Fyctia
Retrouvailles 2
A l'intérieur de moi, je suis profondément déçue. Alors que la robe à sequins l'entraîne plus loin, scotchée au bras de Bastien, je tourne le dos, dépitée. Je suis prise de tournis. Trop de bruit. Trop d'inconnus. Trop de paillettes. Je me rends compte que mes chaussures à talons me font mal, que les bretelles de ma robe sont trop serrées et mes boucles d'oreilles trop lourdes pou mes lobes. Qu'est-ce que je fais ici ? J'ai toujours eu ces soirées mondaines en horreur. J'essaie de retrouver mes esprits et la sortie lorsqu'une main se pose sur mon épaule. Je pivote pour faire face à Bastien. Il sourcille :
— Ça va ?
J'acquiesce dans un léger sourire, heureuse de ce revirement de situation. Mais mon soulagement est de courte durée.
— Ecoute, je n'en ai pas pour longtemps. Juste quelques minutes. Je te le promets. Tu veux bien m'attendre dans la pièce d'à côté ? Tiens, c'est la clé. Je te rejoins tout de suite !
Il tourne les talons en ne me laissant que le contact froid d' une grosse clé dans la main. Frustrée, je sens perler les larmes au coin de mes yeux. C'est ridicule. Et je n'ai pas envie de me ridiculiser. J'ai envie de partir en courant de ce lieu qui m'oppresse mais la sortie est plus loin que la porte qu'il m'a désignée, au fond à gauche. Ignorant un serveur qui circule entre les groupes pour proposer son plateau de toasts, je me dirige à pas pressés vers mon plus proche refuge. La main tremblante, je tourne la clé dans la serrure et actionne la poignée. Je pénètre dans la pièce et referme précipitamment à clé derrière moi en soupirant.
Ce n'est que quelques instants plus tard que je prends connaissance des lieux dans lesquels je me trouve. Cette pièce est aussi vide, froide et impersonnelle que celle d'à côté est bondée, pleine de vie, à la décoration opulente. Je dois être dans une sorte d'arrière-salle ou de réserve si j'en crois les toiles déposées par terre, en équilibre contre les murs qui me paraissent bien nus comparés à ceux que je viens de quitter. Il n'y a pas de mobilier, même pas une chaise pour s'asseoir. La douleur dans mes talons se ranime. J'ôte mes escarpins comme si c'était une urgence vitale et les balance à travers la pièce. Ils retombent lourdement sur le sol, le bruit étant amplifié par l'absence de mobilier pour absorber les sons. Mais je suis persuadée que dans l'effervescence d'à côté, personne n'a rien entendu.
Je suis comme coupée du monde et pourtant si proche. Ça me fait drôle de me dire qu'à part Bastien, personne n'est au courant de ma présence ici, ni même peut-être de l'existence de cette pièce. J'ai un peu l'impression qu'on pourrait m'oublier ici pour toujours et que je pourrais finir comme ces peintures poussiéreuses que personne ne veut plus voir.
Encore une fois les larmes me montent aux yeux. Je me sens tellement bête de me mettre dans des états pareils. Je crois que j'avais mis trop d'attentes dans ces retrouvailles. J'imaginais que Bastien n'aurait d'yeux que pour moi, qu'il me présenterait à tous comme la femme qu'il l'avait inspiré, qu'il ne me quitterait pas d'une semelle, qu'il me commenterait ces photos jusqu'à tard dans la nuit, qu'il serait tellement heureux de me voir qu'il se ficherait des autres...
Me rendant compte de ma naïveté, je me laisse glisser par terre, le dos contre la porte. Je retire mes créoles qui semblent peser une tonne sur chacune de mes oreilles. Je les envoie valser à côté de mes escarpins. Je laisse ma tête aller en arrière, elle cogne légèrement contre le bois de la porte. Je me sens ridicule. Il va falloir que j'élabore un plan pour rejoindre discrètement la sortie.
Soudain, quelqu'un essaie d'actionner la poignée. Le bruit me fait sursauter. La porte tremble légèrement derrière mon dos. Je me relève et regarde la poignée bouger toute seule de nouveau. Je ne sais pas ce que je dois faire.
Trois petits coups sur la porte. Et la voix de Bastien, à peine plus forte qu'un chuchotement.
— Clem' ? Tes là ? Tu m'ouvres ? C'est moi, Bastien.
Muette, j'hésite encore. J'ai la sensation étrange que si j'ouvre cette porte, tout va basculer, que je vais retourner au milieu de cette foule dans laquelle je me sens mal à l'aise, que, sans vraiment le vouloir, Bastien va de nouveau me décevoir, et que je ne pourrais plus faire machine arrière.
— Clem ? Est-ce que tout va bien ?
C'est l'inquiétude que je sens poindre dans sa voix qui me décide finalement à lui répondre.
— Oui, ça va.
— Clem ? Mais qu'est ce qui se passe ? T'es enfermée ? Ouvre-moi, je vais finir par me faire repérer.
Sa dernière phrase m'irrite. On dirait qu'il ne pense plus qu'à ça, les autres.
— Je ne suis pas sûre d'avoir envoie de t'ouvrir...
En disant ces mots, j'ai pleinement conscience d'avoir l'air d'une gamine mais je n'y peux rien, c'est ce que je ressens.
— Quoi ? Comment ça ?.. Ecoute Clem', on va discuter mais laisse-moi entrer !
J'ignore son impatience.
— Pourquoi est-ce que tu m'as invitée ?
Je l'entends soupirer, comme s'il se résignait à devoir me parler derrière la porte.
— Parce que... j'avais envie de te voir... Parce que je voulais que tu voies l'homme que j'étais devenu... Je voulais que tu te rendes compte que j'avais changé...
— Mais tu m'as laissée toute seule...
— Je suis désolé. Je ne voulais pas faire ça. Je n'ai même pas réfléchi... J'étais déboussolé. Je n'étais pas du tout sûr que tu viendrais, que tu accepterais mon invitation. Alors quand je t'ai vue... Ça m'a fait un choc... Je ne savais pas si t'étais là pour m'insulter - je l'aurais mérité -, pour me dire adieu ou pour... me donner une seconde chance ?
Il ne peut pas le voir mais je souris, touchée par ses mots.
De l'autre côté de la porte, j'entends Bastien parler à d'autres gens, un peu plus fort.
— Non, non, tout va bien. Elle n'est pas coincée. Ne vous en faîtes pas ! C'est un petit jeu entre nous, on adore communiquer à travers les portes...
Je suis morte de honte. Jamais plus je n'oserais sortir d'ici !
1 commentaire
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans