Fyctia
Espèce en voie d'apparition 3
La chasseuse attendit la suite, exhalant une petite volute de fumée au parfum végétal légèrement mentholé.
« Mes employeurs connaissent votre réputation. Vous êtes capable de chasser absolument tous les gibiers, dans n’importes quelles conditions, y compris les plus rudes. Y compris dans l’hiver polaire. J’ai lu que vous avez chassé l’ours blanc au Svalbard ? »
Elle hocha la tête, sans émotion apparente.
Elle y avait passé plusieurs saisons, dans le temps. Le Svalbard était un territoire avec des enjeux géopolitiques, scientifiques et écologiques majeurs, de nombreux chercheurs y effectuaient des missions pour étudier le dérèglement climatique. Mais, comme partout dans le cercle polaire, la surpopulation d’ours était devenu un problème, et il avait fallu la réguler.
L’ours polaire était le plus gros prédateur qu’elle avait jamais chassé. Le plus dangereux aussi.
Un ours blanc est capable de pointes de vitesse à 45km/h.
Ça n’a l’air de rien dit comme ça, comparé à d’autres objets en mouvement, vous pouvez vous dire que votre voiture roule plus vite que ça en ville. Mais sur le terrain, vous vous rendez très vite compte, que 45km/h, quand vous êtes à pied dans la neige, c’est effroyablement rapide.
Vous avez l’impression qu’un ours est loin, mais, à partir du moment où il se met à courir vers vous, vous avez à peine le temps de prendre votre fusil en main. Et le droit à un seul coup.
Pour ces missions au Svalbard, on l’avait très bien payée.
Et puis, le permafrost avait libéré en fondant le virus de la variole, et l’archipel avait été déserté.
Depuis plusieurs décennie, la Russie elle aussi avait d’énormes problèmes avec ses ours. La fonte des glaces les avaient poussés au Sud, et des villes avaient été littéralement envahies d’ours, qui erraient en bandes dangereusement nombreuses, faisant les poubelles, bouffant le bétail et les animaux domestiques, allant jusqu’à s’attaquer à des passants dans les rues et entrer dans les habitations à la recherche de nourriture.
« C’est pour ça que vous voulez m’embaucher ? Pour des ours ? Si c’est ça, ça ne m’intéresse pas. »
Les ours, elle en avait fait le tour. Aller se geler le cul en Russie pour ça, non merci. Des ours réfugiés climatiques, il y en avait bien assez au Québec. Les municipalités d’ici l’appelaient déjà au moins trois fois par mois pour flinguer ceux qui venaient ravager leurs poubelles et boulotter leurs chiens.
Les gens, franchement. Ils étaient monté jusque chez les ours pour extraire leur foutu gaz de schiste, et maintenant ils s’étonnaient que les ours descendent jusque chez eux pour chercher à bouffer.
« Non, non, aucunement rien à voir avec des ours, et aucunement rien à voir non plus avec de la régulation, c’est une quelque chose de bien plus lucrative que tout ça. Si vous acceptez ce contrat, je peux vous offrir plus d’argent que vous pouvez l’imaginer. »
Soudain irritée, elle écrasa le cul de sa bidi dans le cendrier.
« Ton argent, j’en ai rien à foutre. »
Le Russe se rétracta, mortifié, avec la sensation de l’avoir insultée soudain sans l’avoir voulu.
On l’avait souvent payée très cher pour l’employer en tant que chasseuse. Mais depuis longtemps, cet argent n’avait pas de valeur à ses yeux.
Elle n’avait jamais été du genre à se raccrocher à des morceaux de papier.
La crosse fiable et lisse d’un fusil, les épaules fermes d’un vrai ami, l’écorce rugueuse et réconfortante des bûches à bruler lorsqu’il faisait froid, la fourrure d’un chien affectueux, la douceur et la chaleur d’une épaisse couverture, une assiette copieuse qu’on vous tendait, un bon livre qui vous accompagnait lors des nuits longues, tout ça c’était des choses auxquelles on pouvait se raccrocher.
Le papier, ce n’était pas assez solide, et ça ne valait rien à l’âme.
Et l’âme, quand à elle, était depuis longtemps malade.
Cela faisait trop longtemps qu’il n’y avait plus eu pour elle d’ami, de chaleur, de chien, de douceur, de belles histoires à découvrir.
Depuis trop longtemps, il n’y avait plus que le fusil. Et une vie dont le sens lui échappait.
Et le voilà qui arrivait, ce foutu Russe illisible, qui lui gâchait son multiball, confondait Québec et Canada, lui roulait ses R à la figure, et lui proposait de l’argent.
Elle eut alors envie de lui répondre exactement ce qu’elle pensait en cet instant précis.
Ton argent, j’en ai rien à foutre.
Offre-moi une vie qui en vaut la peine.
Mais elle se retint, et lança à la place :
« Si c’est tout ce que tu as à me dire, tu peux dégager. »
L’homme se reprit.
« Non, non, j’ai mieux pour vous. Beaucoup mieux. »
Il semblait sûr de lui. Elle eut un léger regain d’intérêt.
« Je peux vous donner la possibilité de chasser un gibier que vous n’avez encore jamais chassé dans votre vie. »
Voilà. On y était. Ce qu’elle espérait entendre depuis le début.
Peut-être qu’il avait quelque chose d’intéressant à offrir, finalement.
Une vie qui en vaut la peine
Une chasse qui en vaut la peine.
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Christellaa
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Il y a 2 ans
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Leana Jel
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WildFlower
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