Fyctia
Chapitre 6.1
12 Juin 2050
Une semaine plus tard
— Non mais t’as vu ça ?! s’écria Shaïn en traversant la forge à grandes enjambées en brandissant le journal du jour.
Je suspendis mon geste, arrêtant net mon bras en l’air, et me tournai vers lui en abaissant lentement mon marteau. Ce journal, c’était en partie son œuvre. C’était, entre autres, lui qui lui avait donné son nom. Comment était-ce possible que quelque chose venant de l’Icarus puisse encore le surprendre ?
Il me brandit l’article sous le nez, à la rubrique « Décès ». On y trouvait la liste des nouveaux disparus et les conditions de leur mort.
Un éclair passa dans mon regard, puis je repris mon activité sans dire un mot, ce qui le laissa perplexe.
— C’est tout ce que ça te fait ?
Était-il déçu ? Il paraissait choqué, en tout cas.
Je grognai, les dents serrées :
— Et alors ? Qu’est-ce que j’y peux ?
Shaïn rangea le journal dans son inventaire et laissa éclater sa colère quant à mon manque de réaction :
— Ça ne te fait rien que d’autres, encore, soient morts dans ce jeu ?
Je me tournai vers lui, faisant disparaître mon marteau afin d’éviter un accident en cas de mouvement brusque. Il comprit aussitôt les signaux de mon regard glacial.
— Ce que je veux dire, Shaïn, c’est que je n’ai pas la capacité de remonter le temps. Ni celle de ressusciter les morts. Je ne peux rien faire pour eux, pas même pour les vivants avec mon niveau ! Tout ce que j’ai trouvé pour aider, c’est de forger les meilleures armes possibles afin que tous ces joueurs aient plus de chance de s’en sortir grâce à un meilleur équipement. C’est tout ce que j’ai. C’est tout ce que je peux faire.
Mon ami me fixa une fraction de seconde, puis se cogna la tête contre le bord de mon enclume, à ma plus grande stupéfaction. Il n’y récolta néanmoins pas même une marque sur le front, mais certainement une légère douleur.
— Rah ! Je suis un imbécile. Je suis désolé. C’est juste que je commence à devenir fou dans ce jeu !
J’attendis qu’il se calmât pour ressortir mon marteau et reprendre la forge de la tête de lance sur laquelle je travaillais avant qu’il ne vienne m’interrompre.
— Tu sais quel jour nous sommes ? reprit mon ami, aussitôt.
— Le 12 juin, répondis-je sans lever les yeux de mon travail.
— Ça fait deux mois que nous sommes les prisonniers de Valhalla.
Je ne dis rien. Le temps semblait s’écouler différemment, ici. Pour moi, il y filait bien plus vite.
Je ne voulais pas trop songer aux dates non plus. Il y avait trop de ponts vers le monde réel. Une date d’anniversaire ratée, le bac que j’aurais dû être en train de réviser et sur le point de passer…
— Et ton projet de guilde, alors ? demandais-je pour changer de sujet. Tu as disparu pendant presque trois jours, il n’y a pas si longtemps. Je pensais que, finalement, tu avais trouvé une guilde que tu avais intégrée…
J’eus du mal à dissimuler que cette nouvelle me serait un véritable coup dur. En tout cas, il arborait un grand sourire.
— Et te laisser derrière ? Au contraire. Deux joueurs de l’équipe de base qui a conçu l’Icarus sont intéressés par mon idée.
Je rangeai une fois de plus mon marteau pour lui témoigner toute mon attention, surpris par ses déclarations.
— La direction du journal est toujours à Bellal ? crus-je comprendre.
Il secoua la tête.
— Non, elle a même quitté la zone. Mais ils ne font plus partie du journal. Ils veulent poursuivre l’aventure, comme moi.
De fait, à la création du quotidien, ils avaient aussi créé la guilde Icarus, qui s’était centrée sur le journal. Shaïn avait refusé de l’intégrer, et ces deux-là semblaient tout simplement l’avoir quittée. Pour autant, la guilde Icarus comptait de nombreux membres.
— Bon alors, et toi ? m’interpella Shaïn. Tu veux toujours rester ici, à Bellal ; rester forgeron ?
Je contemplai mon travail à présent achevé et l’envoyai vers la boutique avant de lui répondre :
— C’est ce que je peux faire de mieux pour aider tout le monde.
— Mais, tu ne veux pas vaincre les Nornes, Odin, et sauver Emrys ? Tu ne veux pas trouver la Porte ?
Je haussai les épaules et déséquipai mon tablier en cuir de forgeron.
— Qui te dit que la Porte est nécessairement à Asgard, comme tous le pensent ?
— Et pourquoi n’y serait-elle pas ?
Nous soupirâmes de concert. Ce sujet était fréquent parmi les joueurs et les hypothèses allaient bon train, même les plus farfelues. Une rubrique de l’Icarus était dédiée à la recherche de cette Porte. À cinq millions de joueurs, si nous restions vigilants et organisés, nous étions en mesure de la trouver.
— Sortons un peu prendre l’air, tu veux ? proposai-je finalement.
Nous quittâmes la forge pour gagner la rue animée.
Malgré le fait que la plupart des joueurs avaient à présent changé de zone, il demeurait dans la première cité une animation constante comme dans une capitale.
Shaïn jeta un coup d’œil à la forge dont nous nous éloignions.
— Et tu peux partir comme ça ?
Je lui fis un clin d’œil.
— C’est l’un des avantages à être à son compte. Et puis, je ne serais pas éternellement le seul forgeron de Bellal. Avec mon revenu actuel, à présent, je pourrais presque m’offrir ma propre forge.
Mon ami se tourna vers moi, interdit.
— Tu es en train de me dire, là, que tu veux déménager ou vendre ton affaire ? Après tout ce que tu as fait pour en arriver là ?
Je haussai les épaules et eus ce réflexe de vouloir mettre mes mains dans mes poches, mais je n’en avais pas. Ce que j’allais faire ou pas était un mystère, même pour moi.
— Je vais couvrir mes frais, attendre un peu et voir. Je sais qu’il y a beaucoup de potentiel ici, mais tu as raison : il y a neuf mondes à explorer. Je ne peux pas passer ma vie enterré ici.
— Quoi que tu fasses, tu peux compter sur mon aide.
Il me tapota amicalement l’épaule, me sourit puis me salua. Il avait des affaires à mener de son côté.
Pour me changer les idées, je gagnai le téléporteur de Bellal pour me rendre à Imril, une autre ville, située dans la zone suivante. Le minerai de fer se trouvait dans ces environs et était de meilleure qualité que l’étain de je récoltais autour d’Arun et Bellal. On y trouvait également la ville d’Oftar, non loin, dans laquelle je n’avais pas encore mis les pieds et qui attisait ma curiosité.
2 commentaires
Imos
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Il y a 3 ans
Nast
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Il y a 3 ans