Fyctia
Chapitre 5.4
J’écarquillai les yeux. C’était un système étrange qui avait des ressemblances avec la vie réelle. Je pourrais donc devenir forgeron de Bellal ? Cela voulait dire qu’à long terme, tous les PNJ marchands seraient supprimés, remplacés par de véritables joueurs. C’était une excellente nouvelle.
Shaïn mit les poings sur les hanches, fier de son effet.
— C’est top secret. Mais il m’a mis dans la confidence puisque je vais aider au journal. Et toi, tu ferais mieux de te dépêcher d’aller voir. Dès que ce sera officiel, ça risque de grouiller de volontaires, par ici !
Je ne savais pas quoi dire. Un simple merci aurait suffi, très certainement, mais les mots me manquaient. C’est alors que je me rendis compte que, dans la vraie vie, j’aurais souhaité l’avoir comme ami. Je me promis de lui demander, un jour, d’où il venait, et comment il s’appelait. Car, lorsque nous sortirions de ce jeu, je voudrais le rencontrer.
Il me fixa en fronçant les sourcils. J’étais toujours là, planté devant lui, à le regarder bêtement.
— Lyall, écoute, je t’ai dit ça pour t’aider, pas pour que tu restes planté là comme un chêne à prendre racine !
— Ah, oui. Merci.
Il leva la main pour dire que ce n’était rien, mais j’y frappai la mienne en partant. Je sus dès lors qu’il s’était retourné pour me regarder partir.
C’est ainsi que je devins « apprenti » forgeron auprès du PNJ de Bellal. Il me suffisait de respecter des horaires fixes, d’aller lui parler, et on me téléportait dans une forge au beau milieu de nulle part. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas de fenêtre, et la seule porte existante, la sortie, menait directement à Bellal.
Là, je pouvais tout simplement créer tout ce que je voulais, pour m’entraîner, et mes créations étaient directement vendues par le PNJ, sans jamais mentionner mon nom ni me verser la moindre pièce de cuivre. C’était de longues heures de travail passées à forger, du matériel fourni par moi-même, et pas la moindre considération ni la moindre piécette qui rentrait. Le soir, je rejoignais Shaïn dans le même état qu’une méduse : mou, transparent et fatigué. J’avais alors juste assez de force pour l’entendre me parler de l’avancée de ses projets avant de tomber dans les bras de Morphée.
Je devais me contenter des week-ends pour vagabonder dans les environs, ramener les composants nécessaires à mes créations – Shaïn me fournissait également – et surtout pour gagner un peu d’argent afin de payer mes nuits à l’auberge ou pour l’achat de certains composants qui pouvaient me manquer.
Shaïn, de son côté, avait des journées similaires. Il s’investissait à fond dans la création du journal et du mémorial. De plus en plus de joueurs les soutenaient et participaient à leur réseau d’informateurs à mesure que ces deux projets se faisaient connaître.
28 Mai 2050
Un mois plus tard
Cela prit du temps, mais ces sacrifices finirent par payer, aussi bien les siens que les miens.
Depuis plus d’un mois à présent que nous nous échinions, et voilà qu’un soir en quittant la forge, je découvris Shaïn qui m’attendait, à la fois ravi et plein de tristesse. Le mémorial devait être érigé à la place de la fontaine de Bellal. Un PNJ s’y trouverait, proposant aux joueurs de donner quelque chose, ce qu’ils voulaient, pour ériger le mémorial. Dès lors, je pris l’habitude de vendre seulement la moitié de ce dont je n’avais pas l’utilité, afin de donner le reste pour le monument commémoratif.
3 Juin 2050
Une semaine après
Une semaine plus tard, j’appris que j’étais devenu forgeron à part entière. À la place du PNJ, à présent, il n’y avait plus rien. Une porte était apparue derrière le comptoir qu’il gardait auparavant, et qui me donnait accès à une vraie forge, à mon usage exclusif. Dans une pièce attenante, on y trouvait un meuble de rangement, une table et un lit. Shaïn pouvait lui aussi y accéder puisque nous étions dans notre liste d’amis respective. Ceux de l’extérieur devaient faire partie d’un groupe composé d’au moins un de mes amis pour entrer. Nous décidâmes de partager la chambre afin d’économiser les frais d’auberge. J’eus mes premiers clients dès le lendemain.
5 Juin 2050
Deux jours après
Le surlendemain de ma promotion, c'était au tour du journal de voir le jour, après une âpre et difficile négociation avec Valhalla. Ils l'avaient baptisé Icarus, en mémoire d'Icare, l'homme qui avait cru pouvoir voler et gagner sa liberté et qui s'en était brûlé les ailes. Parce que c'était ce que nous cherchions tous à faire, même si nous espérions que notre histoire finirait mieux que la sienne.
L'Icarus fit tout de suite sensation. Pour quelques pièces de cuivre, les joueurs avaient à leur disposition une multitude d'informations. Et surtout... il y avait cette page qui, tous les jours, apportait une dizaine de messages rédigés par des personnes de l'extérieur et que Valhalla acceptait de nous communiquer, comme l'avait dit Shaïn. Ces personnes s'adressaient à des joueurs mais en les appelant par leur vrai nom, ce qui constituait une forme d'anonymat dans le sens où nous ne connaissions pas le vrai nom de ceux qui nous entouraient. Par exemple, si Jessica venait à m'écrire un message, elle l'adresserait à Charlie. Mais personne autour de moi ne connaissait Charlie. Ils ne connaissaient que Lyall. Il leur était donc impossible de faire le lien entre les deux, entre celui que j'avais abandonné derrière moi sans regret, et celui que j'étais devenu ici.
1 commentaire
Eva Baldaras
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Il y a 3 ans