Kassandra Pasquier Skyline Emrys Chapitre 4.3

Chapitre 4.3

— Et puis tant pis, marmonnai-je en me frottant les yeux, signe évident que mon cerveau fatiguait.


Jouer dans ces conditions pouvait être dangereux, mais au point où j’en étais…


Je poursuivis donc ma route pour faire une boucle et regagner Bellal tranquillement. J’avais, moi aussi, quelques bricoles à vendre et, avec l’argent récolté, j’avais l’intention d’acheter un meilleur équipement. Je voulais surtout changer d’armure puisque tout le monde avait la même, terne et grise, basique et pratiquement inutile. J’avais également besoin de changer d’arme. Il y avait certainement de meilleures épées en vente quelque part, plus puissantes et plus sophistiquées, que je pourrais me procurer.


Je tins bon jusqu’à six heures du matin. J’étais reparti à l’aventure et avais découvert une nouvelle ville, perchée sur une colline aux environs boisés. On y trouvait tout autour des niveaux 3 et 4, supérieurs au mien donc. Mais il me fallait tuer le temps en attendant de pouvoir me déconnecter. J’avais donc pris à cœur un métier que, dans la vie réelle, j’aurais voulu pouvoir exercer : explorateur. J’avais aidé une joueuse sur le point d’être exterminée alors qu’elle avait presque achevé le loup qui l’attaquait. À l’inverse, deux joueurs m’avaient évité une mort douloureuse lorsque j’étais tombé, par hasard, sur un bandit de niveau 3, mais vétéran – c’était une sorte de mini boss dans son genre – ce qui voulait dire qu’il valait mieux avoir quelques niveaux de plus que lui pour avoir son équivalent en attaque et en défense.


M’asseyant sur le rebord de la fontaine de cette nouvelle ville, Arun, je baillais un grand coup. Il était grand temps de décrocher pour cette fois. Mon cerveau était à bout.


— Allez… Déconnexion.


Ils n’avaient pas donné de nouvelles concernant le problème de connexion et de déconnexion. Peut-être que tout était rentré dans l’ordre.


J’ouvris le menu, sélectionnai l’onglet de déconnexion.


« Êtes-vous sûr de vouloir vous déconnecter ? »


Bon, ça avait l’air de fonctionner.


« Oui. »


« Nous sommes incapables pour le moment de traiter votre demande. Code erreur 753 6810 223. »


Finalement non.


— Et zut. Il faudrait une coupure de courant générale pour nous déconnecter de force et corriger correctement ce bug avant de rouvrir le jeu pour les joueurs.


Jessica serait même bien capable de m’ôter le casque de force, sans savoir qu’une aiguille était plantée dans ma nuque, tiens.


Je me frappai le front. Bien sûr ! Ne me voyant pas descendre pour le petit déjeuner, elle viendrait me voir et m’éjecterait de force du jeu. J’imaginais déjà sa tête lorsqu’elle apprendrait que j’avais passé la nuit dans cet environnement, en totale immersion dans une réalité virtuelle…


Je n’avais plus qu’à attendre dix heures, si le problème n’était pas résolu d’ici là. Jess savait que j’étais matinal. En général, le matin, s’était presque moi qui l’attendais. Elle comprendrait qu’il y avait quelque chose d’anormal, mais cela ne l’inquiéterait que lorsque Lucas et Kyle seraient levés, aux alentours de dix heures. De plus, j’avais verrouillé la porte. Jess n’en connaissait pas la combinaison – je n’avais jamais utilisé le système de verrouillage jusqu’à ce jour. Il faudrait faire intervenir un serrurier électronique, ou bien enfoncer la porte avec les outils adaptés.

Finalement, j’allais peut-être devoir attendre jusqu’à onze heures.


Cela ferait bientôt douze heures que j’étais dans le jeu et j’étais sérieusement à bout. Il me restait presque cinq heures à attendre que quelqu’un me débranche de force. Je pouvais tout aussi bien passer le temps qui me séparait de ma déconnexion forcée à dormir.

Je me levai donc et m’éloignai de la fontaine à laquelle je m’étais arrêté pour aller louer une chambre à l’auberge. À Arun, les prix étaient plus élevés qu’à Bellal. Je me résolus donc à retourner à la ville de départ. Je gagnai le portail de téléportation qui me ramena à la ville où j’avais rencontré Shaïn. Là, je pus profiter de ce que certains joueurs s’étaient déjà levés pour prendre un lit dans une auberge.


Je m’endormis en songeant à une drôle de chose : si de tels problèmes survenaient de temps à autre, je ferais mieux d’investir dans l’immobilier du jeu. Avec de la chance, j’aurais la véritable impression d’être libre de mener la vie de mon choix.



11 Avril 2050

Le lendemain


En m’éveillant, la première pensée que j’eus fut pour mes révisions de bac. Peut-être était-ce à cause de Shaïn et de ses révisions d’examen. En tout cas, je n’avais pas rêvé. La réalité virtuelle avait ses limites, définies par le cerveau.


J’eus du mal à m’orienter, au début. J’étais complètement perdu, pour être exact. Puis, après un moment, je me souvins que j’étais encore dans Skyline Emrys. C’était d’ailleurs une étrange expérience que de se réveiller dans le jeu. Au fond, malgré l’Infinity Drive, mon cerveau savait que c’était une anomalie. D’où mon sentiment de désorientation. De plus, j’étais allé me coucher mort de fatigue. À ce moment-là, je dormais déjà à moitié debout.


Je me levai donc dans un gargouillement de ventre abominable. Quelle heure pouvait-il bien être ? Dehors, il semblait faire jour.


12h12.


Je clignai des yeux, perplexe. Comment ça, 12h12 ? Jess n’était donc pas venu me chercher ? Je tentai de me déconnecter, une fois encore.


Code erreur 753 6810 223.


Encore.


Un frisson me secoua l’échine. Cela faisait plus de seize heures à présent, et ils n’avaient toujours pas réglé le problème ? C’était impensable.


J’avisai la porte de la salle de bain en me demandant si les douches et les toilettes existaient dans ce monde. Je n’eus qu’à ouvrir la porte pour le découvrir. Ni l’un ni l’autre n’existaient dans ce monde où la nourriture n’était en réalité qu’un programme numérique codé de 0 et de 1, et où la saleté n’existait pas. Ça avait son avantage.


Non, la porte que je venais d’ouvrir donnait tout simplement sur le couloir. C’était la seule porte de la pièce. Résigné, je sortis. Il fallait que je mange quelque chose, même si ce ne serait qu’un leurre pour apaiser ma fringale ainsi tandis que je mourrais de faim là-bas. Mon corps n’avait rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures et cela se faisait sentir, même dans le jeu. Le manque allait même bientôt faire des dommages à mon corps, mais risquait aussi de finir par affecter mon cerveau, et alors mon jeu s’en trouverait impacté à son tour.


Comme pour tout le monde.


Avec les quelques pièces que j’avais de côté, j’achetai ce même gâteau à la fraise que Shaïn nous avait offert, à Aramise et moi, acheté au même PNJ marchand. Et tandis que je la dégustais en marchand, je redécouvris la ville, mais à la lumière du jour cette fois.


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2 commentaires

Amphitrite

-

Il y a 3 ans

Ton histoire est vraiment convaincante. On en arrive à douter de la réalité qui nous entoure!
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