Eponyme Solastalgia Charles II et le mammouth 1

Charles II et le mammouth 1



La carcasse du mouton vibrait dans la chaleur de l’été.


En Arctique, le réchauffement climatique avait été deux à trois fois plus rapide que dans les autres régions du monde. L’augmentation des températures maximales, et de l’intensité des vagues de chaleur, avaient fait des mois de juillet et août dans la Kolyma une vraie fournaise, où il n’était plus rare de voir le thermomètre s’affoler au-dessus de vingt-cinq degrés.


Il en faisait trente-deux aujourd’hui, le jour le plus chaud de l’année, et le mouton mort embaumait à plus de trente mètres à la ronde.


L’adolescent l’avait porté avec peine sur son dos, suant dans ses vêtements trop chauds, alourdi sous sa puanteur. Il l’avait déposé là, au fond de ce petit vallon, et avait attendu, dissimulé parmi les herbes hautes.

Les insectes vrombissaient autour de la dépouille, et des petits carnassiers avaient déjà commencé à se servir, un renard polaire dans son costume d’été argenté, et plusieurs hermines furtives.


Ureltu avait demandé la permission pour emprunter le quad de son oncle, mais avait menti sur sa destination.

Il avait laissé l’engin à la limite de la frontière officielle du parc du pléistocène, et avait fait le reste à pied, patiemment. Il attendait depuis une demie-heure avec la même patience, la main refermée sur l’arme qu’il avait apportée.

Pas n’importe quelle arme. Une lance, qu’il avait fabriquée lui-même, suivant précisément la description qu’il avait trouvée dans un livre sur les traditions de son peuple.


Il n’avait encore jamais chassé, mais ce n’était pas grave. Il s’était vu le faire en rêve.

Il n’avait que dix-sept ans, mais l’âge n’avait pas d’importance, il avait quitté sa maison ce matin adolescent, il y reviendrait homme ce soir.


Le tigre allait venir. Ureltu en était certain.

Il l’avait vu dans son rêve.


La chaleur étouffante l’endormait un peu, et des insectes agaçants venaient vrombir à ses oreilles. Il était si bien caché que même le sensible et rusé renard ne l’avait pas aperçu. Chasser n’était finalement pas aussi difficile qu’on le disait.


Ureltu entendit alors une voix juste derrière lui.


« Médiocre. »


Il se retourna, son coeur le soulevant tout entier dans un bond de panique, et ne vit rien. Absolument rien.

Alors les broussailles s’ouvrirent, comme un rideau, et elle apparut.

Il hurla de peur. La créature était habillée d’air, et en sortit comme d’un voile, son visage surgissant de sous une capuche de ciel. Il y eut un miroitement, et la magie cessa soudain. Le vêtement perdit ses propriétés d’invisibilité, et redevint une simple capeline, portée par une femme tout à fait humaine.


Son esprit s’éclaircit alors, et Ureltu réalisa enfin qu’il s’agissait d’une forme de technologie, et pas d’une manifestation d’un pouvoir surnaturel, comme sa terreur le lui avait tout d’abord dicté.

Son cerveau s’enraya, et il ne comprit pas, que faisait ici cette petite femme âgée aux cheveux gris ?

L’instant suivant il réalisa, et une nouvelle forme de peur vint replacer la première.


C’était elle. Baba Yaga. La Sorcière aux tigres.

Il était mort, se dit-il.

Mais juste ensuite, Ureltu se fit la réflexion, tout de même, qu’il l’imaginait plus grande.


La Tueuse de Chasseurs portait un fusil dans le dos dont le canon dépassait derrière son épaule, dans une menace si palpable que l’adolescent devait résister à l’envie de prendre ses jambes à son cou. Elle le dévisageait avec une expression immensément sombre, et quelque chose de si cynique et froid dans le regard qu’il en avait les sangs glacés même sous cette chaleur d’été. Elle lui faisait l’effet d’un oiseau de proie, avec son visage anguleux, ses traits sévère, acérés.


« J’espère que tu sais qui je suis ? » questionna-t-elle.


Elle parlait en anglais, mais heureusement, il était assez bon élève dans cette langue pour la comprendre à peu près bien.

Il répondit dans un murmure :


« Vous êtes la Sorcière aux tigres. 

- Tout à fait. Et toi, tu es un petit crétin qui a très mal choisi son moment pour démarrer une carrière de braconnier.

- Je suis pas braconnier », se défendit Ureltu avec une verve terrifiée.


De son côté, Oak était divisée entre courroux et étonnement.

Elle ne s’attendait pas à tomber sur un pareil spécimen.


« Toi, tu es un Evenk, pas vrai ? »


Ce n’était pas difficile à deviner, à sa face ronde aux joues bombées par des pommettes d’une circularité quasi parfaite, sa fossette longue sous le nez, et ses yeux sombres presque dépourvus de cils, amincis par le pli épicanthique très prononcé de leurs paupières, qui leur donnaient ce regard si particulier, à la fois rêveur et fier, typique des ethnies indigènes de Sibérie.

Son visage lisse et fin, délicat comme celui d’une fille, avec son ombre de moustache qui trahissait sa juvénilité plus qu’elle ne la conjurait, était partagé entre terreur et curiosité.

Ça lui fit assez plaisir. Elle aimait qu’on ait peur d’elle.


Oak le détailla de la tête aux pieds.

Il portait les cheveux longs aux épaules, et une coiffe sur son front, faite d’un bandeau de perles colorées dessinant des motifs ethniques, auquel était attachés des fils de perles qui pendaient devant sa figure en un étrange rideau.

Il était habillé d’une improbable tenue entièrement en fourrure de renne, rehaussée de perles en os et de broderies diverses. Même ses bottes étaient en poils de renne, et il devait sans aucun doute crever de chaud, accoutré de cette tenue d’hiver, anachronique à la fois pour la saison et pour le siècle.

Son apparence aurait dû frapper par l’aspect traditionnel qu’elle évoquait, mais l’effet était en réalité davantage pathétique que folklorique, on sentait bien trop l’amateurisme maladroit de la tentative de réappropriation culturelle, et l’ensemble ressemblait davantage à un cosplay qu’à un costume indigène.


« Sacré déguisement de carnaval. Très impressionnant. C’est ta maman qui l’a cousu ?

- C’est moi-même ! A la main ! C’est l’habit rituel des chamans et des chasseurs.

- Utilise pas des mots que tu connais pas.

- Quoi ? Quels mots ?

- Chasseur. »


Elle termina de retirer sa cape à camouflage optique, et la replia pour la remettre dans son sac à dos. Elle utilisait rarement ce gadget, ça n’avait que peu d’effet sur les animaux, qui comptaient souvent moins sur leur vue que sur leurs autres sens. Ce genre de technologie n’impressionnait que les humains, et, vu le cri que le gamin avait poussé en la voyant apparaitre, elle venait certainement de lui faire la peur de sa vie. Sous son flegme sévère apparent, elle s’amusait beaucoup de la situation.


Un problème de réglé, se dit Oak avec satisfaction. Ce petit crétin n’avait pas eu le temps de faire quelque chose de vraiment stupide.

Elle n’avait plus qu’à lui coller une bonne fessée et à le renvoyer moucher sa morve chez Maman.


Mais alors, elle l’entendit. Le silence. Et elle vit le renard argenté foutre le camp en courant. Et sa bonne humeur s’effondra.

Elle avait un nouveau problème. Un énorme.

Et il arrivait droit vers eux.

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65

65 commentaires

Jay H.

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Il y a 2 ans

Alors, je sens le truc arriver gros comme un igloo ! Et franchement, si c'est ça, tu n'as pas le droit de faire des choses pareilles ! Parce que Ureltu est déjà très attachant au vu de ce premier chapitre et je pense qu'il ne pourra que l'être encore plus par la suite ... et je vois vraiment le truc arriver que c'est lui qui sera tué par la chasseuse solitaire :( ... j'espère me tromper ! ... Bon hâte tout de même de savoir ce qui leur fonce dessus à ces deux-là :)

Eponyme

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Il y a 2 ans

Je suis comme toi qui réponds à mes commentaires chez toi : je peux pas spoiler XD

Jay H.

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Il y a 2 ans

Hahahaha je me doute bien !!!!

Leanor Lark

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Il y a 2 ans

Bon je viens poser mes likes pour te garder dans le top 10, mais je viens continuer de te lire dès que j'ai un peu de temps (jpp de courir partout oskour 😭)

Eponyme

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Il y a 2 ans

Hihihi, merci pour les likes. Stresse pas, s'il y a bien une histoire que tu n'es pas pressée de lire, c'est la mienne. On se sait que tu peux la retrouver quand tu veux ailleurs, et tu as QUINZE trucs bien plus urgent et importants à faire avant moi <3 force à toi pour la dernière ligne droite ! Croque tout !

Eva Boh

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Il y a 2 ans

La chasseuse pris à son propre jeu, je me languis de la voir transformée en proie. Maman tigre n'est pas contente ?

Eponyme

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Il y a 2 ans

Il y a des animaux aussi dangereux qu'elle qui trainent dans le coin, elle est venue arrêter l'ado pour éviter une grosse catastrophe... mais va-t-elle l'éviter ?

Mira Perry

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Il y a 2 ans

Hou ! Cliffhanger sympa ! La chasseuse aurait donc un nom.

Eponyme

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Il y a 2 ans

Et oui !

Léa Muna

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Il y a 2 ans

Dans ce début, je pense que Oak à davantage protéger le gamin que le tigre, car le petit me semble si inexpérimenté qu’il aura terminé en pâté pour les félins. La fin du chapitre donne envie d’enchaîner sur la suite ! Et j’ai beaucoup apprécier l’envie de cet adolescent de retrouver ses racines, jusque dans le port du vêtement traditionnel, dans un monde où tout est chamboulé, les coutumes ou le climat, au point de ne plus y trouver de sens.
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