Kassandra Pasquier Skyline Emrys Chapitre 2.4

Chapitre 2.4

— Ce n'est plus le petit garçon de sept ans que tu as connu en arrivant ici, n'est-ce pas ?


Elle acquiesça en chassant une mèche de son visage avec un sourire nostalgique. Elle ramassa son tablier sans un mot, rangea la pièce et regagna la cuisine.


Sans faire de bruit, je ramenai Lucas dans sa chambre. J'entrepris de le déshabiller pour lui mettre son pyjama, mais il se réveilla et s'en chargea lui-même, dans un demi-sommeil, avant de replonger tête la première dans son oreiller, déjà endormit. Il ne s'en souviendrait même pas au réveil.


A pas de loup, je sortis à reculons et rejoignis notre gouvernante dans la cuisine. L'horloge murale affichait vingt et une heure trente six, et Jessica achevait de remettre en ordre son champ de bataille.


— Raaaaah ! soupira-t-elle en s'asseyant enfin. Je suis lessivée !


Je m'assis à mon tour.


— D'ordinaire c'est plutôt le contraire, non ? fis-je remarquer. C'est toi qui fais la lessive, et non l'inverse.


— Haha, très drôle !


— Qu'est-ce que tu vas faire, demain ?


Cette question m'importait vraiment, plus que beaucoup d'autres sujets dont nous aurions pu parler. Ce n'était pas seulement une banalité. Elle était en congé ce vendredi et elle ne serait donc pas à la maison. Ou presque pas. Une journée sans une gouvernante cela pouvait sembler trivial. Mais une journée sans Jessica, c'était devenu un calvaire pour moi.


Elle me jeta un coup d'œil avant de tourner la tête vers la fenêtre aux volets clos, sans voir la noirceur sans étoiles de la nuit cachée derrière.


— Voir des amis, dîner avec Jérémy, et surtout me changer les idées.


Jérémy, son petit ami, avait la patience et la tolérance d'un ange pour supporter tout le travail qu'elle faisait pour nous. C'était quelqu'un de bien qui méritait le dévouement et la bienveillance de Jessica.


— Et tu devrais en faire autant, acheva Jess en se tournant de nouveau vers moi, le regard dur.


Je clignai des yeux, faisant l'innocent.


— Quoi ?


— Te changer les idées.


— J'y travaille, grognai-je plus abruptement que je ne l'aurais voulu.


Jessica était désolée pour moi, encore une fois. Il y avait de la pitié, même, dans son regard. Pourtant, elle me sourit le plus sincèrement du monde et me tapota la main avec compassion avant de se lever.


— Arrête de faire cette tête, tout va s'arranger. Je serai toujours là pour t'épauler, quoi qu'il arrive. Tu peux compter sur moi. Ça, ça ne changera jamais, peut importe ce que l'avenir te réserve dans un futur proche ou lointain.


— Je sais, soupirai-je en baissant les yeux sur la table noire et brillante. Merci, Jess.


— De rien, Charlie.


Je la regardai contourner l'îlot central puis elle se planta devant moi, se haussa tout juste sur la pointe des pieds, et m'embrassa sur le front dans ce geste familier que je lui attribuais personnellement. Après quoi je la regardai suspendre son tablier dans le placard avant qu'elle ne se retourne vers moi, sur le seuil de la porte.


— Bonne nuit, Charlie. Tâche de dormir, s'il te plait.


Je ne répondis rien et, comprenant que je ne prononcerais pas un mot, Jess quitta la pièce en silence et gagna sa chambre.


Je restai un moment à fixer l'espace vide qu'elle avait laissé en partant, ne trouvant finalement plus aucun intérêt à demeurer en ces lieux maintenant qu'elle s'en était allé. La cuisine, sans Jessica, c'était une pièce sans intérêt, sans âme. Une maison, sans elle, ce n'était pas un foyer. Alors je quittais la cuisine à mon tour pour rejoindre ma propre chambre. Il n'était même pas vingt-deux heures.


Quand mes parents rentrèrent au beau milieu de la nuit, vers trois heures du matin, je ne dormais toujours pas. Mais ils se firent discrets, comme à leur habitude, et la maison resta calme. Or, il était primordial, pour le moment, que je conservasse cette quiétude. La confrontation viendrait à nouveau, un jour. Un jour prochain. Mais pas cette nuit, pas demain.



10 Avril 2050

Le lendemain


Le lendemain matin, je pris soin d'éviter tout contact, même visuel, avec mon père en particulier puisque ma mère était déjà partie. Ma solution consista tout simplement à sauter le petit déjeuner. Sans Jessica, de plus, cela n'avait aucun sens de venir s'asseoir à table pour manger dans le silence et la solitude, entre les quatre murs d'une salle à manger froide et impersonnelle. Kyle et Lucas n'étaient pas encore levés puisqu'ils commençaient plus tard.


Ce matin, il n'y avait que mon père et moi pour meubler le silence de cette grande maison vide, et pour ressasser des aspirations pour le futur qui n'avaient jamais tant divergé que ces dernières vingt-quatre heures.


Malgré toutes mes précautions, mon père parvint à m'apostropher tandis que je me glissais discrètement dans le garage. Enfilant mon casque et mes gants à la va-vite pour lui échapper, j'enfourchai ma moto alors que le portail s'ouvrait dans un silence presque absolu, me cédant le passage. Je mis le contact au moment où il entra dans le garage pour me retenir, lui faisant avaler un nuage de particules incolores mais nocives – la nouvelle génération de polluants. Sans compassion aucune, je mis les gaz en ignorant ses cris de colère et quittai la propriété en trombe, sans un regard en arrière.


Depuis quelque temps, venir au lycée était devenue une véritable délivrance. Pourvu que je ne fusse pas chez moi avec mes parents, tout pouvait m'aller, à quelques détails près. Là-bas, j'avais l'illusion presque parfaite de mener une vie normale. Normale à un certain point en tout cas, puisque le lycée que je fréquentais était uniquement composé de l'élite parisienne, des gosses de riches – comme moi – qui affichaient la fortune de leurs parents comme une réussite personnelle. On y trouvait des fils et filles de politiciens, de célébrités du cinéma, de la télévision, de la musique, quelques enfants de riches propriétaires terriens, de grandes entreprises de robotiques, ou encore de gérants de grandes chaînes hôtelières et de restauration. Pour faire simple, les enfants de tous ceux qui croulaient sous l'argent et qui bâtissaient le futur d'une société dont ils légueraient les clés et les conséquences à une génération insouciante et inconsciente : nous.


Dans un sens, faire face à mon quotidien de lycéen était un jeu d'enfant face à ce que je vivais chez moi. Rien d'insurmontable. Chacun d'entre nous était relativement immunisé contre les menaces des professeurs en raison du statut de nos parents dans la société, et nous avions à peu près tous les mêmes centres d'intérêt et points communs.

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1 commentaire

Lexa Reverse

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Il y a 3 ans

un petit encouragement en passant, n'hésite pas à passer sur Nox, je suis coincée
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