Fyctia
Chapitre 5.3
C’était peut-être dérisoire, mais avoir quelqu’un à qui raconter sa journée était d’un grand réconfort. Je ne connaissais Shaïn que depuis deux semaines, il pouvait venir de n’importe où, être n’importe qui, mener n’importe quelle vie… il était devenu un précieux ami et confident, à l’instar de Jess. Cela n’avait rien à voir avec elle où le genre de relation que l’on entretenait, mais lorsque je discutais ainsi avec Shaïn, je revoyais ces soirées passées avec ma gouvernante et amie, à parler de la pluie et du beau temps, où nous refaisions le monde comme si nous étions des enfants.
— Je crois que je vais prendre un métier, ici, à Bellal, déclarai-je soudain, avouant enfin mon secret du jour.
Shaïn se frappa le torse plusieurs fois de suite en faisant la grimace, jouant une personne en train de s’étrangler.
— De quoi qu’il cause ?!
Je croisai les mains sur la table, serein. Je m’étais décidé dans la journée. Avec le minerai que j’avais accumulé, je voulais tenter l’expérience. Il n’était pas d’excellente qualité, mais lorsque j’aurais augmenté de niveau, je pourrais en trouver d’autres, de meilleure qualité.
— J’ai choisi de rester ici, à Bellal, pour monter un métier, répétai-je calmement.
— Ah oui ? Et tu vas faire quoi ?
Il avait l’air sincèrement intéressé. Son engouement me fit vraiment plaisir.
— Forgeron. J’ai du minerai, et nous avons tous besoin d’une arme, ou de la réparer, n’est-ce pas ?
Il croisa les bras sur sa poitrine, l’air ravi.
— C’est génial. C’est même parfait !
— Pourquoi ? demandai-je, perplexe.
— Je ne savais pas comment te le dire, mais… Comme tu commences à monter, je pensais que tu voudrais que nous nous déplacions sur Arun, comme tout le monde. Mais comme je veux apporter mon soutien à ce journal et ce mémorial, deux projets basés ici, je craignais le moment ou nos projets divergeraient et nous obligeraient à nous séparer. J’aimerais vraiment voir ces deux projets aboutir, tu sais.
J’éclatai de rire.
— J’avais remarqué ! T’inquiète pas pour ça. Ce n’est pas parce que nos projets divergent que les compromis sont impossibles. Dans le cas présent, on dirait qu’on va pouvoir continuer sur le même chemin encore un moment.
Je me levai.
— Bon, c’est pas tout, mais je crois que, vu l’heure, c’est foutu pour dormir à l’intérieur aujourd’hui…
Shaïn prit un air décontracté. Il croisa les mains derrière la tête et tendit ses jambes pour poser ses bottes sur la table. Personne n’avait rien à y redire puisque ici la saleté et les microbes n’existaient pas.
— J’ai fait ce qu’il faut pour ça. Tu me dois une nuit à 46 pièces de cuivre !
— Ça marche.
J’ouvris mon inventaire, pas mécontent de pouvoir dormir dans une auberge cette nuit, et prélevai l’argent que je lui devais. Un sac de pièces de cuivre apparut sur la table. Shaïn l’encaissa avec un clin d’œil.
Je repoussai ma chaise en bois qui racla sur le plancher. L’auberge était pleine, mais de façon correcte. Contrairement aux premiers soirs, il n’était pas tout à fait impossible de mettre un pied devant l’autre. Actuellement, toutes les tables étaient prises. Ce qui voulait dire que pour les lits, c’était strictement la même chose.
— J’y vais. On se retrouve demain soir, le saluai-je. Et merci pour la chambre.
— Oh, ne t’en fais pas, on va vite se revoir si toi aussi tu restes en ville. Y a pas de quoi, pour la chambre. À demain, poulette.
Je souris et gagnai la chambre. Il y avait deux lits, dans la pièce. Financièrement parlant, c’était plus économique de prendre une chambre pour deux. Et c’était suffisamment privatif pour éviter les dortoirs.
Je me laissai tomber sur le lit, tout habillé et équipé. À présent, porter ou non des vêtements, pour dormir, n’avait strictement aucune importance. Je fixai le plafond de bois en imaginant les programmes et les ingénieurs qui avaient donné forme à tous ces éléments qui nous entouraient. C’était ce que j’avais trouvé de mieux comme distraction pour tenter de me soustraire au nœud de mes pensées.
Je me sentais fatigué, pourtant je savais que ce n’était pas le cas. C’était seulement mon cerveau. Il supportait mal l’Infinity Drive sur la durée. C’était une question d’habitude et d’endurance, je supposais. J’espérais seulement que ça allait changer, parce qu’à ce rythme-là, ce n’était ni Valhalla ni Skyline Emrys qui allaient me tuer, mais tout simplement l’Infinity Drive et mon cerveau lui-même.
27 Avril 2050
Le lendemain
Lorsque je m’éveillai le lendemain matin, Shaïn dormait encore. Son cerveau étant en repos, son personnage était figé dans la pose qu’il avait au moment où il s’était endormi. C’était assez drôle à voir.
Je quittai l’auberge peu après sept heures, et gagnai la place de la ville. On y trouvait les principaux PNJ dont nous avions le besoin et l’utilité. Notamment celui responsable de la banque.
Tranquillement, je me dirigeai vers le comptoir en pierre derrière lequel se tenaient deux PNJ, un homme et une femme. Dans leurs vêtements colorés, ils auraient pu redonner vie et espoir aux joueurs. Mais voilà, ils n’étaient que des PNJ et ils avaient la même expression figée que l’aubergiste du Chat Noir. Parler avec eux était à sens unique.
Mon compte s’afficha instantanément sous mes yeux lorsque je m’adressai à l’homme. Ce qui m’intéressait aujourd’hui, pour une fois, ce n’étaient pas les objets que j’y avais stockés mais l’argent que j’avais soigneusement mis de côté.
Ici, tout s’achetait au comptant. Pas de monnaie, pas de transaction. C’était aussi simple que ça. Et pas de prêts ni d’emprunts, ni même de taux d’intérêt pour l’argent déposé en banque non plus.
Vidant d’une traite tout mon compte pour le placer dans mon inventaire, je quittai la banque pour vérifier, juste à côté, les annonces immobilières. Car pour devenir forgeron, il me fallait une forge. Et avant tout, l’argent pour me l’offrir.
— Alors, ça n’a pas l’air de te plaire, on dirait ! s’exclama une voix dans mon dos.
C’était Shaïn, à n’en pas douter. Je me tournai vers lui avec une moue résignée.
— Tu peux le dire. Comment suis-je censé débuter un métier de forgeron si je ne peux même pas acheter la forge ? Avant Valhalla j’aurais pu la louer à des moments ponctuels, mais maintenant…
Il se gratta la tête.
— C’est embêtant, en effet.
Il semblait pourtant avoir encore une carte dans sa manche.
— Mais… ? le pressai-je.
— Je suis entré en contact avec l’un des joueurs qui soutient le journal. Ils ont déjà commencé à récolter pas mal d’infos dans la zone ; Bellal, Arun et les environs. Or, il se trouve qu’ils ont découvert qu’un greffier a été créé dans chaque ville !
Je fronçai les sourcils. Je ne voyais pas où il voulait en venir.
— En quoi cela me concerne-t-il ?
— J’y viens. En fait, ce greffier répertorie tous les PNJ exerçant un métier. Tu peux donc devenir une sorte d’apprenti et puis, à plus long terme, remplacer le PNJ !
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