Fyctia
Charles II et le mammouth 2
Ureltu dévisageait la Sorcière aux tigres nerveusement. Il lui semblait apercevoir quelque chose de cruellement amusé dans ses yeux graves ridés de pattes d’oie, et il pressentait que ça ne présageait absolument rien de bon pour lui.
Soudain, son expression changea. Elle se tendit d’un seul coup, quelque chose passa sur son visage, quelque chose d’intense, rapide, sa figure prit une teinte de concentration, d’alerte.
En l’espace d’une seconde, il se sentit basculer vers le sol. Elle avait saisi son vêtement d’une poigne de fer, et lui avait fait un croc-en-jambe foudroyant. Il se retrouva à bouffer l’herbe sans avoir rien compris.
Il voulut instinctivement protester, mais une paume impérieuse maintenait sa nuque ployée vers le sol.
« La ferme » siffla-t-elle à son oreille.
Il parvint à tourner un peu la tête, à grand peine, juste assez pour apercevoir, par bribes seulement, à travers les herbes hautes. Et il le vit.
Un tigre énorme, encore plus gigantesque que dans son imagination — même à une telle distance —, était de train de descendre le vallon depuis la pente opposée, en direction de la carcasse. Les petits carnassiers avaient fui le festin.
C’était ça, comprit-il, qui avait prévenu la chasseuse.
Ici, se rendit-il compte, tout ce qui l’entourait était comme les pages d’un livre pour elle. Et lui était analphabète.
Oak maudit ce gosse de toute sa mauvaise humeur chauffée à blanc par l’adrénaline.
De la dizaine de tigres qui peuplaient désormais le parc, il avait fallu que ce gamin irresponsable vienne sur le territoire du plus gros et caractériel de tous les mâles, Kino.
Et il avait choisi la pire période. Les femelles étaient en chaleur, les mâles devenaient surexcités, agressifs, prêts à relever le moindre défi, la moindre provocation. Un tigre comme Kino était déjà extrêmement dangereux en temps normal, ces jours-ci il était une vraie machine à tuer. Une guillotine ambulante.
C’était la première fois en trois ans qu’Oak se retrouvait aussi proche d’un accident mortel face à un tigre. Tout en continuant à aplatir la face stupide du mioche contre le sol, elle fit glisser dans des gestes d’une fluidité et d’une lenteur absolues l’arme de son dos.
Elle dut relâcher sa prise sur l’adolescent pour ramener le fusil devant elle.
« Relève pas la tête ou je te la casse par terre », siffla-t-elle directement dans son oreille.
Elle visa et arma délicatement. Kino était si proche qu’elle n’avait même pas besoin de la lunette optique, la mire métallique lui suffisait largement. Kino, inconscient d’être pris pour cible, était maintenant en train d’inspecter la carcasse de mouton.
Mais l’animal redressa alors la tête, son attitude rapidement altérée.
Il était en alerte.
« Il nous a repéré. »
C’était son nez qui les regardait.
« Il nous voit pas, mais il nous sent », souffla-t-elle au gamin.
Putain de merde, son accoutrement ridicule de tenue préhistorique puait la graisse de renne, elle en avait les narines remplies ! S’enrouler dans du jambon avant de venir aurait été à peine plus suicidaire.
« S’il vient vers nous, peu importe à quelle vitesse, ne crie pas, ne bouge pas, ne cours pas. »
Aucun tigre n’avait encore constitué pour Oak d’aussi belle cible, mais le problème, c’était qu’elle non plus n’avait jamais été une aussi belle proie.
Elle serait forcée de le tuer. Elle n’en avait aucune envie.
C’était beaucoup trop de paperasse.
Et Kino était un de ses préférés.
Mais à ce moment, un changement s’opéra.
Le vent.
Le vent avait tourné, et chassait désormais leurs odeurs derrière eux au lieu de les pousser vers le tigre. Kino était interrogateur, concentré. Il ne regardait plus dans leur direction. Il se tourna, scrutant à nouveau les alentours. Sa nervosité, son sentiment d’intranquillité ne s’étaient pas dissipés. Ses sens et son instinct lui signalaient qu’il y avait quelque chose d’anormal dans les environs, et ne pas parvenir à savoir quoi l’agaçait.
Prenant alors sa décision, Kino se baissa, saisit la carcasse entre ses mâchoires gigantesques, et la souleva d’un unique mouvement, comme si elle ne pesait rien du tout. Trainant sa proie derrière lui, il s’en alla lourdement, à pas de géant.
Une minute plus tard, la chasseuse désarma, se releva, et remis son fusil dans son dos.
Toujours ratatiné au sol, Ureltu lui adressa un regard anxieux.
« On l’a perturbé, dit-elle. Il est parti pique-niquer ailleurs. »
Elle l’empoigna par le col de sa tunique et le remit sur pied d’un seul bras, dans un geste qui lui parut terriblement semblable à celui que le tigre venait de faire pour s’emparer de sa proie. Cette petite femme possédait une force insoupçonnée.
« Tu peux me dire merci. Si j’avais pas été là, c’était toi qu’il bouffait. T’es plus rachitique qu’un mouton, mais Kino, il est joueur, il préfère toujours les proies qui remuent.
- Merci », murmura le garçon du bout des lèvres.
Ureltu aurait dû avoir bien davantage peur du tigre, mais c’était elle qui lui flanquait le plus la frousse.
Pourtant, réalisait-il, la Sorcière aux tigres n’allait pas le tuer. Sa honte et son dépit d’avoir échoué à son rite initiatique se teintaient malgré tout d’un grand soulagement. Il allait pouvoir rentrer chez lui. Piteux, déconfit, mais en un seul morceau. A moins que…
« Dites, Madame, vous allez pas me dénoncer aux flics ? »
Le braconnage dans la République Fédérale de Sakha était puni de très lourdes peines de prison. Pour les veinards qui s’étaient fait choper à braconner ailleurs que chez Baba Yaga, évidemment.
Cette dernière eut un sourire très méchant.
« J’ai pas que ça à foutre de mes journées. Allez, ramène-toi. Tu m’as assez fait perdre mon temps. »
Trop heureux de s’en tirer à si bon compte, Ureltu lui emboita le pas.
« Comment vous m’avez repéré ?
- Tu crois que tu peux venir sur mon territoire et que je ne le sache pas ? » rétorqua Oak.
Ce petit crétin avait déclenché un de ses pièges photographiques quasiment au premier pied posé dans l’enceinte du parc, et, même déguisé en sapin de Noël en peau de renne, l’algorithme avait détecté la silhouette humaine. Mais ça, elle ne comptait pas lui dire. Baba Yaga avait une légende à entretenir, et celle-ci disait qu’elle avait des yeux partout. Pas besoin de savoir qu’il s’agissait des yeux de la technologie. Elle savait même déjà où il avait laissé son quad, et elle comptait bien l’y ramener tout droit, et voir la prise de conscience de ses capacités surhumaines lui coller la frousse de sa vie.
« Et maintenant, tu vas me suivre bien gentiment. Je te raccompagne jusqu’à l’entrée du parc. Tu déranges tout le monde, ici. »
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Jay H.
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