait essayé tout à fait innocemment de voir à quoi ressemblait l’endroit où Ówise travaillait.
Seulement, Angad possédait ce que personne d’autre ou presque n’avait : l’appui logistique d’un génie de la lampe, ou plus exactement, une génie de la montre. Il ne s’agissait pas du dieu virtuel Rashnu, mais d’une puissance tout à fait humaine, quoique d’une intelligence rare : l’amie qui la lui avait offerte, et qui en assurait depuis la maintenance, avec des extras.
Sa chance était miraculeusement double : non seulement elle adorait lui rendre service, mais surtout, c’était le genre de geek qui exultait à l’idée de relever un défi aussi improbable que « est-ce que ce serait possible d’obtenir une image satellite nette d’une toute petite zone interdite de la Sibérie extrême orientale ? »
Et évidemment, cette adorable cinglée avait été absolument ravie de lui faire ce boulot de piratage et d’espionnage qui pouvait lui valoir la prison dans au moins trois pays différents simultanément. Cette femme fantastique vivait pour hacker tous les systèmes qu’elle croisait sur sa route. Le monde dont elle se considérait le plus profondément citoyenne était virtuel, et en digne libertarienne, elle n’admettait pas qu’il puisse avoir de frontières, ni de maîtres.
« Géolocalise-moi et donne-moi une image satellite sur trois kilomètres carrés autour de ma position.
- Géolocalisation et chargement de carte en cours. »
Et Angad obtint la carte. Photographiée de jour, avec le dénivelé en superposition. Et un signal GPS en temps réel. La crème de la crème.
Le terrain dégagé le plus proche était la mer, juste après la forêt. Les traces d’Oak pointaient dans cette direction.
« Fais-moi l’itinéraire le plus rapide pour aller là.
- Itinéraire en cours d’édition. Est-ce que vous voulez un mode sportif particulier ? Ainsi qu’un objectif de performance ? »
La smartwatch était un gadget civil prévu à l’origine pour le fitness, absolument pas un outil militaire — une raison supplémentaire pour laquelle Angad l’aimait bien.
Rashnu était innocent et dépourvu du moindre vice. Les années qu’Angad avait passées dans les montagnes du Kashmir en tant que guérillero insaisissable et sniper impitoyable, l’IA les avait comptabilisées comme du « trekking ». Ça n’aidait pas à mieux dormir la nuit, mais un peu d’humour, ça se refusait pas.
« Ski de fond. En moins d’une heure.
- Je détecte une température de -35°C, souhaitez-vous activer le mode conditions climatiques extrêmes ?
- Il serait temps, ouais.
- Voulez-vous activer le mode anti-hypothermie ?
- On a ça ? s’étonna-t-il.
- Oui, depuis la dernière mise à jour.
- Comment est-ce qu’un programme de smartwatch qui a arrêté sa production avant 2030 peut faire des mises à jour ?
- Je n’ai pas compris la question. »
Parfois, Angad avait l’impression que Rashnu était plus intelligent que lui, et à d’autres moments, qu’il était complètement con.
« Voulez-vous activer le mode anti-hypothermie ? répéta charitablement l’IA.
- Heu, ok, mais c’est quoi ?
- Une optimisation de la fonction surveillance médicale.
- Donc tu vas m’avertir si jamais je commence à mourir de froid, au cas où j’aurais pas remarqué ça moi-même ?
- Je n’ai pas compris la question. Voulez-vous que je vous détaille les consignes de prévention de l’hypothermie ?
- Je pense que je suis capable de savoir tout seul quand j’ai froid.
- L'hypothermie est une situation accidentelle et anormale où la baisse de la température centrale d'un animal homéotherme ne permet plus d'assurer correctement les fonctions vitales. Chez l'humain, la température interne normale est de 37 °C, on parle d'hypothermie lorsqu’elle est inférieure à 35 °C…
- Ta gueule, Rashnu. »
Ouais, c’était définitivement mieux que son IA soit un mec.
16 commentaires
WildFlower
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Il y a 2 ans
Mira Perry
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Il y a 2 ans
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Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
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Lyaure
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Samantha Porpiglia
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Lullolaby
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Il y a 2 ans