Fyctia
Retrouvailles 1
" — Tu es parfaite pour les départs. — Je me surpasse pour les retrouvailles ". - Out of Africa (Denys et Karen)
Mettre un pas devant l'autre. Franchir une porte. Puis une autre. Se présenter à l'accueil. Échanger quelques formules de politesse. Se mêler à la foule. Autant d'actions banales auxquelles on ne réfléchit même pas la plupart du temps. Mais, à de rares moments, comme celui-ci, plus rien est évident.
Je suis presque obligée de me rappeler de respirer. La gorge sèche, j'ai les jambes flageolantes. Je n'aurais jamais dû mettre ces talons trop hauts. En m'habillant tout à l'heure, je voulais choisir une tenue qui dirait : " Tu vois, j'ai envie de te plaire mais sache quand même que tout va bien pour moi, que je peux très bien m'épanouir sans toi, que je n'ai pas fait que penser à toi pendant ces derniers mois ". Au lieu de ça, sa première réaction sera sûrement, au mieux : " Tiens, Clem' a pris quelques centimètres ". Au pire : " Je parie qu'elle va se tordre la cheville avant la fin de la soirée ".
Dans mes mains moites, je tiens le petit carton d'invitation, trouvé dans ma boîte aux lettres, il y a dix jours. Il n'y avait pas de timbre. Plus tard, en réalisant qui en était l'expéditeur, j'ai été chamboulée de savoir qu'il avait fait le déplacement pour la déposer jusque chez moi. Avait-il hésité à sonner ? Avait-il espéré que je sorte, comme par hasard, au même moment ? Ou, au contraire, avait-il attendu la nuit pour se faufiler jusqu'à ma boîte et être certain de ne pas se faire prendre ?
Une entrée pour assister à l'inauguration de l'exposition " Muses et musées ". J'ai d'abord été surprise de voir le nom du photographe : Bastien Reno. Puis l'idée faisant son chemin dans ma tête, la chose m'est très vite apparue logique, presque naturelle. Je l'imaginais très bien derrière son objectif.
Et de toute évidence, il est doué. Je contemple les premières photographies exposées. Je prends mon temps, scrutant chaque détail, cherchant dans ces clichés le Bastien que j'ai cru connaître : celui qui sait me faire rire, faire preuve d'audace et d'impertinence parfois, mais qui cache aussi une grande sensibilité. Je suis soulagée de constater que ses photos transmettent toute cette énergie. Pour moi, c'est une preuve que je ne me suis peut-être pas trompée tant que ça sur son compte.
Et si le vrai Bastien c'était celui-là, le photographe talentueux qui m'a adressé une invitation et non, celui qui m'a trahie et s'est servi de moi ?
Je repense au petit mot griffonné derrière le petit carton.
Je le connais déjà par cœur.
- " Parce que tout ça, c'est en grande partie grâce à toi, qui m'as soufflé l'idée. Et un petit peu grâce à Niépce, qui a inventé la photographie. Et aussi un tout petit peu grâce à moi, qui n'ai rien inventé mais qui, souhaiterais te souffler l'idée de venir à cette exposition.
- Bastien."
Je pourrais lui dire que j'ai longtemps hésité à accepter son invitation, que je n'aurais pas dû venir, que je vais m'en aller. Ça ferait sûrement du bien à mon ego. Quelques instants. Mais je mentirais et je n'ai pas envie de le faire. Je le regretterais. Pas juste quelques instants, très longtemps.
Ce soir, je ne veux pas me poser trop de questions. Pour une fois, j'aimerais être un petit peu plus comme ma mère : écouter mon instinct, me moquer de ce que les gens peuvent penser, faire preuve d'audace, me sentir libre. Oui, j'aspire à plus de liberté. Et, parallèlement, je sens que je deviens de plus en plus attachée à Bastien que je n'ai pourtant pas vu depuis des mois. Tout ça pourrait paraître paradoxal, cependant, je sens qu'avec lui, je pourrais m'épanouir, être vraiment moi-même. J'ai souvent repensé à son altercation avec Loser2 sur le plateau-télé et aux mots qu'il avait prononcé juste avant. Au fond, je crois qu'il avait raison. Je n'ai pas triché avec lui, je n'ai pas essayé de lui plaire à tout prix mais je lui ai plu quand même. Si j'en crois ses paroles, c'est même cette authenticité qui l'a attiré. Ça, et le fait qu'il m'ait pris pour une muse, capable de booster sa carrière... Mais bon, il a réussi et semble avoir trouvé sa voie à présent. Dans ce cas, pourquoi essaierait-il de renouer avec moi ? Si ce n'est que, comme il l'a laissé entendre dans une interview, il éprouve, lui aussi, des sentiments pour moi ?
La voix de Bastien me sort de ma contemplation.
— Salut.
Je pivote vers lui. Il porte un costume gris très chic. Son sourire en coin est toujours bien présent et, une main dans la poche de son pantalon, il affiche cette fausse désinvolture qui le caractérise. Ses yeux noisette brillent.
— Ça a l'air de te plaire...
Il ajoute ça avant même que, émue par nos retrouvailles, je n'ai eu la présence d'esprit de le saluer à mon tour. Je ne sais pas trop s'il fait allusion à la photo que j'admire depuis trop longtemps ou à son physique que je redécouvre sous mes yeux. Je décide de m'en amuser en plantant mon regard dans le sien.
— Plutôt oui. J'ai toujours aimé les belles choses.
Son sourire s'étire et j'ai l'impression d'être propulsée plusieurs mois en arrière alors qu'on se taquinait dans mon appartement. C'est lui qui semble perdu dans la contemplation de ma robe, maintenant. Je jette un œil au loin derrière son dos.
— C'est ton père que j'aperçois là-bas ? C'est chouette qu'il soit venu.
Il répond sans me lâcher des yeux comme s'il craignait que ce ne soit qu'une diversion pour m'enfuir.
— Oui, je crois qu'il cherche la sortie de secours. Ma mère et lui ne sont venus que pour le champagne et les toasts.
Je le connais, je vois bien que leur présence l'émeut bien plus qu'il ne le laisse paraître.
— J'espère qu'ils m'en ont laissé ! Je ne suis venue rien que pour ça, moi aussi !
Il grimace. Je m'en veux instantanément. Je voulais juste faire de l'humour, pas remuer le couteau dans la plaie. Je me suis jurée d'être sincère et de laisser ma rancœur de côté.
— Ah... C'est dommage, je voulais justement te proposer d'aller faire un tour au calme dans la salle d'à côté...
— S'il y a aussi du champagne et des toasts, ça me va !
Il grimace de nouveau.
Je me mords discrètement la langue. Il va vraiment finir par croire que je lui en veux encore et que je ne suis venu que pour lui lancer des piques ! J'essaie de me rattraper.
— Pas grave. J'ai déjà mangé avant de venir.
Il me sourit et me fait signe de passer devant lui. Il ferme la marche en m'indiquant une porte sur la gauche. Nous sommes obligés de fendre la foule de robes de cocktails et de smokings pour essayer de l'atteindre. Sur le chemin, il se fait alpaguer par une robe à sequins :
— Ahhhh ! Bastien, tu es là ? On te cherche partout ! J'aimerais te présenter quelqu'un.
Une main manucurée se pose délicatement sur sa veste de smoking.
Le photographe reporte son attention sur moi, visiblement embarrassé.
— Clem' , ça te dérange si... ?
Je m'empresse de répondre poliment :
— Non, bien sûr que non. C'est toi la star de la soirée. Je ne veux pas t'accaparer.
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PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans
PIERRE SCHOTT
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PIERRE SCHOTT
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PIERRE SCHOTT
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