Fyctia

Je récupère mon ordinateur, caché dans son Vanity, et le pose sur les toilettes. Elle s’accroupit à côté de moi, son expression changeant aussitôt. L’ombre d’un doute laisse place à une alerte bien plus sérieuse.

J’allume l’écran et accède au fichier P.T.S., la liste des cibles surveillées.

"J’ai réussi à obtenir un accès direct, murmuré-je en naviguant rapidement sur l’interface."

Noa fronce les sourcils.

"Tu peux me dire comment t’as fait ça ?

— J’ai trouvé une backdoor dans leur serveur, un accès planqué dans une API de diagnostic qu’ils ont négligé de sécuriser correctement. Ils ont blindé leur architecture principale, mais leur flux de mise à jour passe par un relais mal chiffré. J’ai intercepté une requête, usurpé une clé d’authentification et injecté un script silencieux."

Elle cligne des yeux, perplexe.

"En clair ?

— Je me suis branchée sur leur ligne comme un parasite. Tant qu’ils n’effectuent pas un scan profond, je peux voir en temps réel chaque modification de leur liste."

Noa souffle, impressionnée.

" Tu es terrifiante.

— Tu crois que je regarde My Little Pony et que je fais la sieste toute la journée pendant que tu bosses ?

— Vu que My Little Pony est la dernière diffusion sur mon compte de streaming, j’ai eu des doutes.

— Je peux faire deux choses à la fois, me défends-je. Je deviendrais folle si je passais mes journées la tête plongée uniquement dans ton enquête et le codage."

L’écran affiche la liste devant nous. Je fais défiler rapidement, cherchant un nom. Mon cœur rate un battement quand je le trouve.

"Grayson, murmure Noa.

— C’est ça. Et regarde."

Je lui montre le point orange à côté de son nom.

Elle plisse les yeux.

"On est classifiés pareil. Pourquoi ? Parce qu’on est tous les deux journalistes ?

— Peut-être. Ou pas. Je dois comparer avec les autres personnes en orange. Mais si ce classement se faisait uniquement par métier, il y aurait plus de quatre couleurs.

— À moins qu’il n’y ait que quatre types de personnes susceptibles de menacer leur secret."

Je note cette hypothèse sur ma liste, juste en dessous d’une autre qui attire immédiatement l’attention de Noa.

"Paliers de menace ? lit-elle à voix haute.

— En gros, j’ai pensé que vert, c’est ceux qui commencent à leur faire peur. Orange, c’est quand ils deviennent une menace potentielle. Rouge, c’est ceux qui ont franchi la limite, ceux qu’ils éliminent."

On a passé la nuits entières après avoir découvert la liste, à rechercher les noms en rouge barré. La majorité d’entre eux étaient déjà morts. Accidents. Disparitions suspectes.

Noa fixe l’écran, absorbée par l’information.

"Mais violet, alors ? Ça veut dire quoi ?"

Je secoue la tête.

"Je ne sais pas. C’est pour ça que cette théorie reste incomplète. Je suis la seule en violet. Alors soit c’est un autre type de classification, soit… je ne sais pas."

Je soupire, frustrée.

"J’ai bossé sur ce foutu code couleur toute la semaine. Je suis désespérée"

Noa joue distraitement avec une mèche de ses cheveux roux.

"Ton collègue est roux ? demande-je, épuisée.

— Non. T’es bête.

— Je suis désespérée, je t’ai dit.

— Et toi, t’as les cheveux violets peut-être ?

— J’ai eu une mèche violette à quatorze ans, j’admets à contrecœur."

On ricane toutes les deux.

Comme si la situation n’était pas si grave.

On est vraiment atteintes.

Noa s’assoit sur le rebord de la baignoire, bras croisés, l’air pensif.

"Ok. Maintenant, parlons de cet interrogatoire que tu as fait passer à Theo.

— Des questions banales sur ses études, dis-je de façon innocente.

— Pas avec moi, chérie. Je te connais par cœur, et quand t’as demandé quel projet il avait, t’avais ta tête de fouineuse."

Je prends une grande inspiration et souffle avant d’admettre :

"Je suis allée à son campus aujourd’hui."

Son regard devient moqueur.

"T’es sérieuse ? Tu l’as suivi ? Tu sais qu’on appelle ça stalker, et que c’est pas vraiment légal ?

— Déjà, je l’ai pas suivi, il était pas là. Je voulais juste en savoir plus sur lui."

Elle écarquille les yeux.

"Eli… T’es allée enquêter sur mon coloc ?

— J’avais des doutes ! Il fait de la programmation, il vit avec toi, je me suis dit que c’était pas une coïncidence. Qu’il était peut-être un espion ou autre. Ce matin, il voulait savoir ce que je cherchais… Je devais être sûre."

Noa secoue la tête, exaspérée.

"Et alors ? Je lui ai dit que t’étais un génie en informatique et il fait les mêmes études que toi, il s’est sûrement montré curieux. C’est normal qu’il ait demandé ce que tu cherchais. Peut-être même que, par pure bonté, il voulait simplement t’aider. Ça fait deux semaines qu’il te voit sur ce canapé à t’arracher les cheveux et à vider nos stocks de café."

Un point pour elle.

"Tu l’as suivi ? Fouillé dans ses affaires aussi, tant que t’y étais ? reprend-elle, exaspérée.

— Non."

Je marque une pause.

"Mais j’ai posé des questions."

Elle me regarde avec des gros yeux. D’habitude, c’est moi qui la sermonne. Mais j’avoue que, cette fois, je le mérite peut-être.

"Eli !

— Ça va ! De toute façon, ma petite enquête m’a menée nulle part. Apparemment, il est pas assez bon pour être repéré par le gouvernement ni pour nous pirater."

Je la fixe un instant.

"Mais si c’est pas lui qui t’a fourni les preuves, alors comment t’as fait pour récupérer des fichiers piratés du gouvernement ?"

Son regard fuit soudain le mien. Elle se mord la lèvre.

Je connais cette expression par cœur.

Et je lis en elle comme dans un livre ouvert.

Je comprends que je n’étais pas si loin de la vérité.

"C’est lui qui te les a donnés ? C’est Theo c'est ça !?"

Elle ne répond pas tout de suite.

Mais elle me regarde.

Et je sais.

Puis elle hoche la tête.

"C’est pas lui qui a postulé pour la coloc… commence-t-elle d’une voix plus basse."

Elle inspire profondément avant de lâcher enfin :

"C’est moi qui lui ai proposé."