Fyctia
Celle qui tient la glace 3
Un chien sautilla maladroitement dans la neige épaisse, remuant sa queue en panache, accueillant Angad à coups d’aboiements joyeux.
Il le salua avec des caresses de ses mains gantées. Il coupa le contact de sa motoneige, et en descendit, ses jambes s’enfonçant dans la neige jusqu’aux mollets. L’employé d’Afanasyev l’avait déjà prévenu pour la bombe électromagnétique. Le bâtiment se dressait, glacial et noir, dans l’obscurité.
Le blizzard rugissait, le froid lui poignardait le visage de mille épines. Ses sourcils et sa moustache avaient gelé en moins d’une heure.
Il n’était encore jamais venu ici, mais d’une certaine façon, c’était comme être de retour. L’obscurité et la neige avaient ce goût amer et terrible de déjà-vu.
Il venait la retrouver, elle, exactement dans la même nuit polaire où il l’avait laissée la première fois.
C’était pourtant le début de l’été lorsqu’il était arrivé au Svalbard. Mais l’été là-bas était plus froid que les hivers chez lui.
Sa première mission de terrain promettait d’être une catastrophe, il avait été forcé de venir seul, sans sa directrice de recherche, qui aurait dû être son binôme, son mentor, bloquée pour des raisons de visa. La mission n’avait pas le budget suffisant, Angad n’avait pas l’équipement nécessaire, pas les compétences, pas l’expérience requise, mais il débordait de gaité et de gratitude, comme le gamin heureux et insouciant qu’il était encore à vingt-quatre ans.
Il avait été accueilli par le soleil qui ne se couchait jamais, éclairant en pleine nuit le fjord de Longyearbyen, et à ce moment-là, il avait été écrasé par la majesté de ce paysage. Jamais il ne s’était senti si loin de chez lui, autant étranger, aussi peu à sa place. Et pourtant, jamais il ne s’était senti aussi comblé.
Depuis la seconde de son arrivée, Angad était transi de froid et vibrant d’excitation. On était début juin mais la température n’excédait pas les cinq degrés. Le voyage en avion depuis Longyearbyen jusqu’à la base scientifique de Ny-Ålesund, au Nord de l’île, lui avait paru bien trop long, tant il était impatient de faire la connaissance de l’équipe. C’est avec une joie sincère qu’il salua tour à tour les chercheurs, et les trois chasseurs suédois, avec qui il allait partager le quotidien durant les dix semaines de sa mission.
Il avait rencontré et fait la connaissance de tous les autres, à son entrée dans le bâtiment qui servait de salle commune et de cantine. Sauf une. La porte extérieure s’ouvrit, et on lui présenta la quatorzième membre de l’équipe.
« Voici Oak, du Québec du Nord. »
La petite femme qui venait d’entrer était lourdement vêtue, et armée d’un fusil. Angad devina au premier coup d’œil, à son visage, qu’il s’agissait d’une autochtone des Premières Nations américaines. Elle avait une peau d’une teinte à peine un ou deux tons en dessous de la sienne, et des pommettes hautes surplombant des joues aux méplats étonnants. Repoussant sa capuche ourlée de fourrure, elle révéla une épaisse chevelure d’un noir miroitant de corbeau.
« Bonjour, offrit-il en lui tendant la main. Enchanté de vous connaitre. Je m’appelle Angad, je suis biologiste, je viens pour un travail de recherche sur les ours. »
Elle avait accepté et rendue sa poignée de main sans répondre, se contentant de hocher la tête. Elle n’avait pas l’air commode, on sentait que c’était une femme qui ne souriait pas beaucoup. Il avait du mal à lui attribuer un âge, mais ce qui était sûr c’était qu’elle était plus âgée que lui. Il apprendrait plus tard qu’elle avait trente ans.
« Qu’est-ce que vous êtes venue étudier ? »
Tout le groupe se mit à rire. Sven, un des chasseurs suédois, répondit joyeusement :
« Elle étudie les ours, elle aussi !
- C’est vrai ? »
Angad eut une bouffée de joie candide de se découvrir une consœur inattendue.
« On ne m’avait pas dit que… »
Il s’arrêta, réalisant que toute l’équipe était en train de se bidonner.
« Pourquoi vous rigolez ? »
Akseli, un géologue norvégien, lui révéla l’origine du quiproquo, avec un sourire amusé et sincère qui tranchait avec l’hilarité moqueuse des Suédois : « Oak fait partie de l’équipe de chasse. »
Angad sentit le sang lui monter aux joues.
« Oh non, pardon, tenta-t-il de se rattraper. J’avais pas compris, désolé.
- À moins que ton étude ce soit sur des cadavres d’ours, vous risquez pas d’être collègues, se marra ouvertement Sven. Y a même moyen qu’elle devienne ton ennemie jurée, parce que y a pas un seul ours qui reste en vie dans un rayon de cent mètres autour d’elle. »
Le jeune homme se reprit.
« Pardon, alors je recommence : enchanté vraiment d’avoir l’occasion de vous rencontrer. Votre expérience de terrain m’intéresse énormément.
- Ah oui ? » répondit-elle avec une drôle d’expression qu’il ne parvint pas à déchiffrer.
Sven rigola à nouveau.
« Puisqu’on parle de ça, les gars, vous voulez entendre la meilleure blague sur notre nouvelle recrue ? Il a jamais vu d’ours de sa vie ! »
Cette révélation déclencha une surprise générale, et l’hilarité de certains. Angad prit sur lui d’en plaisanter.
« Et oui, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’ours polaires, au Pendjab, dit-il avec un sourire d’autodérision résignée. Mais je suis venu ici pour combler cette lacune. Il faut bien une première fois à tout. »
La petite chasseuse ne souriait toujours pas, mais il y eut dans son regard quelque chose d’amusé, d’un peu narquois peut-être.
« Si c’est des ours que t’es venu voir, tu vas être servi. »
Sur le moment, il avait cru qu’elle se moquait de lui avec les autres. Plus tard, il découvrirait que c’était toujours l’expression qu’Oak arborait quand elle était secrètement de bonne humeur.
La maison était vide, le poêle éteint, froid. Il vit la laine renversée, les vomissures. Le chien le suivait de pièce en pièce, se pressant contre lui, réclamant des caresses qu’il lui accorda volontiers. Angad nota sa démarche boiteuse, la façon qu’il avait de secouer la tête, encore groggy. Si l’onde EIM n’avait pas tué le chien, alors Oak ne devait pas avoir été trop sérieusement incapacitée.
Ni sang, ni traces de lutte.
Ils ne l’avaient pas encore eue. Pas ici.
Ils avaient laissé plusieurs camions vides sur place. Ils étaient probablement eux aussi en motoneiges, dont la tempête avait effacé les traces. Le larbin d’Afanasyev n’avait pas su lui dire d’où ils venaient, qui les payait. Un autre Russe fortuné, peut-être. Un contrat pareil, c’était certain qu’ils allaient être nombreux sur le coup.
Les prendre de vitesse n’allait pas être facile. Il avait quinze heures de retard sur eux. Mais il savait qu’une traque dont Oak était le gibier pouvait durer des jours, et qu’elle était en mesure d’inverser les rôles. Ils la connaissaient certainement de réputation. Mais Angad, c’était différent. Lui, il la comprenait. Il savait exactement comment elle chassait.
C’était elle qui lui avait appris à le faire.
Tout l’enjeu aujourd’hui, était de savoir si l’élève était capable de dépasser le maître.
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Mira Perry
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