Fyctia
Chapitre 2.6
— Lundi, il y a tout juste cinq jours.
— Et tu l’as essayé ?
Clément prit un air faussement irrité et excédé.
— Eh, qu’est-ce que tu crois, mon gars ? Je ne l’ai pas acheté le jour de sa sortie pour seulement mater un hologramme que je connaissais déjà par cœur !
— Donc, ton verdict ?
Il sauta sur ses pieds en me secouant comme si j’étais un païen non croyant en son dieu vénéré et tout-puissant.
— C’est de la bombe, mec ! Une tuerie ! Toi qui as des problèmes en ce moment, c’est ce qu’il te faut pour les oublier. Pendant quelques heures d’immersion tu échappes à tout : aux autres, au monde, à toi-même. Tu peux être qui tu veux, là-bas. Tu peux tout recommencer à zéro.
La nouvelle drogue de notre génération au cerveau lobotomisé par le numérique, omniprésent au quotidien, était juste là, entre mes mains. Or, cette drogue-là, je n’allais même pas essayer de lui faire obstacle, bien au contraire.
Il n’avait pas besoin d’en dire plus, car je savais déjà que c’était en effet ce qu’il me fallait. De plus, comme tous les week-ends, la maison allait grouiller d’hommes et de femmes de la société de mes parents, et le seul foyer que je connaissais allait devenir un trou où me terrer en attendant que le lundi arrive enfin.
— Attends, tu n’as pas tout vu, enchaîna Clément en me lâchant pour aller chercher autre chose.
Il gagna son lit et sortit une boîte cubique d’un compartiment de rangement. Lorsqu’il me tendit l’objet qui s’y trouvait, je découvris avec intérêt une sorte de casque noir étrange qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu voir jusqu’ici. Il avait des allures de casque de moto, si ce n’était qu’il prenait jusqu’en bas de la nuque, et qu’il n’y avait rien qui protégeait la mâchoire et le menton. De plus, la visière était remplacée par une plaque de verre incurvée teintée et uniforme qui devait servir d’interface.
— Tadaaam ! Dis bonjour à l’Infinity Drive ! s’enthousiasma mon ami.
Avec un certain regret, j’éteignis l’hologramme pour me pencher sur ce nouveau sujet de curiosité.
— L’Infinity Drive c’est ce qui te permet de jouer en réalité virtuelle immergée, me le présenta-t-il. Ça te pique avec une aiguille, dans le casque, pour atteindre ton système cérébral afin de te plonger complètement dedans. C’est fou ce que les Japonais inventent, de nos jours.
Intéressé, je saisis le casque pour l’inspecter sous toutes les coutures. Il ne semblait rien avoir d’extraordinaire mis à part son design sophistiqué et avant-gardiste. Sa technologie, néanmoins, était certainement de pointe, miniaturisée à l’extrême, et soigneusement incorporée de sorte qu’il ait effectivement l’air d’un casque pratiquement anodin.
— Comment cela fonctionne-t-il ? demandai-je sans lever les yeux vers Clément.
— C’est très simple, me rassura mon ami avec suffisance. L’Infinity Drive est synchronisé à ton ordinateur. Tu l’enfiles, tu t’allonges quelque part confortablement, et tu lances la connexion. La piqûre de l’aiguille n’est pas franchement agréable, mais on ne sent presque rien. Après cette petite déconvenue, tu es dedans. Le reste, le serveur s’en charge tout seul, tu n’as plus qu’à suivre le mouvement et à vivre ta vie.
— Et tu y es vraiment ?
— Carrément, mon pote ! C’est un truc de dingue ! Les cinq sens, intégralement restitués à la perfection. Tu es dedans. T’as l’impression de refaire une autre vie dans une autre galaxie, un autre univers, un autre monde. Tu peux être qui tu veux et faire ce que tu veux. Tu es libre, là-bas.
— Libre… Il me le faut, murmurai-je en serrant le petit hologramme dans mon poing.
C’était exactement ce qu’il me fallait. Le moyen de prendre un nouveau départ, même si rien de tout cela n’était réel. Si je pouvais échapper à la réalité que je haïssais tant, le reste me convenait, même si tout ceci n’était finalement qu’une illusion.
Clément remis le casque dans sa boîte et la boîte dans un compartiment de son lit, puis revint vers moi, l’air entendu.
— C’est clair, tu as besoin de changer d’air, toi. Et tel que je te connais, dans cinq minutes tu es sur ta moto, et dans une heure, tu es de retour chez toi avec le jeu.
Tous sourires, j’opinai. C’était l’issue de secours que j’avais tant cherché, tant voulu trouver, en vain. À présent, elle était là. Comment pouvais-je la laisser m’échapper ?
— Merci, Clément ! le saluai-je en lui lançant l’hologramme en quittant sa chambre.
— Je me connecterai après le dîner, précisa l’intéressé avant que je ne sorte. Je suis impatient de t’y voir. À tout à l’heure IG. Cela veut dire In Game.
J’opinai sans trop avoir écouté et sorti à la hâte.
Une heure plus tard, j’étais de retour chez moi, plus heureux que jamais de rentrer à la maison, le jeu dans une main, l’Infinity Drive sous l’autre bras.
En montant dans ma chambre, je croisai Lucas et ses lunettes rondes. Il m’arrêta avec son sérieux habituel qui lui donnait presque des allures d’adulte malgré son jeune âge.
— On a vu Jess, tout à l’heure ; elle est passée en coup de vent, m’informa-t-il.
— Ok.
— Elle te prie de t’occuper, ce soir, en attendant son retour demain matin. Elle ne dormira pas ici cette nuit.
— Je m’en doute.
Elle n’allait pas être déçue ! J’allais suivre son conseil à la lettre.
1 commentaire
Lexa Reverse
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Il y a 3 ans