Fyctia
La star 2
Surprise, Natacha en recrache du champagne. Elle se confond en excuses et se lève précipitamment en essuyant grossièrement les coulures sur sa jupe.
— Oh mon dieu ! Je suis désolée ! Bonsoir Madame.
Je la sens à deux doigts de lui faire la révérence. Pour ma part, je reste assise par terre. Je n'ai pas la force de me lever.
— Auriez-vous l'obligeance de me laisser en tête-à-tête avec ma fille, s'il vous plaît ?
— Oh oui, bien sûr ! Je vous laisse ! dit-elle en s'enfuyant.
— Merci Natacha.
L'intéressée se retourne subitement, étonnée et visiblement ravie que ma mère connaisse son prénom. J'avoue que moi aussi, ça me surprend.
J'attends que mon assistante se soit éloignée pour exprimer mes doutes.
— Tu te souviens de son prénom ?
— Tu m'en parles tout le temps.
Je ne suis toujours pas convaincue.
— Mmm.
— Bon, d'accord. J'ai appelé plusieurs fois parce que tu ne réponds pas sur ton portable...
Je me souviens que je l'ai mis sous silencieux et au fond d'un tiroir pour ne plus subir les sollicitations incessantes de Bastien dont je n'ai toujours pas écouté le message sur mon répondeur.
— ... et ta secrétaire a osé me mettre en attente à chaque fois avant même que je puisse dire quoi que ce soit. ( Elle prend un ton très nasillard ) " Cabinet du Dr Fleury, Natacha à l'appareil, ne quittez pas, je vous reprends tout de suite ". De toute évidence, on n'a pas la même définition de " tout de suite " ! J'ai entendu ça huit fois aujourd'hui. Difficile de ne pas se souvenir de son prénom après ça. Même si j'aurais bien voulu, tu peux me croire ! Dis-moi, tes patients ne se plaignent pas de sa voix ?
Je soupire.
— Maman, Natacha est une très bonne assistante.
Ma mère lève les mains en signe de pacification.
— Si tu le dis.
— Qu'est-ce que tu fais là, maman ?
— Je suis venue aider ma fille.
Elle retire ses gants de cuir et son manteau, pose son sac Chanel par terre et étale son pardessus sur la moquette. Elle s'assied délicatement sur le tissu, non sans une certaine grâce.
— Toi ? Tu veux m'aider ?
— Ecoute. Je ne suis peut-être pas la mère idéale...
J'en ai le souffle coupé. Je me demande même si le champagne ne me donne pas des hallucinations.
Elle marque une pause comme si elle attendait que je la démente. Pas cette fois. Désolée, maman. Elle semble accuser le coup mais garde la face en poursuivant plus fort :
— C'est vrai... Je ne sais pas raconter des histoires à une petite fille, je ne fais pas la cuisine et je n'aime pas me promener au parc...
Elle me prend la bouteille de champagne des mains et en boit une gorgée au goulot avant de me la rendre.
— Ce truc est infect. Bref, je n'y connais pas grand chose en maternité mais je m'y connais très bien en célébrité !
Je la regarde du coin de l'œil.
— Désolée de te l'annoncer comme ça, ma chérie, je sais bien que tu as mon monde en horreur mais que tu le veuilles ou non, tu viens de mettre un pied dedans. Et tu n'as pas eu besoin de moi pour le faire !
Je soupire bruyamment.
— Ma vie n'est pas si horrible, tu sais, ajoute ma mère, un peu vexée.
— Je n'ai jamais dit ça...
— Non, mais tu fais tout pour éviter d'y être mêlée... Déjà à l'école, ton grand-père me disait que tu racontais à tes copines et même à tes maîtresses que ta mère était morte ou militaire partie en mission à l'étranger pour ne pas dire qui j'étais... Et puis, ensuite, tu ne m'as jamais présentée personne, ni tes amis, ni tes petits-amis... Et aujourd'hui, tu as honte que ton nom apparaisse à côté du mien sur les réseaux sociaux...
J'avale la boule qui s'est formée dans ma gorge. Je n'avais jamais envisagé notre relation sous cet angle là. C'était inimaginable pour moi de penser que, d'un certain côté, la grande Aria Fleury, pouvait-elle aussi souffrir de notre relation difficile. Les larmes me montent aux yeux.
— Il ne va pas falloir qu'on tarde trop longtemps. Alfredo nous attend dans la voiture devant la porte de derrière.
J'esquisse un petit sourire.
— Je suis contente d'avoir passé Noël avec vous deux.
Je le pense. Nos rapports étaient beaucoup plus détendus en sa présence.
— Moi aussi, ça m'a fait plaisir... Je crois que pour moi, il est comme une sorte de... muse !
Nous rions toutes les deux. Chez moi, c'est essentiellement les nerfs qui lâchent.
— Pitié, maman ! Tu ne vas pas me dire que toi aussi tu crois à cette théorie ridicule !
Les yeux de ma mère pétillent autant que le champagne.
— Non, je crois que, comme ta mère, tu as bon goût... Que peut-être je t'ai transmis ma passion pour les artistes...
Je proteste.
— Les Losers avec lesquels je suis sortie ? Des artistes ?
Elle hoche la tête.
— Oui, et au moment où tu as senti qu'ils allaient atteindre le sommet de leur art, tu t'es enfuie. A chaque fois.
Je secoue la tête, peu convaincue.
— Et pourquoi j'aurais fait ça ?
— Parce que tu as peur. Peur de vivre avec quelqu'un qui réussisse, qui te délaisse parce qu'il sera trop accaparé par sa passion, qui te laisse dans son ombre... Peur de revivre la même chose que ce que je t'ai fait subir...
Cette fois, mes larmes coulent.
Comme à chaque fois que les émotions la submergent, ma mère se dépêche de changer de sujet de conversation. Je la vois fouiller dans son petit sac Chanel pendant que je sèche mes pleurs du dos de ma main. Je crois qu'elle cherche un mouchoir en papier mais elle me tend sa paire de lunettes noires.
Je dois vraiment avoir l'air horrible.
— Ça se voit tant que ça que j'ai pleuré ?
— Mais non, idiote ! rétorque-t-elle en me les ajustant sur le nez. C'est pour qu'on ne te reconnaisse pas. Et même si on te reconnaît, les paparazzi ont du mal à vendre ces photos aux magazines. Le public veut voir le visage des stars.
— Et toi ?
— Moi, j'ai l'habitude. Et je suis maquillée. Allez, lève-toi ! Faut qu'on y aille !
Je me mets péniblement debout. Je suis étourdie par le champagne. Sans doute aussi, par toutes ces émotions. Je crois n'avoir jamais eu une conversation aussi intime avec ma mère. J'en suis toute retournée. Ces paroles au sujet de notre relation et ma peur de vivre dans l'ombre de quelqu'un m'apportent un éclairage nouveau, m'amènent à réfléchir et à me remettre un peu en question.
2 commentaires
Chris Vlam
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Il y a un an
PIERRE SCHOTT
-
Il y a 5 ans