Kassandra Pasquier Skyline Emrys Chapitre 2.5

Chapitre 2.5

La journée, pourtant, fut d'une interminable longueur, aujourd'hui. J'avais des cernes sous les yeux qui me descendaient jusqu'aux genoux, la tête lourde et engourdie, et ma concentration était au point mort. Malgré cela, rien n'était pire que la perspective même de retourner chez moi, ce soir, pour affronter mes géniteurs. Car ce soir, ils seraient là, contrairement à Jessica, et l'orage que j'avais consciemment apporté avec moi jusqu'au port la veille, pour l'y laisser, risquait de revenir en ouragan dans ce foyer qui n'en était plus vraiment un à mes yeux.


À la fin des cours, je traversai le parking d'un pas lent, mon casque sous le bras, et restai figé devant ma moto, les yeux dans le vague et le cœur au bord des lèvres. Je ne pouvais pas me résoudre à rentrer chez moi. Pas encore. C'était trop tôt. L'avenir pouvait bien attendre encore un peu, l'univers s'était déjà effondré autour de moi de toute façon.


— Charlie ?


Hélé, je relevai la tête avec l'énergie de ma défaillance. Clément, l'un de mes proches amis et fils d'un ministre, était juste là, en face de moi, planté de l'autre côté de ma moto rutilante, à me fixer de ses grands yeux malicieux. C'était un adolescent ordinaire, très simple et accessible, avec le sens des responsabilités et une insupportable propension à la plaisanterie. Il avait de beaux cheveux blonds qui encadraient un visage fin et visiblement plaisant pour la gent féminine. Mais ce qui marquait le plus, c'était ses yeux bleus, telles des fenêtres sur un lagon des îles du Pacifique.


La beauté telle que notre société la définissait. Tout le contraire de ce que je représentais.


— Ça va ? demanda-t-il avec comme un doute dans la voix, ses sourcils froncés prouvant qu'il soupçonnait déjà la réponse à son interrogation.


Je ne répondis pas immédiatement et me dérobai par une autre question :


— Je te dépose chez toi ? proposai-je innocemment.


Quelles étaient mes chances pour qu'il m'invite à rester, ensuite ?


Clément plissa les yeux et s'approcha davantage de moi pour venir m'inspecter sous le nez, suspicieux. C'était la première fois que je proposais de lui servir de chauffeur, ce qui n'avait pas manqué d'éveiller sa méfiance et ses doutes.


— Toi, tu ne veux pas rentrer chez toi, comme tu es là, devina-t-il finalement, avec sérieux.


Bingo.


Je soupirai sans me cacher de la vérité :


— Jessica est en congé, aujourd'hui.


Car, oui, c'était une excuse.


— Je vois. Cette nana te plaît vraiment, ma parole !


Je me contentai de le fixer droit dans les yeux, interdit, sans faire de commentaires. Une telle réflexion méritait-elle que je prenne la peine de le contredire, pour la énième fois ? Mon regard blasé suffit, et il se figea dans un garde-à-vous exagéré.


— Ok, ok, je retire ce que j'ai dit. J'ai fait cette blague des centaines de fois. Tu ne te dérides donc jamais ?


Il n'arrivait pas à comprendre que c'était un sujet délicat et personnel dont je ne souhaitais pas parler avec mes amis, au risque que tout Paris soit au courant, pour la simple et bonne raison que j'étais en dissension avec mes parents.


— Cela n'a rien à voir, Clément. Elle a Jérémy, et je ne la vois pas comme cela. Nous nous considérons comme...


— ... des frères et sœur, je sais, m'interrompit mon ami, connaissant la chanson aussi bien que moi. Attends là deux minutes.


Il traversa le parking à grandes enjambées, et frappa au carreau d'une voiture noire aux vitres teintées garée un peu plus loin. Il revint quelques instants plus tard avec un casque, un blouson épais renforcé, des gants en cuir noir, et sa réponse à ma question. Quant à la voiture, elle s'éloigna sans bruit pour disparaître dans la circulation urbaine. Il s'agissait de son chauffeur habituel.


— Bon aller, vas-y, j'ai compris, acquiesça Clément en enfilant son casque avec un regard de conspirateur. Ramène-moi chez mes parents, j'ai un truc à te montrer.


J'étais sceptique quant à ce sujet. Si c'était pour me faire consommer le shit qu'il venait juste d'acheter, il allait rapidement être déçu par ma réaction.


— Vraiment ? lâchai-je, dubitatif, en passant mon casque à mon tour.


— Vraiment, me promit-il avec un sérieux peu coutumier chez lui. Un « truc » dont tu as vraisemblablement besoin. Si je vise juste – et je me trompe rarement – tu vas te le procurer dans la soirée et tu passeras un week-end très loin de ce que tu cherches à fuir, quoi que ce soit.


Intrigué par son commentaire, j'enfourchai ma moto et il s'installa derrière moi. Pour la première fois depuis longtemps, j'éprouvais de la curiosité et de l'intérêt pour quelque chose.


Une fois chez lui, Clément m'invita dans sa chambre et referma soigneusement sa porte derrière nous après avoir jeté un coup d'œil dans le couloir pour s'assurer qu'il n'y avait personne. Un instant, je doutai. Voulait-il vraiment, au final, me refiler sa came ou autres saloperies de ce genre ? Ce n'était absolument pas ce que j'étais venu chercher.


Cependant, ce ne fut pas le cas.


Il jeta son sac de cours au pied de son lit et s'assit à son bureau, dans ce même fauteuil de ministre que nous semblions tous avoir chez nous. Sur le secrétaire aux proportions tout aussi ministérielles, il y avait un super-ordinateur et deux écrans d'au moins trente pouces chacun. Un grand classique. J'avais les mêmes. Dernier cri, bien évidemment.


— Regarde ça, dit Clément en me tendant un boîtier en plastique aussi petit qu'une clé USB 4.0.


Il avait l'air aussi fier qu'un homme ayant mis la main sur la pièce la plus rare de sa collection, une pièce qu'il avait cherchée en vain pendant des années. La consécration absolue.


Curieux de connaître ce qui le mettait dans un tel état, j'appuyai sur l'unique bouton du petit objet, déclenchant le contenu qui apparut en hologramme : textes interactifs, images et vidéos d'un réalisme stupéfiant.


— Qu'est-ce que c'est ? demandai-je fasciné, tout en croyant deviner de quoi il s'agissait.


— C'est exactement ce que tu penses, mon pote, acquiesça Clément, surexcité. C'est Skyline Emrys, le premier VRMMORPG du monde ! Virtual Reality Massively Multiplayer Online Role Playing Game. De la réalité virtuelle immergée intelligente !


Les images et vidéos qui défilaient me parlaient d'un monde bien éloigné du nôtre, de quêtes et d'aventures épiques, d'un mode de vie vieux de mille ans et oublié depuis longtemps. Elles me parlaient d'un univers virtuel où les monstres et les oppresseurs étaient vaincus à l'épée et au courage, où la récompense était à la mesure de l'effort, et où l'argent n'avait de valeur que pour s'armer et se défendre afin de pouvoir aller toujours plus loin, pour aller de l'avant.


Clément avait raison. C'était exactement ce qu'il me fallait. N'étant pas un amateur de jeux vidéo, je n'avais pas suivi de très près cette révolution numérique que le monde entier attendait depuis dix ans.


— Quand est-il sorti ? m'enquis-je sans détacher mes yeux de l'hologramme qui me montrait une colline verte où deux joueurs cheminaient côte à côte.

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