Fyctia
13 - Nourrir les poissons
Enfin, oui, il devrait ressentir à la fois de la peur et de la colère pour l’avenir de notre planète, mais il ne s’agit pas là d’un danger imminent. C’est d’ailleurs pour cela que la plupart des gens refuse d’agir. Mais je ne crois pas que ce soit l’éco-anxiété qui met Anthony dans cet état.
— Ah, tu vois, même toi, tu as un éclair de conscience !
Ma tentative de le distraire semble empirer les choses au lieu de le dérider.
Il se lève d’un bond et pointe un doigt accusateur sur moi.
— Mais c’est ça le problème avec vous, les écolos ! Vous vous croyez supérieurs aux autres ! Tu ne manges pas de viande et tu crois que ça fait de toi une super défenseuse de la nature ! Regarde autour de toi, Manon ! Tu auras beau naviguer à la voile, tu es quand même sur un bateau dont la fabrication a eu un impact sur l’environnement ! Tu fais la morale sur les saucisses parce que tu peux te permettre de ne pas en manger. D’autres diraient que les voiliers de plaisance ne devraient même pas exister.
N’importe quoi ! Que ce soit ce voilier ou un autre bateau mes recherches permettront de mieux préserver le milieu marin. Cela justifie donc les quelques dépenses énergétiques pour les réaliser, non ?
Je voudrais lui exposer mes arguments mais il ponctue sa tirade en balançant son bol de petits four par-dessus bord.
— Mais ça va pas ?
— Eh bien, ça fera de la nourriture aux poissons, si tu n’en veux pas !
Il part s’enfermer dans sa cabine alors que je lutte pour me mettre sur mes pieds malgré l’ordinateur sur mes genoux. Le temps que je sois debout, le plat a disparu dans les profondeurs. Non seulement les poissons mangent du plancton, mais en plus, il ne risquent pas d’avaler l’assiette.
J’en ai les larmes au yeux de rage. Comment quelqu’un peut-il être égoïste au point de jeter ses déchets dans la nature ? Je croyais qu’il était au moins sensible au combat pour la planète, lui aussi, mais j’ai dû me tromper. Il est comme tous les autres, incapable de penser à autre chose qu’à son confort personnel. Pire, il vient de prouver qu’il est capable de détruire sciemment !
Je me tourne vers Anaïs.
— Tu te rends compte de ce qu’il vient de faire ?
Mais Anaïs ne m’écoute pas. Elle effectue un changement de bord, avec l’aide de Baptiste, et je dois me baisser précipitamment pour éviter de me prendre la baume dans la tête, alors que la grande voile passe d’un côté à l’autre du voilier.
— Hé, mais vous voulez me filer à bouffer aux poissons, en plus des saucisses ?
Baptiste n’a pas l’air content, lui non plus. Il n’était pas prêt à rattacher la voile et cette dernière balance quelques fois, avant qu’il ne parvienne à la stabiliser. Il attache l’écoute, les mâchoires serrées, puis marche jusqu’à la barre et prend la place d’Anaïs, sans cérémonie.
— Il fait quoi, lui aussi ?
Je m’apprête à le virer de là moi-même mais Nana lui jette un regard plein de dédain avant de lui céder la place. Elle m’attrape par l’épaule et m’entraîne vers la proue.
— La voie est libre, profitons-en. Ils n’ont qu’à naviguer, ça nous fera des vacances !
Je hausse les épaules. Peu m’importe qui tient la barre, du moment que nous arrivons au mouillage numéro un avant ce soir.
— J’espère qu’il restera de la place, le temps que nous arrivions. Imagine que notre anneau ait été refilé à quelqu’un d’autre…
Anaïs observe la côte avec attention.
— J’espère surtout que le vent va un peu forcir.
Elle n’a pas tort. Je reprends ma lecture, mais mon esprit ne se concentre toujours pas. Le Beau Soleil se traîne et je ne peux cesser de visualiser notre trajet, comme si réfléchir à notre route pouvait accélérer notre progression.
Un nouveau mail fait exploser mon rythme cardiaque.
— Oh non ! Grognon-en-Chef ne valide pas mes deux derniers chapitres ! Il veut que je réécrive mon plan de mesures !
Non seulement, je n’ai pas le temps pour ça mais en plus, il s’agit simplement d’une liste des paramètres étudiés et de la façon dont ils sont mesurés. Que veut-il que j’ajoute de plus à un simple inventaire ?
Anaïs secoue la tête.
— Classique. Il a toujours quelque chose à reprocher !
Je me replonge dans le passage en question, tentant de trouver une façon de rendre ça plus clair, ou plus ludique peut-être. C’est vrai que ce n’est pas très facile à lire, cette longue énumération de senseurs.
Je ne me rends compte du temps passé courbée sur mon travail, que parce que le soleil descend sur l’horizon et se reflète sur mon écran. Quand je relève la tête, je mets un moment à réaliser où nous sommes.
L’eau devient plus claire alors que nous nous rapprochons d’une île. Couverte de pins et bordée de falaises et de petites criques, elle ressemble à un petit paradis de soleil et de verdure. Je reconnais Porquerolles, la plus grande des trois îles d’Hyères.
Je ne suis pas du tout sensible au paysage. En fait, une fureur noire me prend à la gorge et je me lève d’un bond.
— Qu’est-ce qu’on fout là ?
17 commentaires
L. M. Volange
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Il y a 2 ans
Cécile G
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Il y a 2 ans
Patricia Eckert Eschenbrenner
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Il y a 2 ans
Margo H
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Il y a 2 ans
Riley Evergreen
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Il y a 2 ans