La_petite_plume Silence Compromis Chapitre 17: Programme

Chapitre 17: Programme

Je ne sais pas combien de temps je reste là, à genoux sur le carrelage froid, les doigts crispés sur le rebord des toilettes. Mon estomac se vide jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, juste une douleur sourde qui pulse dans mes entrailles et un goût acide qui ronge ma gorge.


Theo ne bouge pas. Il est toujours là, silencieux, une main posée dans mon dos, l’autre maintenant mes cheveux à l’écart. Il attend. Il ne dit rien. Il me laisse récupérer, mais je ne veux pas de ce temps. Parce que récupérer, c’est penser. Et penser, c’est affronter ce que je viens de comprendre.


Marcus était orange.

Comme Noa. Comme moi.

Et ils l’ont tué quand même.


Une vérité glaciale s’insinue sous ma peau, s’enroule autour de ma colonne vertébrale.


Nous ne sommes pas en sécurité.


Pas du tout.


Je prends une longue inspiration, mais l’air brûle dans mes poumons. Mon regard dérive, s’accroche à quelque chose que je ne m’attendais pas à voir.


Le tableau blanc.


Il n’est plus dans le salon. Il est là, posé contre le mur de la salle de bain. Et sous les gribouillis désordonnés que j’avais tracés dans mon délire alcoolisé, une autre écriture s’est superposée. Plus nette. Plus structurée.


Je plisse les yeux.


"C’est quoi, ça ?"


Theo ne répond pas tout de suite. Il attrape le marqueur noir posé sur le rebord du lavabo et tapote légèrement le tableau.


"Pendant que tu étais partie, j’ai essayé de comprendre ce que tu avais écrit."


Je secoue la tête, encore engourdie.


"Ça ressemble à rien.


— Au contraire. Si tu enlèves les tremblements, si tu rends chaque ligne plus droite, il y a quelque chose. Pas encore lisible… Mais j’ai retourné l’image comme un miroir, et j’ai reconnu un “2”. Puis j’ai inversé l’axe vertical. Et là, tout s’est remis à l’endroit. Des lettres. Des chiffres."


Je l’observe, incrédule.


"T’aurais pas dû t’embêter. Je me souviens à peine d’avoir écrit ça… Je délirais."


Il secoue la tête, catégorique.


"Non. Ce n’était pas du délire. C’est le début d’un code. D’une idée que tu as eue, même bourrée. Et tu l’as inconsciemment cryptée. Comme si ton cerveau refusait de l’écrire normalement, de peur qu’on la trouve et la comprenne… pour que personne ne s’y intéresse."


Un frisson glisse le long de ma colonne vertébrale.


J’essaie de me souvenir. Mais tout est encore trop flou.


Je me passe un gant humide sur le visage, me rince la bouche avec un bain de bouche, puis je reviens vers le tableau. Theo a noté des mots-clés sous mes tracés originaux. "OEIL". "ESPION". À côté, un schéma rudimentaire d’un globe oculaire, entouré de symboles cryptiques.


Et soudain, ça me frappe.

Ce n’est pas un simple code.

C’est un programme.


C’est une suite d’instructions, statique, qui exécute une tâche précise selon des paramètres définis. Un programme, c’est vivant. C’est un ensemble d’instructions dynamiques, qui réagissent en fonction de leur environnement.


"Je me souviens… murmurais-je."


Une idée, née quelque part entre l’alcool et la paranoïa, mais qui maintenant me semble d’une clarté glaçante.


Ce que j’ai écrit, ce n’est pas un simple algorithme. C’est une structure en devenir.


Un programme capable de détecter les espions infiltrés dans nos appareils.


Une souche de code à implanter dans n’importe quel téléphone. Une application qui afficherait discrètement un symbole – un œil – dans la barre de notification, accompagné d’un chiffre. Ce chiffre représenterait le nombre d’accès en cours sur l’appareil. Le nombre de fois où l’utilisateur est écouté à son insu. Où son écran est surveillé. Où chaque frappe sur son clavier est enregistrée.


Une alerte.


Non pas un moyen d’arrêter la surveillance.

Mais un moyen de la révéler.


Un outil qui ne détruirait pas le système, mais le rendrait visible aux yeux de tous. Une arme, non contre le contrôle, mais contre l’ignorance.


Et si les gens comprenaient à quel point ils étaient épiés ? Si chaque utilisateur de smartphone réalisait, en temps réel, que quelqu’un écoutait ses moindres mots, lisait ses messages avant même qu’ils ne soient envoyés ?


Le chaos.

La panique.

Un raz-de-marée de méfiance qui rendrait chaque citoyen plus prudent, plus éveillé.


Un soulèvement numérique.

Un mouvement impossible à contenir.


Parce que s’ils tuent quelques journalistes, quelques hackers trop curieux, ils ne pourront pas réduire au silence des millions de personnes. Ils ne pourront pas tuer tout le monde.


"Est-ce qu’on le fait ? murmure Theo."


Je fixe le tableau, mes pensées tourbillonnant à une vitesse incontrôlable.


Ce programme ne sera pas facile à coder. Il faudra masquer son fonctionnement, éviter qu’il soit repéré trop vite. Trouver un moyen de le déployer sans attirer immédiatement l’attention. Et surtout, le tester.


Avec Theo, je peux peut-être y arriver.


Mais une fois que ce sera lancé… il n’y aura plus de retour en arrière.


"Je pourrais pas y arriver toute seule."


Theo me regarde, son expression indéchiffrable.


"Tu ne seras pas seule."


Je le jauge. Une dernière fois.


"Tu as les compétences ?"


Il me tient tête, son regard brillant d’une détermination nouvelle.


"Oui."


Je prends une inspiration.


Un battement de cœur.


"Alors on le fait."

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3 commentaires

lea.morel

-

Il y a un mois

la suiiiiiiite

Ludwig Hoffmann

-

Il y a un mois

Après ma lecture; voilà mes petits retours: Dans la forme, tu emploies beaucoup de phrase très courte, autant ça donne un côté programmation très procédurale qui est un style qui colle avec le thème cyber. Autant j'ai un peu du mal à me plonger dedans avec ce format. Cela dit tu rajoutes quelques paragraphes ces derniers chapitres ça m'aide un peu ! Dans le fond, le rythme un peu saccadé donne vraiment une sensation d'action, de danger. Quand il y a de la tension tu la manies bien et c'est appréciable. Bon courage dans la suite de ton écriture !

La_petite_plume

-

Il y a un mois

Merci beaucoup pour se retour très constructif ! En effet, découper les actions en phrases courtes étaient une véritable intention pour rajouter un petit effet à l'histoire, mais je me suis aussi rendu compte que finalement ça pouvait être un peu lourd, donc j'essaie maintenant de trouver un juste milieu entre narration et ces phrases courtes pour que cela reste quand même assez fluide. Encore merci.
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