Eponyme Solastalgia Celle qui tient la glace 13

Celle qui tient la glace 13

Constater qu’elle n’était pas morte fut la première surprise de Kawisenhawe à son réveil. La seconde, que le blizzard était retombé à nouveau. Le silence de la forêt était assourdissant. Son corps était raidi de froid, à tel point qu’elle eut du mal à se relever de son lit de neige.


Elle était seule. Et venait de passer au moins une heure inconsciente, réalisa-t-elle.


Kino avait démembré sa proie, avec une telle puissance qu’il était parvenu à lui sectionner entièrement la colonne vertébrale. Quand on savait que la pression de la mâchoire d’un tigre est de cinq cents kilos par centimètre carré, ce n’était pas si étonnant. Il était parti en emportant les deux jambes de l’homme, dont il ne restait plus que le tronc, d’où les boyaux s’étaient déversés dans la poudreuse pour y geler.


Elle entendait un grésillement. C’était un appareil de communication, dans la veste du type.

Si Kino avait décidé de la laisser vivre, alors, décida-t-elle, il n’était pas encore venue pour elle l’heure de mourir.


Elle récupéra le téléphone satellite, et prit la communication.


« Il va falloir m’envoyer une deuxième équipe, déclara-t-elle d’une voix glacée et rauque. J’ai terminé de massacrer la première. »


Elle éteignit l’engin et le balança dans la neige.

Elle ramassa les lunettes infrarouge tombées par terre quand le tigre avait brisé les os du crâne de l’homme qui les portait.


Le sang de sa plaie avait gelé, stoppant l’hémorragie. Elle ne sentait presque plus la douleur. Ni ses pieds. Signes que le froid avait commencé à la tuer. Mais il lui restait encore un peu de temps. Avec difficulté, elle ouvrit son blouson, retira son bras blessé de sa manche, et le cala à l’intérieur de la parka, avant de la refermer. Elle ne pouvait plus le faire bouger de toute façon.

Elle récupéra son fusil et se remit en marche, abandonnant ses skis, mais volant une paire de raquettes à ses victimes — celle que Kino lui avait laissé.


Au bout d’une heure de marche, toujours vers le Nord, la forêt s’ouvrit devant elle, finalement, et elle fit face à la mer gelée, là où les dunes enneigées venaient mourir sur la plage.

Le ciel était entièrement dégagé, et une aurore boréale majestueuse y dansait gracieusement, hypnotique, éclaboussant la banquise de verts et de violets néon.


Kawisenhawe en voyait régulièrement depuis son enfance, mais à chaque fois depuis le Svalbard, les aurores polaires lui faisaient penser à Angad, parce que c’était le seul qu’elle avait vu pleurer lorsqu’il en avait contemplé une pour la première fois. Ce garçon, dès qu’il voyait quelque chose de trop beau pour lui, il pleurait.

Elle avait quelquefois plaisanté sur sa soi-disant grande émotivité, mais en réalité, elle la lui enviait. Pas l’émotivité, car elle la partageait, mais le fait d’être capable de l’exprimer avec autant de force.


Angad était capable de montrer ce qu’il ressentait. Capable d’admettre quand il avait besoin d’aide. Capable d’aller voir un psy pour parler de ses traumas, et de prendre soin de sa santé mentale. Pas comme elle.

Capable de dire je t’aime aux personnes auxquelles il tenait, et capable de leur écrire des lettres formidablement remplies de tendresse, pour leur dire à quel point elles lui manquaient. Auxquelles elle ne répondait jamais.

Capable du courage insensé de demander la femme qu’il aimait en mariage, et même capable de lui pardonner après qu’elle l’ait rejeté, et de continuer à l’aimer avec un cœur cassé. Cent fois mieux qu’elle.

Capable de fondre en larmes à chacune de leurs retrouvailles, et de les retenir à chaque fois qu’elle l’abandonnait à nouveau. Toujours elle.


Elle n’avait jamais mérité une seule miette de lui, pourtant, égoïstement, à chaque fois qu’elle voyait une aurore polaire, elle aurait aimé qu’il soit là, et cette fois-ci ne faisait pas exception. Mais une fois de plus, comme toutes les autres, il était loin d’elle, par son entière faute, et elle contemplait les lumières du Nord seule.


Les Inuit n’étaient pas d’accord entre eux au sujet des aurores boréales. Ceux du Groenland croyaient que les âmes des morts jouaient à la balle avec des crânes de morses, et ceux du Nunavut pensaient à l'inverse que c’étaient les morses qui jouaient à la balle avec des crânes humains.

Les Finlandais, eux, appelaient les aurores boréales revontulet : la « queue de renard rouge » ou les « feux du renard ». Les Samis racontaient que le renard polaire éjectait de la poussière avec sa queue dans le ciel lorsqu’il parcourait à toute vitesse les vastes étendues enneigée, créant ainsi les aurores boréales le long de son passage.






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37 commentaires

LouiseLysambre

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Il y a 2 ans

Retard rattrapé niveau poti likes ! <3

Eponyme

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Il y a 2 ans

Merciii !

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Belles légendes sur les aurores boréales. J'aimerais les voir pour de bon un our.

Eponyme

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Il y a 2 ans

Moi aussi. J'ai regardé des vidéos pour écrire cette histoire, mais ce n'est évidemment pas la même chose.

Sissy Batzy

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Il y a 2 ans

😊 je te souhaite le meilleur pour cette fin de concours

Eponyme

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup !

Lullolaby

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Il y a 2 ans

(ღ˘⌣˘)♥ ℒ♡ⓥℯ ㄚ♡ⓤ

Eponyme

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Il y a 2 ans

Pas de table aujourd'hui car c'est la Saint Valentin ? (づ  ̄ ³ ̄)づ
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