Fyctia

Le monde extérieur n’existe plus.

Deux semaines. Quatorze jours enfermée dans cet appartement.

Le temps s’est dissous entre les écrans, les lignes de code, les dossiers éparpillés sur le sol de la salle de bain. Chaque matin ressemble au précédent. Café trop fort, nuits trop courtes, sueurs froides qui s’infiltrent jusque dans mes os.

Je vis sous une lumière artificielle.

Les rideaux sont toujours tirés. Aucune connexion sur mon téléphone. Internet uniquement via un VPN crypté. Chaque site que je consulte, chaque ligne de code que j’écris est passée au peigne fin avant d’être envoyée.

Noa continue d’aller au journal. Elle fait semblant. Joue la journaliste qui a abandonné son enquête trop risquée. Elle garde la face.

Le canapé est mon lit. L’écran de mon ordinateur est devenu ma seule fenêtre sur l’extérieur.

"Tu comptes sortir un jour ?"

Je lève les yeux de mon écran.

Theo est appuyé contre l’embrasure de la porte, une tasse de café à la main. Il a cette expression entre l’inquiétude et la curiosité.

"Je suis occupée."

Il entre dans la pièce, s’arrête devant la table basse envahie de papiers.

"C’est ce que je vois."

Il attrape une feuille au hasard, la lit en fronçant les sourcils.

"Et moi qui pensais que Noa bossait sur des potins de célébrités.

— Je pense que tu sais très bien que ce n'est pas le cas."

Je lui arrache la feuille des mains et la range sous une pile.

"Oublie ce que t’as vu."

Il me regarde, puis hausse les épaules.

" Pourquoi tu penses que je me doute des agissements de ton amie.

— Parce qu'il y a des données qu'elle n'aurait pas pu avoir toute seul sans piratage et c'est le genre de choses qu'on apprend pas à l'école de journalisme."

Il s’assoit sur le canapé en face de moi, prend une gorgée de son café, puis me désigne d’un geste vague.

"Tu vas devenir un mythe urbain si tu continues à rester enfermée ici. "La fille du salon", "L’invitée qui n’est jamais partie"."

Il ne répond pas à mon accusation, ce qui est pas plus mal en y réfléchissant. On est surement sur écoute, si il en sait quelque chose et qu'il prend ça lui aussi au sérieux, ne vaux mieux pas qu'il révèle ce qu'il sait, et à quel point il est impliqué. Ce qui me fait m'interroger sur son implication.

Je soupire, me laisse tomber contre le dossier du canapé alors que je vois qu'il reste la à m'étudier.

"Qu’est-ce que tu veux, Theo ? je demande ."

Il hoche la tête vers mon ordinateur.

"Je veux savoir ce que tu cherches."

Si je réponds à cette question ou si je laisse penser qu'on a pas abandonné les recherches on est tout les trois morts.

"Tu devrais pas poser cette question.

— T’as peur que je sois un espion ?"

Il sourit, mais son regard est sérieux.

"Ou t’as peur de ce que tu pourrais me dire ?"

J’inspire lentement.

"Ce que tu ignores ne peut pas te tuer.

— Super rassurant."

Il s’enfonce dans le canapé et croise les bras.

"Noa m’a dit que t’étais une génie en programmation.

— Noa parle trop."

Il esquisse un sourire.

"Tu peux hacker la NSA ?"

Je ricane.

"Pourquoi, t’as un dossier à faire disparaître ?

— Non, mais j’ai une prof que j’aimerais bien voir disparaître."

Je secoue la tête.

"Déso, je fais plus dans le grand banditisme.

— Dommage."

Un silence s’installe.

Il se lève, pose sa tasse vide sur la table basse, et me regarde une dernière fois.

"Sérieusement, Eli. Respire un peu. Prends l’air.

— Peut-être demain.

— C’est ce que tu dis tous les jours."

Il s’éloigne et disparaît dans le couloir.

Je soupire, passe une main sur mon visage.

Il est loin du nerd timide que je pensais qu'il était la première fois que je l'ai vu. Ou alors je suis quelqu'un de facile avec qui communiquer. Noa c'est toujours demander comment j'arrivais à me faire des amis avec ma façon de communiquer. Mais la réponse c'est que je n'en ai tout simplement pas. Appart elle, bien sûr. Les sois disant amis que j'ai eu, j'ai coupé les ponts.

Je repose les yeux sur l’écran.

Un programme de Suppression Tactique.

Mais qu’est-ce que ça implique exactement ?

Je tape un dernier mot de passe et lance la recherche sur un serveur que personne ne peut tracer.

Je vais comprendre.

Même si ça me coûte la raison.