La_petite_plume Silence Compromis Chapitre 7 - Campus

Chapitre 7 - Campus

Le silence de l’appartement pèse plus que d’habitude.


Noa est au boulot. Theo est dans sa chambre, du moins c’est ce que je suppose. J’entends à peine quelques bruits étouffés derrière la porte fermée.


Je devrais me concentrer sur la signification des couleurs ainsi que, sur la liste de noms, sur les dangers bien réels qui nous menacent. Mais mon esprit dérive ailleurs.


Vers Theo.


Il est curieux. Trop curieux.


Il pose des questions. Il veut savoir ce que je cherche.


Peut-être pour un but bien précis.


Si ils avaient placé quelqu’un dans notre entourage, ce serait un profil comme le sien. Discret. Intelligent.

Proche.


Je me lève brusquement, ferme mon ordinateur. Je dois vérifier. Et comme il m'a recommandé de sortir autant faire une pierre deux coup.


"Tu vas quelque part ?"


Je me retourne. Theo est debout dans l’embrasure de la porte, un bol de céréales à la main.


Qu'est ce que je disais, trop curieux.


Il me regarde comme si de rien n’était. Il ne porte pas ses lunettes et ses cheveux sont légèrement en désordre.


Je hausse les épaules.


"J’ai besoin d’air. J'écoute tes conseils, je sors un peu."


Il hoche la tête et prend une cuillère de ses céréales.


"Bonne idée. Tu commençais à fusionner avec le canapé."


Je force un sourire et attrape ma veste.


"T’as pas cours aujourd’hui ?"


Il fronce légèrement les sourcils, surpris par ma question avant de regarder sa montre."


"Pas avant une bonne heure.


— Intéressant."


Je sors avant qu’il puisse me demander pourquoi je m’y intéresse soudainement.


Sur le chemin, j’attache mes cheveux blond polaire, presque blancs, en une queue haute. Quelques mèches rebelles échappent à l’élastique et encadrent mon visage.


Dès que je mets un pied dehors, je prends une grande inspiration. L’air est frais. Le ciel est bas, lourd, d’un gris uniforme qui écrase l’horizon. La densité urbaine accentue cette impression d’oppression avec ses immeubles resserrés. C’est un paysage morne. Déprimant.


Et pourtant, après deux semaines enfermée, ça fait un bien fou. Je marche jusqu’à un arrêt de bus, les mains dans les poches. C’est en m’arrêtant devant la carte des lignes que je réalise mon erreur. Je suis partie trop vite.


Pas de bombe lacrymogène. Pas d’arme. Même pas un sac. Juste ma veste en cuir et mon téléphone, avec quelques billets glissés dans ma poche.


Mauvais plan.


Mais trop tard pour faire demi-tour.


Je me poste devant la carte, observant les tracés colorés. Pourquoi les gens ont-ils toujours besoin de coller leurs gros doigts sur la carte pour suivre une ligne ?


Leurs yeux ne sont-ils pas reliés à leur cerveau ?


Je repère rapidement l’arrêt du campus de Portland. La ligne est simple. Deux, trois stations.


Un bus arrive quelques secondes plus tard. Chance.


Je monte à bord et dépose quelques pièces devant le conducteur pour acheter un ticket. Le conducteur ne me tend pas de billet tout de suite. Il pointe du doigt un panneau au-dessus de lui disant qu'il est recommandé d’acheter son titre de transport via l’application mobile.


Un détail qui ne devrait pas m’affecter. Mais récemment, j’ai développé une phobie des applications. Pendant ces deux semaines d’enquête, par pure curiosité, j’ai ouvert le code source de certaines apps.


J’ai vu les chiffres bouger.

J’ai vu les algorithmes s’activer au moindre son.


Ces putains d’applis écoutent en permanence. Bien plus attentives que n’importe quel assistant vocal.


Le conducteur finit par me donner un ticket dans un soupire ennuyé puis, je vais m’asseoir dans un coin du bus. Il n’est pas bondé. Saison automnale, début de matinée.


Les gens sont dispersés, absorbés par leurs écrans. Je les observe. Tous sur leurs téléphones. Des oreillettes enfoncées dans les oreilles, des notifications qui s’affichent en boucle. Le moindre mot prononcé est capté.


Mon regard glisse lentement vers la caméra de surveillance fixée au plafond du bus.


Si un programme du gouvernement récupère les sons, qu’en est-il des images ? Les caméras sont partout. C’est un fait. Elles quadrillent déjà l’espace public. Mais nous mettre sur écoute dans nos lieux privés ? C’est une autre histoire.


Vingt minutes plus tard, j'arrive sur le campus. Rien à voir avec celui que Noa et moi avons fréquenté à New York. Là-bas, c'était un grand parc, les facultés dispersées dans différents bâtiments, séparées les uns des autres par de vastes espaces verts. Ici, c'est totalement différent.


Devant moi, une large étendue d'herbe foncée et irrégulière s'étire jusqu'à un immense bâtiment unique. Une structure massive, longue de plusieurs centaines de mètres, dont les ailes se recourbent à 90 degrés vers moi, comme un piège qui se referme. Les murs sont en briques traditionnelles, imposantes et austères.


Il y a moins d'étudiants que ce à quoi je m'attendais. Peut-être à cause de la météo instable. Certains marchent le long des chemins tracés dans l'herbe, d'autres sont assis sur des bancs, ou accoudés aux rebords des fenêtres, le regard perdu. L'endroit est vivant, mais pas bouillonnant.


J'entre par la grande porte principale, ouverte à tous. Probablement l'accès à l'administration.


À l'intérieur, des groupes d'étudiants sont éparpillés dans les couloirs, discutant à voix basse, riant parfois. Une rumeur constante, un bruit de fond diffus et familier. J'ai l'impression de remonter dans le temps.


Moi aussi, j'ai été ici. Pas exactement dans ces couloirs, mais dans des lieux comme celui-ci. Il n'y a pas si longtemps, et pourtant ça me semble une autre vie.


Je m'arrête dans le hall principal et réfléchis à ma destination. Theo m'a dit qu'il était en dernière année. Informatique. Comme moi il y a un peu plus de deux ans.


Grâce à une étudiante, polie et étonnamment serviable, je trouve facilement le département qu'il est censé fréquenter.


Oui, je dis bien "censé".


Parce qu'à ce stade, je ne peux pas exclure la possibilité qu'il ait menti sur ça aussi.


Je marche lentement dans le couloir, mon regard glissant sur les portes vitrées des salles de classe. À travers ces fenêtres, je distingue les postes de travail alignés, les écrans de code, les laboratoires de cybersécurité.


Tout un monde que je connais par cœur.


Je me fonds dans la masse, croisant des visages qui sont à peine plus jeune que moi. Certains sont plus vieux, surement des profs. Je baisse la tête et accélère le pas.


Si je veux des infos sur lui, il faut quelqu’un qui le connaît bien.


Je passe devant une petite salle détente. Un groupe d’étudiants est installé sur des fauteuils défoncés, les yeux rivés sur leurs écrans.


Commençons par là.


"Excusez-moi ?"



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