Fyctia
Émotivité de l’échec 6
Angad s’attendait à ce qu’elle continue à le questionner sur son bras robotique, mais Avrora changea totalement de sujet.
« Dites… vous ne recherchez pas une assistante personnelle, par hasard ?
- Vous voulez quitter votre boulot ?
- Peut-être bien.
- Vraiment désolé, mais si vous saviez combien on me paie comme professeur, vous vous rendriez compte que je n’ai absolument pas de quoi embaucher une assistante. Je galère déjà à trouver des financements pour payer mes étudiants-chercheurs. Votre salaire est probablement de loin supérieur au mien.
- Et votre université, elle n’embauche personne ? Elle n’aurait pas besoin d’une agente conversationnelle, je ne sais pas, pour des conférences, des réceptions à l’étranger, des soirées de gala ? »
Angad rigola.
« On n’est pas Harvard, vous savez. Et je ne sais même pas ce que c’est, une agente conversationnelle, encore moins ce qu’elle est censée faire.
- Je peux faire beaucoup de choses. Je parle couramment huit langues, j’ai une formation en Assistance Sexuelle Prosociale et en Facilitation Relationnelle, et un master de Conversation. »
En plus de quinze ans dans l’enseignement supérieur, Angad n’avait jamais entendu parler d’aucun de ces champs d’expertise.
« Qu’est-ce que c’est que tout ça ?
- L’art de converser agréablement. Parce que c’est ça que je suis, dans cet avion. Un ornement. Comme ce fauteuil, cette table, ce verre en cristal », dit-elle en le faisant jouer entre ses doigts aux ongles finement manucurés. « C’est pour ça qu’on me paie. J’ai étudié la rhétorique, la neuropsychologie du langage, et aussi la linguistique genrée — parce que les hommes ne parlent pas de la même façon que les femmes. J’ai aussi pris des cours de théâtre, d’orthophonie et de diction pour avoir la voix la plus plaisante possible. Je suis une professionnelle du small talk, si vous voulez. Je suis capable de rebondir sur absolument n’importe quel sujet de conversation dont j’ignore tout, et de donner l’impression à n’importe quel homme face à moi que ce qu’il me dit est absolument passionnant. Je sais comment vous faire croire que je suis intelligente et cultivée. Mais juste un peu moins que vous, ça va de soi. »
Avrora prit une gorgée de whisky, et lui adressa un sourire complice à peine un peu teinté de cynisme, tout comme ses joues étaient à peine un peu colorées par l’alcool sous son maquillage.
« Ce qui fait de moi à la fois une des plus talentueuses manipulatrices psychologiques, et une des femmes les plus soumises et dociles que vous croiserez dans votre vie », conclut-elle.
Angad était un peu remué.
« Et le… le truc sexuel ? »
Il n’était même pas sûr de vouloir savoir.
« Assistante Sexuelle Prosociale, c’est pute de luxe, répondit-elle sans la moindre trace de gêne. Ça ne fait pas automatiquement partie du boulot, mais c’est une option possible, c’est à dire que je sais comment mener une conversation sur un terrain de séduction transactionnelle — uniquement si le client le désire, naturellement. Je suis capable de vous persuader que je vous trouve absolument irrésistible et que je meurs d’envie de coucher avec vous. Bien sûr, je suis qualifiée pour satisfaire un large choix de demandes sexuelles, et maximiser votre plaisir tout en simulant le mien à la perfection. Pour le dire clairement : je suis la femme de vos rêves, et le meilleur coup de votre vie. Il suffit juste pour le devenir que je devine de quoi vous rêvez, et je suis capable de savoir ça en un temps record. Par exemple, je sais déjà dire que nous n’allons pas coucher ensemble aujourd'hui, vous et moi, parce que vous me trouvez beaucoup trop jeune pour vous. Vous appréciez mes cheveux, mais pas mon maquillage. Vous êtes trop sentimental pour me désirer sans me connaître, parce que vous liez systématiquement vos pratiques sexuelles à vos émotions. Pour que vous ayez envie de moi, il faudrait d’abord que je vous donne la sensation d’être devenue votre amie, et ça prendrait beaucoup plus que les sept heures de ce vol. »
Là il n’était plus remué, mais purement et simplement sonné.
« C’est absolument terrifiant. »
Avrora baissa ses paupières translucides dépourvues de cils sur ses yeux, dans une attitude modeste, comme pour s’excuser.
« Je ne voulais pas vous paraitre si cynique. Je ne l’aurais jamais fait, je veux dire, manipuler vos sentiments pour coucher avec vous. On ne me paie pas pour ça. Je suis là pour faire passer aux gens un bon moment, pas pour abuser de leur confiance.
- Vous me rassurez. Je suis un vrai coeur d’artichaut, qui s’attache beaucoup trop facilement aux gens. »
Elle rit.
« Et ça se voit tout de suite !
- Soyez indulgente avec moi, supplia-t-il avec humour, je n’ai pas votre éloquence, ni votre finesse rhétorique, ce n’est pas gentil de votre part de vous moquer de mon côté premier degré en matière de relations sociales.
- Je ne me moque pas du tout. J’adore les gens comme vous. Je ne comprends toujours pas ce que vous faites dans cet avion, vous n’êtes véritablement pas à votre place ici. Mais je suis heureuse que vous soyez là.
- C’est un plaisir partagé. »
Il le pensait vraiment. Avrora était une rencontre formidable.
Il en oubliait presque sa destination, et les kilos de flingues dans sa valise. Presque. Mais il lui restait encore six heures de grâce. Il comptait bien les savourer.
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