Eponyme Solastalgia Une maison en feu

Une maison en feu

2018.

Premier rapport du GIEC sur le réchauffement planétaire. 
Ils disaient que si le monde restait le même, le monde allait changer. Ils avaient raison.


Ils disaient qu’on pouvait changer le monde avant que le monde nous change. Ils disaient qu’il fallait prendre des douches plus courtes et réduire ses déchets. Ils mentaient.



Ce qu’ils ne disaient pas, c’était que les entreprises et les industries produisaient plus de 90% des déchets, et que l’eau n’était pas en train de se raréfier, mais d’être volée.


Le niveau des océans et du mensonge montait, en parallèle les rivières et les solutions s’asséchaient.


Des milliardaires envoyaient des tonnes de polyéthylène sur Mars, et les oiseaux tombaient du ciel sur Terre, leurs estomacs dégueulant des bouts de plastique.


Sur les plages, par dizaines de milliers, les baleines et les vacanciers venaient s’échouer au soleil, mais seuls les seconds achetaient des churros et repartaient en vie à la marée haute.


On disait qu’une autre fin du monde était possible.

On disait que nos enfants nous jugeraient.

On disait qu’il fallait changer le système, pas le climat.

On disait que quand l’espoir mourait, l’action commençait.

On disait que le monde n’était pas une marchandise.

On disait que chacun devait faire sa part.

On a dit beaucoup de choses.


On disait, l’horloge de l’apocalypse est sur minuit moins deux.

On disait, on n’a plus le temps.


Ils répondaient, le temps c’est de l’argent. Alors ils en ont acheté. Du temps supplémentaire.


Mais ce qu’ils achetaient, en réalité, depuis toujours, ils le volaient à leurs enfants.


On s’indigna, on signa des pétitions, on publia des livres, on manifesta, on vota. Mais la réalité, c’était que si s’indigner, signer des pétitions, publier des livres, manifester et voter avaient pu avoir la moindre efficacité, ils l’auraient déjà interdit depuis longtemps.


Alors l’humanité ne changea pas. Le monde, si.


A la roue de l’infortune de l’effondrement, on avait listé tout un éventail de nouveaux candidats aux cavaliers de l’apocalypse.


Le changement climatique.


La Troisième Guerre Mondiale.

L’épuisement des ressources.


Le péril nucléaire.


La crise économique.


Les catastrophes naturelles.


Les pandémies.


La gelée grise.


L’érosion génétique.


La crise migratoire.


Le dysgénisme.


La singularité technologique.

La roue tourna, et s’arrêta d’abord sur pandémie.


La première tua seulement un petit million de personnes. La seconde tua les systèmes de santé des soi-disant démocraties occidentales. La troisième eut la peau de plusieurs gouvernements. La quatrième est encore à l’œuvre, ici et là, au hasard des clusters qui se forment, faisant se contracter les populations, se refermer les villes pour un temps.

Mais les virus ne circulent plus si facilement, désormais, ils serpentent lentement d’un lieu à un autre, tels des couleuvres paresseuses. Le monde est redevenu plus grand. On n’y voyage plus comme avant, ni les gens, ni les marchandises. Il y a moins d’avions dans le ciel. On ne part plus en vacances sur d’autres continents, on ne fait plus venir les fruits et les jouets de l’autre bout de la planète. Les frontières sont redevenues des murs. Seuls les riches, les armes et les conflits continuent de circuler librement. Les riches, il y en a de moins en moins, mais ils ont de plus en plus d’argent. La richesse se concentre. La frontière entre politique et marché a été effacée.

Les rois du nouveau monde portent des couronnes de charbon, d’aluminium, de béton, de lithium, de bioplastique et de bois recyclé-réaggloméré-traité.


Il y eut des guerres aussi. Certaines avec des drones, d’autres avec des tweets, d’autres encore avec des estomacs creux en guise de soldats.

On a envoyé des enfants qui n’avaient pas appris à lire tirer sur des adultes qui avaient peints leurs messages de paix et de justice sur des pancartes.

On a demandé à des hommes incapables d’aimer de gouverner des femmes qui ne pouvaient pas voter.

On a dit à ceux qui n’avaient rien qu’ils devaient produire pour ceux qui avaient déjà trop.


Le marché perdurait.


En guise d’anecdote dans le brouhaha du monde, en 2028, la militante écologiste Greta Thunberg fut assassinée d’une balle en pleine tête au cours d’une marche pacifique. Son meurtrier ne fut jamais découvert. Pang Samnang, une jeune cambodgienne trans de dix-sept ans qui devait incarner le futur, reprit le flambeau de l’activiste martyre suédoise, et devint mondialement célèbre, notamment à travers un slogan, qu’elle porta passionnément, infatigablement, aux quatre coins de la planète comme un mantra :


« On ne peut pas vivre dans une maison en feu. »


Le futur lui donna tort.


On pouvait habiter une maison en feu.


2081.


Le monde de l’économie est resté le même, et c’est à peu près la seule chose à ne pas avoir changé.


La maison brûle toujours et les humains y vivent.

Voici l’histoire de plusieurs d’entre eux.

Ce n’est pas une histoire qui se termine bien.

Tu as aimé ce chapitre ?

168

168 commentaires

Mary Lev

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Il y a 10 mois

Une entrée en matière originale, tout en pessimisme comme je les aime !

Sarah B

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Il y a 2 ans

Coucou, me voici enfin chez toi et je dois dire que je suis sacrément surprise. Je ne m'attendais pas du tout à ça ! Heureusement pour moi que ce sont des nouvelles que je pourrais lire indépendamment les unes des autres parce que ma petite tête n'y aurait pas survécu.😅 Ce premier chapitre est très intéressant. Tes phrases courtes nous percutent de par leurs réalités puis leurs possibilités. Je n'ai pas l'habitude de lire ce types d'histoires mais la tienne m'attire particulièrement. En revanche, il va me falloir toute la concentration du monde pour pouvoir te laisser des commentaires pertinents (ou pas😅, ce n'est pas un exercice facile). Ne t'étonne d'ailleurs pas si je ne suis pas très régulière dans ma lecture.

Eponyme

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Il y a 2 ans

Coucou ! Une nouvelle lectrice de bon matin ! Cette intro est assez dramatique et foisonnante, pour planter le contexte mondial, disons, mais promis, les histoires ensuite sont beaucoup moins compliquées, elles sont centrées sur les personnages et leurs enjeux à leur échelle, pas d'explosion de cerveau au programme ;)

Jay H.

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Il y a 2 ans

C'est bon enfin au rendez-vous ! :) Je ne te promet pas d'être aussi vif que toi dans la récurrence de mes commentaires, mais je vais faire de mon mieux ^^ Ce prologue est tout simplement magique car il réunit plusieurs ingrédients de qualité : l'originalité, le percussion/résonnance des mots (leur impact plutôt) et des mots tellement biens choisis. Je ne suis pas expert comme la personne qui a fait son commentaire plus bas, mais je trouve au contraire que tu as bien fait d'aborder beaucoup de thèmes. Ca permet une vraie dénonciation de notre société, de notre monde, une société régie par plus de mal que de bien finalement. Tu dénonces des sujets importants et je t'avoue que j'ai adoré ta phrase : "si s’indigner, signer des pétitions, publier des livres, manifester et voter avaient pu avoir la moindre efficacité, ils l’auraient déjà interdit depuis longtemps." C'est à mon sens la phrase qui a le plus d'impact sur le lecteur et qui résume parfaitement tout ce système médiocre et corrompu dans lequel nous vivons. Pour finir, je dirais que tu redonnes la vue aux personnes qui avaient décidé de rester aveuglées devant cette horrible réalité qu'est le monde dans lequel nous vivons.

Eponyme

-

Il y a 2 ans

Et me voici enfin pour commencer à répondre ! Merci pour ta patience ! Comme tu l'as compris, cette accumulation de plein de thèmes catastrophiques jusqu'au trop plein, est là pour donner une sensation d'écrasement et d'impuissance, un effet "on va jamais s'en sortir, les problèmes sont insurmontables", et dans le monde que je décris, c'est effectivement bel et bien foutu. La changement climatique n'est pas réversible, les espèces disparues ne seront pas ressuscitées, les millions de victimes des catastrophes naturelles, des guerres, des inégalités sociales, de la pollution, n'auront pas justice rendue. C'était avant qu'il fallait empêcher tout ça, cette histoire, elle prend place dans la défaite et l'échec. Les personnages ne vont pas sauver le monde, ils auront déjà de la chance s'ils arrivent à sauver un peu d'eux-mêmes, à trouver une dernière petite raison de vivre.

Mia Demo

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Il y a 2 ans

Formidable ! J'adore ses phrases si bien tournées, si vraies, avec ces jeux de vilains mots dans cette si triste mise à mort. Crescendo ! Merci pour la lecture ! Je continue pour le plaisir du ton 👌🤗

Eponyme

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup ! Le ton ne va pas devenir plus optimiste, je te rassure, ahaha !

Tess Balade

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Il y a 2 ans

Percutant...je like!

Eponyme

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup !

Leana Jel

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Il y a 2 ans

Hello ! Ton histoire m'a été conseillée comme sortant du lot, alors je passe. Une autre dystopie, youhou ! Je suis très sensibles aux thèmes que tu abordes, et le capitalisme, je disserte plus ou moins dessus depuis six mois après des années à écouter des conférences et des documentaires arte. Le prologue que tu proposes ici est un enchaînement presque ininterrompu de phrases percutantes. Certaines sont très frappantes et justes ; certaines le sont, à mon sens, un peu moins. Tu abordes beaucoup de thèmes très différents. Je pense que tu devrais te centrer sur certains d'entre eux, quitte à en laisser d'autres (les moins utiles à ton histoire) de côté. Je n'aurais pas laissé l'anecdote sur Greta Thunberg, par exemple : c'est le genre de détail trop précis qui rend une histoire moins universelle, et en soi, personne il me semble n'a d'intérêt dans sa mort. Le système économique actuel est un système qui repose sur la jouissance de l'homme, pas un système répressif, c'est ça qui fait qu'il est aussi dangereux : personne n'a envie d'arrêter de consommer, c'est pour ça que rien ne change. J'ai écouté une conférence du précepteur sur Youtube là-dessus, intitulée "Tout est permis rien n'est possible", elle est vraiment chouette. Bon, je pourrais parler de ça pendant des heures...
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