Fyctia
Chapitre 4.2
— Il y a des magasins pour tout. Ou presque. Il est même possible d’ouvrir un commerce et d’y vendre ce que tu veux. De toute façon, tu ne peux pas trouver de produits illicites ou illégaux puisque tout est produit par le serveur, à la base. Ce jeu, c’est l’infini des possibles !
Et cela me plaisait. Non, cela me rendait fou de joie et emplissait ma tête de perspectives et d’espoirs. C’était comme si je reprenais ma vie à zéro où ce que je fuyais ne pouvait pas m’atteindre.
Malgré tout, une question demeurait.
— Existe-t-il une limite à ce jeu ? demandai-je très sérieusement.
— La seule limite, c’est toi-même, répondit mon ami avec sérieux. Je veux dire, ton corps réel. Car tu restes un être humain vivant, avec des besoins primaires comme manger, boire et dormir. Si ton corps ne s’épuise pas, ton cerveau, lui, s’affaiblit. Ce jeu, après tout, se passe entièrement dans ta tête.
— Donc il est possible d’être « fatigué » ?
— C’est ça. Ce sont les signaux d’alerte envoyés par ton cerveau pour te dire que tu as eu ta dose pour la journée et qu’il faut que tu le laisses se reposer, lui aussi.
Progressivement, j’assimilais les informations concernant Skyline Emrys, me permettant à nouveau de songer à l’avenir, d’avoir des projets, des envies. Car dans ce monde, tout était possible. Tout. Alors j’avais bien l’intention, moi aussi, de n’avoir aucune limite.
— Je…
J’allais encore poser une question, mais je m’interrompis. Cela concernait la fin du jeu. Pourrions-nous toujours y jouer une fois que nous l’aurions fini ? Néanmoins, ma question était sans importance pour le moment : d’une car je n’étais pas rendu là, et de deux parce que si la réponse était négative, je partirais vaincu d’avance et ne l’achèverais jamais.
Shaïn m’interrogea du regard. Il me faisait autant rire que Lucas, mais pour des raisons différentes. C’était à cause de ses cheveux en bataille, qui lui donnaient un air un peu négligé et cool à la fois.
Je secouai la tête et marchai jusqu’à la prochaine intersection des chemins. Il y avait trois directions différentes au choix : l’une menait à la prochaine zone, une autre retournait vers Bellal – celle d’où nous venions – et la dernière nous emmènerait vers un autre village, l’endroit de la quête.
Je mis les poings sur les hanches au moment où mon compagnon d’aventure me rejoignait.
— Je crois que je vais aimer ce jeu ! Existe-t-il un moyen de se déplacer plus rapidement ?
Shaïn réfléchit.
— Pour le peu que j’en sais, à part les portails de téléportation d’une ville à une autre et les voyages intermondes entre capitales, il n’y a rien d’autre. Les PNJ utilisent des chars à bœufs, mais tu iras plus vite en marchant.
— En effet.
— Peut-être par une récompense pour un boss ou un gros évènement.
— Je vais surveiller ça de près, alors.
Nous allions poursuivre vers la quête principale lorsqu’une sonnerie stridente, qui semblait venir de partout à la fois, résonna dans tout Skyline Emrys pour l’annonce la plus entendue en simultanée dont j’eus jamais été témoin. Une voix féminine très humaine nous renseigna :
— Votre attention, s’il vous plaît. En raison d’une électrocution du serveur administrateur du jeu dû à un violent orage, des anomalies ont commencé à apparaître dans le système. Nous faisons actuellement tout notre possible pour réparer les dommages et les impertinences dans les plus brefs délais. Merci de votre compréhension.
Shaïn se tourna vers moi, embêté.
— Tu crois qu’Aramise a réussi à se déconnecter entre-temps ?
J’ouvris mon menu puis le registre d’amis. Pour moi, elle était toujours connectée. Ma carte le confirmait également. Sa position avait changé depuis la dernière fois, mais elle était toujours là.
— Il faut croire que non.
Il consulta l’heure. Il était presque minuit.
— Ça commence à être problématique, leur électrocution, râla-t-il en fusillant l’horloge numérique du regard. J’ai des exams à réviser demain !
Il était vrai que cette déconvenue était de taille et se transformait, pour un jeu en réalité virtuelle, en guet-apens. Sur un jeu ordinaire, cela n’avait pas d’importance. Cela ne nous empêchait pas de manger, de dormir, de travailler à côté. Dans le pire des cas, on pouvait toujours forcer la déconnexion en débranchant carrément l’ordinateur.
Pas dans Skyline Emrys.
— Bon eh bien, moi je vais aller dormir, décida Shaïn en ouvrant son menu.
— C’est possible aussi ?
— Eh oui. Pendant ce temps-là, ton cerveau peut se reposer, lui aussi. Et moi je suis actuellement suffisamment fatigué pour faire une sieste virtuelle d’au moins six heures ! Tchao !
Je le saluai et le remerciai et il repartit en direction de Bellal. Il quitta le groupe que nous avions formé mais subsista dans ma liste d’amis.
Je demeurai donc seul à réfléchir. Devais-je suivre son exemple ou continuer ? Je me sentais encore capable de poursuivre, mais l’avertissement de Shaïn me hantait un peu. Tout dépendait de notre corps réel, et plus particulièrement de notre cerveau. Et si un usage trop intensif de l’Infinity Drive causait des séquelles irrémédiables ? Cela faisait cinq heures que j’étais connecté et je n’avais pas mangé. De toute façon, je ne pouvais pas me déconnecter. Autant aller de l’avant.
J’arrivai finalement à la fameuse bergerie dont nous avait parlé l’instructeur Tulis. D’autres, joueurs, peu nombreux, faisaient déjà face aux loups. D’autres bugs étaient survenus et d’autres interviendraient encore, mais je n’allais pas m’arrêter pour si peu.
Battre l’engeance de Geri et Freki, les loups du dieu Odin, ne fut pas une mince affaire. Pourtant de niveau 1, comme nous, les battre fut plus ardu que je ne le pensais et je failli bien y laisser ma peau. Un joueur ou deux, en tout cas, eux, y laissèrent la leur. Il leur faudrait reprendre à un sanctuaire ou à Bellal. En tout cas, on ne les revit pas et la quête s’acheva en tuant le dernier loup, sans eux.
Une cinématique se déclencha à la fin de l’évènement pour nous montrer la colère d’Odin et la joie des hommes pour cette modeste victoire, puis on nous envoya un message. C’était l’instructeur Tulis qui réclamait après nous. Il nous fallait donc retourner à Bellal, maintenant.
Je ne regrettai pas d’avoir continué. Je venais enfin de passer au niveau 2, j’avais gagné quelques pièces, de la fourrure de loup céleste, et un croc de loup. J’ignorais à quoi ces objets me serviraient, mais je pensai que cela avait à voir avec les métiers.
Il était 2h41.
À présent, j’étais vraiment fatigué. Mais, d’une, tous les lits de Bellal devaient être loués à cette heure. Et de deux, si je poursuivais jusqu’au matin où je pourrais me déconnecter, je me coucherais aussitôt pour dormir jusqu’au milieu de l’après-midi, mettant en rogne mon père tout en faisant en sorte de ne pas le voir. D’une pierre deux coups. Le seul point négatif de cette solution : Jessica. Car cela impliquait que je ne pourrais pas la voir avant un moment.
2 commentaires
Lexa Reverse
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Il y a 3 ans
Amphitrite
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Il y a 3 ans