AnnaK Si tu te noies, ne m'appelle pas ! 17 - Effrayer les goélands

17 - Effrayer les goélands

Pourquoi les gens ont-ils besoin de s’empoisonner pour profiter d’une belle soirée d’été ?


Je reste planquée dans ma cabine pendant que le Frimeur s’affaire à la cuisine. Dans l’interstice de la porte, je le vois sortir des plats et des plats et des plats. Une odeur de fromage se répand dans l’habitacle quand il passe une fournée d’amuse-gueules dans le petit four de camping. Le front du Frimeur se plisse sous l’effet de la concentration. On dirait presque Baptiste, sauf qu’il garde son regard vert perçant et sa mèche devant les yeux. Ses gestes sont précis et rapides, m’apprenant qu’il a de l’expérience derrière les fourneaux.


Le silence étouffé de ma cabine contraste avec l’excitation au-dessus de ma tête. Quelqu’un ‒ je suppose la Brute ‒ a mis de la musique à fond. Des pas raisonnent sur la plage avant et juste au-dessus de ma tête. Si je comptais me cacher ici pour la soirée, c’est impossible à moins de vouloir chopper la migraine de l’année. Comme Anthony ne montre pas signe de quitter la cuisine prochainement, je me résigne à sortir de mon antre.


Une fois dans le salon, il devient évident qu’Anthony et moi n’avons pas la même conception de l’apéritif. Là où je pensais à quelques biscuits apéros et ‒ malheureusement ‒ quelques verres de vin, il a préparé des petites fours, une salade de riz, des verrines, quelques bols de guacamole et de houmous, des petites crudités en bâtonnets pour aller avec et un énorme saladier de punch.


L’odeur qui s’en dégage me met l’eau à la bouche, sauf que voilà, il faudrait que nous soyons le double pour ingurgiter une telle quantité de nourriture en une soirée. Le fantôme de ma crise de panique de cet après-midi plane au-dessus de moi et je me dépêche de traverser la cuisine avant de récidiver.


— Tu peux monter les plats ?


Je secoue la tête sans même un regard dans la direction d’Anthony. Tout pour éviter de nouvelles angoisses.


— Aller, soit sympa, j’ai tout préparé ! se méprend-il.

— Non, non, je veux bien les transporter. Mais ça ne fait pas un peu beaucoup pour ce soir ?

— Boarf, on a un gros appétit ! Au pire, il en restera pour demain !


Je frissonne rien que de penser au coût énergétique de ce seul repas. Les avocats, qui ont déjà fait un tour du monde, ne tiendront jamais ouverts sur douze heures. Ce qui va nous laisser le choix entre se rendre malade pour finir les restes ou jeter de la nourriture.


Sentant bien que me lancer dans un débat sur le gaspillage alimentaire avec Anthony serait inutile, je saisis autant de plats que je peux en porter et emprunte l’escalier.


À peine les denrées déposées sur la table, Anaïs remarque ma moue assombrie.


— Peut-être que tu ne devrais plus aller dans la cuisine.


Je lui désigne les plats :


— Il y en a encore le double en bas.


À ma grande surprise, elle éclate de rire, ce qui me fait me renfrogner d’avantage. Elle a un verre de vin à la main et les joues rouges, ce qui explique sans doute qu’elle lève les bras au ciel, comme si j’exagérais.


— Je sais ce que tu en penses, mais ils sont en vacances, tu ne peux pas leur reprocher le moindre faux pas !

— Ce genre de faux pas est en train de nous coûter la planète.

— Tu vois les choses beaucoup trop en noir ! De la bouffe en trop et quelques avocats ne sont pas responsables de dizaines d’années de surconsommation énergétique.


Voilà où l’avis de ma meilleure amie diverge du mien. Pour elle, c’est la société qui est en tort et devrait payer. Pour moi, peu importe à qui la faute, on doit tous agir de manière responsable à présent.


— C’est avec ce genre de raisonnement que rien ne changera jamais !


Elle rit encore bêtement.


— Manon ! Ne sois pas si mélodramatique ! Nous sommes sur un voilier pour une expédition scientifique qui tend à montrer la dégradation significative des fonds marins. Je ne vois pas comment mieux faire notre part que de cette façon.


Je ne veux pas me fâcher avec ma meilleure amie alors je me contente de bouder. De toute façon, elle est trop occuper à lorgner sur Baptiste qui regarde les autres danser, adossé au balcon avant.


Le ciel s’est assombri. Bien qu’il fasse encore jour, le soleil frise avec la ligne d’horizon, nous offrant le spectacle d’un magnifique couché de soleil sur la Méditerranée.


Les rares nuages se teintent de rose, alors que le fond de ciel passe du bleu éclatant à une couleur plus profonde. L’eau change aussi. Le bleu devient plus sombre, à l’exception des halos créés par les lumières du bateau que nous venons d’allumer.


En temps normal, la beauté des lieux m’apaiserait. Pas aujourd’hui. Parce que aujourd’hui, deux boulets sont toujours en train de transformer mon voilier en boîte de nuit. Le vacarme engendré doit suffire à faire fuir toute la faune à deux kilomètres à la ronde. Même les goélands ne sont pas encore venus quémander une part de notre festin. L’un d’entre eux est perché sur le mat et fixe la nourriture avec avidité.


— S’ils poursuivent la bringue jusqu’à demain matin, mes relevés sont fichus ! m’indigné-je.

— Ne t’inquiète pas, on les abandonnera sur une île déserte !


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15 commentaires

L. M. Volange

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Il y a 2 ans

L'île déserte, quelle bonne idée !!

Margo H

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Il y a 2 ans

La métro à encore tourné... 🌟 ☁️ ?? Décidément c est pas facile pour elle cette escapade . Et oui ,c est tjs les mêmes qui font des concessions 😃 ❤

Cécile G

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Il y a 2 ans

Je trouve qu'Anaïs est le personnage le plus raisonnable (au sens de "sensé") de ce bateau. Elle connaît et comprend Manon, mais elle sait aussi lui dire quand elle trouve qu'elle exagère. Son rappel est très juste, Anthony et Baptiste sont en vacances.

Cécile G

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Il y a 2 ans

Je viens de tout lire d'une traite, j'aime bien l'équilibre entre le sujet de fond de l'environnement et la légèreté du reste du récit

Caroline-Noëlle

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Il y a 2 ans

Coup de pouce !

Lina Lépy

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Il y a 2 ans

Bravo Anaïs, voilà une idée bien pensée 😂 Encore faut-il trouver des îles désertes à quelques encablures de la côte méditerranéenne !

AnnaK

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Il y a 2 ans

Oui, il faut chercher un peu !
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