Fyctia
Chapitre 11 - Puzzle
Une douleur sourde pulse dans mon crâne, rythmée par le battement lent et oppressant de mon propre sang. À peine ai-je ouvert les yeux que la lumière du matin m’aveugle immédiatement. J’ai la bouche sèche, l’estomac noué, le corps engourdi.
Un poids léger repose sur moi.
Une couverture.
Je suis bordée.
Je fronce les sourcils. Je n’ai pas le souvenir d’avoir été assez lucide pour faire ça moi-même. En fait, les événements de la veille sont assez flous.
Les images me reviennent par vagues, brumeuses et fragmentées.
Noa.
Theo.
L’alcool.
Beaucoup trop d’alcool.
Noa nous servait deux verres dans la salle de bain, alors que j’étais encore choquée par les révélations. Mon cerveau tentait d’ajouter cette pièce à notre puzzle de dix mille morceaux pendant qu’elle me racontait, en arrière-plan, comment elle avait rencontré Theo. Apparemment, c’était lors d’une conférence donnée par un journaliste spécialisé en cybersécurité et criminalité.
Jeremy Grayson.
L’oncle de Marcus.
J’avais immédiatement cherché son nom dans la liste.
Est-ce que je l’ai vraiment fait ?
Noa m’a expliqué qu’ils s’étaient retrouvés à débattre après la conférence et que, dans la conversation, il avait mentionné qu’il cherchait un appartement.
"Il étudiait la cybersécurité, et je savais qu’il faisait des études de programmation. Je cherchais un colocataire. Alors j’ai voulu faire d’une pierre deux coups", m’avait-elle expliqué. "Je ne lui ai jamais dit que c’était pour ses compétences, et il ne l’a jamais su. Puis on est devenus amis. J’aimerais qu’il ne sache jamais que sa présence ici était motivée par un intérêt purement professionnel."
Je me frotte les yeux et grogne sous l’effet du mal de crâne. Le bruit d’un tintement entre deux tasses me fait soupirer et je rabats la couverture sur ma tête, espérant échapper encore quelques minutes à la réalité. Mais en fermant les yeux, je ne peux pas empêcher ma mémoire de retracer le cours de la soirée.
Noa, appuyée contre le mur de la salle de bain, le regard un peu flou.
Elle, jurant qu’il n’est pas impliqué. Pas vraiment.
Qu’il lui a juste donné quelques tuyaux sur la cybersécurité, comme il l’aurait fait avec n’importe qui. Qu’elle lui avait présenté son enquête comme une simple recherche journalistique, sans jamais lui parler de la menace, des vrais dangers.
"Pour un exercice à l’école, il devait s’entraîner à craquer un système. Je lui ai lancé un défi : pirater une base de données du gouvernement pour mon article. Je n’étais pas sûre qu’il le ferait. Il aurait pu finir en taule si ça avait mal tourné. Mais il était vraiment confiant."
J’avais regardé la liste à nouveau, pour être sûre.
Pas de Theo Palmer.
Pas de Jeremy Grayson.
J’ai bien vérifié, me confirmais-je intérieurement, ma mémoire photographique repassant en boucle les noms des cibles.
Pas de Jeremy Grayson.
Pas de Theo Palmer.
Un verre. Puis un autre.
Les bouteilles de crémant qui se vident.
Des rires qui fusent.
Le sujet du téléphone piraté et du compte à rebours, la menace sur le campus. Peut-être une ou deux heures de discussions avant que ça ne parte dans tous les sens et qu’on finisse affalées sur le sol carrelé, une bouteille entre nous. Les mots qui sortaient plus vite que nos pensées.
Un autre flash, plus flou.
Une silhouette.
Theo.
Il s’était accroupi et parlait d’une voix calme, légèrement agacée. Il nous avait aidées à nous relever, nous tenant avec précaution alors qu’on ne marchait plus vraiment droit.
Je ne sais plus si Noa riait ou pleurait. Moi, j’avais cessé de comprendre quoi que ce soit.
Theo avait ramené Noa jusqu’à sa chambre.
Ça avait duré le temps que je commence à écrire des choses incompréhensibles sur le tableau blanc du salon.
Je soulève la couverture pour laisser mes yeux observer le tableau.
Des chiffres déformés, des lettres tremblantes ne formant pas de réels mots.
Je soupire et retire complètement la couverture de mon visage, essayant de retrouver les derniers souvenirs qui me séparent de ce tableau blanc et de mon coma sur le canapé.
Je passe une main sur mon front douloureux. Le bruit d’un liquide qui coule dans une tasse attire mon attention vers la cuisine. Theo est là, de dos, face à la cafetière. T-shirt gris, cheveux en bataille, jogging noir et des pantoufles hideuses.
Ces pantoufles...
La mémoire me revient difficilement, mais maintenant je me souviens.
C’est lui qui m’a couchée.
Je cligne des yeux, et soudain, il n’est plus dos à moi. Il s’est tourné, une tasse à la main, l'air parfaitement réveillé, pas du tout affecté par la nuit chaotique qu’on vient de passer.
"T’as survécu."
Sa voix est neutre, mais il y a un amusement sous-jacent. Un regard moqueur. Un regard qui veut dire "T’as fait des conneries et j’ai rien manqué."
Je grogne en me redressant difficilement.
"À peine."
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