Fyctia
Chapitre 8
On toque à la porte et un petit cri s’échappe de mes lèvres.
— Manon ? Ça va ? On a fini la nav, on va pouvoir partir.
C’est la voix d’Anaïs ! Le soulagement me draine de mes dernières réserves d’énergie.
Je me secoue pour me débarrasser de la tension dans tous mes membres. Au prix d’un effort surhumain, je me lève et vais lui ouvrir.
— Ouh la ! Tu te sens mal ?
— Ce n’est rien, juste la chaleur.
Je détourne les yeux. J’ai toujours été une très mauvaise menteuse et Anaïs n’est pas dupe.
— Laisse Anthony ranger.
Je devine au ton de sa voix qu’elle sait bien quel est le problème.
— Tu devrais aller mettre des habits d’été, tu m’étonnes que tu aie beaucoup trop chaud dans cette tenue !
Je lui lance un regard reconnaissant de ne pas aborder le sujet de mes crises de panique et je file dans le salon récupérer mon sac sur la banquette.
Le Frimeur est en train d’empiler des barquettes dans le mini-frigo et je fais de mon mieux pour ignorer le fait que ça ne rentre plus alors qu’il reste beaucoup trop de sacs sur la table.
— Où tu vas ?
Anthony m’arrête d’une main sur l’épaule.
Je bondis hors de sa portée avec un petit glapissement de chat effrayé. Je relève le menton, le mettant au défi de commenter mes yeux rouges ou mon attitude craintive.
— Me changer !
— Parfait ! J’ai hâte de te voir dans un très petit bikini. Ou sans bikini du tout, mets-toi à l’aise. Par contre, tu ne peux pas aller dans cette cabine, c’est celle de Baptiste.
J’allais entrer dans la cabine principale, celle à l’arrière du bateau. C’est celle que j’occupe habituellement car elle est plus confortable que celle à l’avant, dont le lit épouse la proue du bateau et forme une sorte de pointe.
— C’est aussi ma cabine.
— Je ne pense pas que Baptiste acceptera de dormir avec toi.
Très drôle. L’agacement a fait disparaître mon angoisse.
— Et je suis sensée dormir où, du coup ?
— Il y a les couchettes, là.
Il me montre du doigt les banquettes du petit salon intérieur. Hors de question de dormir là-dessus.
— J’ai besoin d’un sommeil réparateur si je veux bosser correctement.
— Babou et moi ne rentrons certainement pas en longueur sur ces petits lits.
— Les lits des couchettes ne sont pas beaucoup plus grands.
— On n’a qu’à faire une cabine pour les filles, une cabine pour les garçons, intervient Anaïs.
Je m’attends presque à ce qu’Anthony propose de faire des duos mixtes, mais non, il s’abstient.
— On pourra stocker des bagages sur les couchettes, comme ça, continue Anaïs. Parce qu’il reste pas mal d’équipement pas rangé là-haut.
Anthony regarde en direction des provisions qu’il faut encore arranger dans les placards et il finit par hocher la tête. Même lui doit réaliser que c’est soit ça, soit se résigner à enjamber des sacs à chaque fois qu’on descendra dans la partie habitation.
— OK, donc nous on prend la grande cabine.
Ben voyons.
— On est plus grands et plus larges que vous, se défend-il.
— Tu vois que tu vas regretter toutes ces heures à la salle…
Notre querelle de gamins est interrompu par un bruit de moteur. C’est Baptiste qui doit s’impatienter.
— Il faut qu’on y aille ! glapis-je.
— C’est réglé, de toute manière, décide Anthony.
Anaïs me lance un long regard que j’interprète par : “fait ce qui est nécessaire pour qu’on récupère la grande cabine” :
— Je vais aider Baptiste à sortir du port. Je compte sur toi pour régler ça.
Je me tourne vers le Frimeur, prête à en découdre :
— Comme vous êtes galants, vous allez nous laisser le meilleur lit.
— Je ne suis pas galant. Et j’espère bien que quand on finira enfin dans le même lit, ce sera le plus grand des deux.
Je secoue la tête. Il a l’air si sûr de lui.
— Est-ce que si je te redis que tu gâches ta vie dans ton entreprise familiale, tu vas t’enfuir comme la dernière fois ?
C’est bas, mais de toute manière, notre dernière conversation allait bien finir par ressurgir. Alors autant que ça me permette de gagner la chambre. Je n’aurais pas osé avant le départ, de peur qu’ils s’enfuient avec le bateau, mais maintenant que je sens la houle sous mes pieds, il n’y a plus de risque. Selon ses propres conditions, il ne veut pas faire demi-tour.
À ma grande déception, cela ne provoque pas la colère à laquelle je m’attendais. Il ne fait que me lancer son sourire en coin.
— Peut-être que j’aurais dû t’écouter, à l’époque…
OK, il est vraiment buté. Très bien. On va prendre les choses en main.
Je saisis mon sac de voyage et j’entre d’autorité dans la cabine. Dire que l’on est en train de se battre comme des enfants pour une pièce qui fait à peine la taille du lit… et qui n’a même pas de fenêtre !
— Pas si vite ! Ou je serais obligé de me résoudre à passer aux coups bas.
Parce qu’il a l’impression qu’il se battait à la loyale jusque-là ?
Je me jette sur le lit.
— Bon courage ! En attendant, j’ai du travail pendant qu’on navigue et je peux bien rester là jusqu’à cette nuit.
Il se laisse tomber à côté de moi.
— J’ai rien à faire, je peux rester là aussi.
Je me tourne sur le côté. Incroyable cette audace ! Il a cette lueur de défi au fond des yeux qui n’annonce rien de bon.
— Voyons qui de nous deux tiendra le plus longtemps, propose-t-il.
Je fronce les sourcils.
Il me regarde avec une intensité qui me donne des frissons derrière la nuque. Il ne dit rien, ne me touche pas, et pourtant, j’ai l’impression que nous avons passé un nouveau niveau d’intimité. Je me sens comme une étrangère, qui serait rentrée dans son univers sans y être invitée.
Les minutes passent, le bateau roule légèrement et l’air devient de moins en moins respirable. Je tire sur mon col et le Frimeur suit le mouvement avec un regard connaisseur. Je rougis. Pas lui. Et soudain, je sais que je vais perdre car je ne peux supporter son observation muette plus longtemps.
Alors que je prends mes jambes à mon cou, je l’entends rire.
25 commentaires
Gaëlle K. Kempeneers
-
Il y a 2 ans
Cécile D
-
Il y a 2 ans
Cécile G
-
Il y a 2 ans
Patricia Eckert Eschenbrenner
-
Il y a 2 ans
Ninja
-
Il y a 2 ans
Alexiane Thill et Luna Joice
-
Il y a 2 ans
Dacia
-
Il y a 2 ans
AnnaK
-
Il y a 2 ans
L. M. Volange
-
Il y a 2 ans
AnnaK
-
Il y a 2 ans